"Comme la dinde ou le sapin, revendre ses cadeaux fait partie de Noël"… titrent des dizaines d’articles, tels que celui du NouvelObs.com. Mais comme le papier cadeau froissé ou la digestion difficile de repas copieux, ce thème de la revente des cadeaux est un sujet désormais sempiternel dans les médias, qui tombe toujours directement après Noël. Pour les médias, cela fait un beau marronnier, un sujet pratique à traiter dans une période où il y a peu d’actualité… et de toute façon peu de journalistes pour la traiter. 

Point commun de tous ces articles ou reportages, comme celui de TF1, la présence du patron de Priceminister, Pierre Kosciusko-Morizet. Tous les ans, il se montre fortement disponible pour dire strictement la même chose. Il arrive armé d’une étude affirmant que les Français revendent de plus en plus volontiers leurs cadeaux sur internet, ce qui lui permet évidemment de faire de la publicité pour son site où les dits cadeaux sont revendus. Même à la radio, France Info, RTL en direct, il les enchaîne tous.

Mais qu’en est-il vraiment ? Le risque est que ce "phénomène" soit artificiel. Sur RTL justement, tous les auditeurs qui appelaient affirmaient trouver ça immoral. Cela ne veut pas dire que les études de Pierre Kosciusko-Morizet soient fausses. Mais l’aspect pratique du marronnier fait perdre toute ambition journalistique à ceux qui le mettent en avant. 

Regardons un article du Post.fr consacré à ce sujet. La rédaction du site liste le 26 décembre au matin la liste des cadeaux les plus revendus. Le livre Indignez Vous est cité. En guise d’enquête, deux sources sont citées : LeFigaro.fr et LeParisien.fr. En regardant dans Google News, on constate que de nombreux articles mettent en avant le fait que Indignez Vous soit beaucoup mis en vente le lendemain de Noël. Surprise : ce sont tous des réécritures plus ou moins travaillées de la même dépêche AFP. L’Expansion, La Tribune, Metro, l’article du Nouvel Observateur déjà cité, c’est à chaque fois la même chose. 

Ces articles ont été mis en ligne dès le 25 décembre, vers 18 heures. C’est un peu tôt pour tirer déjà un bilan des cadeaux les plus revendus. Factuellement, c’est même n’importe quoi. Sur eBay.fr, aucun exemplaire de Indignez Vous n’est en vente actuellement. Sur Priceminister, ce sont toujours les mêmes trois vendeurs professionnels qui proposent le livre, comme avant Noël. Sur 2xmoinscher, cité dans la dépêche, aucun exemplaire n’est en vente non plus. C’est un fait : contrairement à ce que tous ces sites ont répété aveuglement, Indignez Vous n’est pas du tout un cadeau très revendu. 

Une conclusion s’impose : cette dépêche n’a pas été écrite le 25 décembre, mais bien avant Noël. Elle a donc parlé de façon préventive de faits futurs au présent, en affirmant des choses fausses. Elle a spéculé sur le fait que les livres les plus vendus avant Noël, comme La Carte et le Territoire, et Indignez Vous seraient aussi ceux les plus revendus. A tord. A 3 euros l’exemplaire, il est possible que des personnes de mauvais goût achètent plusieurs exemplaires de ce banal pamphlet politique pour les distribuer à leur famille en guise de cadeau, mais pour la plupart, c’est un achat pour assouvir leur propre militantisme. De toute façon, à la revente, ils n’en tireraient pas grand chose, vu le tarif des frais de port, cela dépasserait vite le prix du neuf. 

On peut comprendre que les journalistes se sacrifient au marronnier pour rester tranquille chez eux à manger de la dinde aux marrons. Mais en l’occurrence, c’est un mauvais marronnier, mal traité, assez déshonorant pour eux, au service d’une stratégie de communication contente de trouver leur manque de professionnalisme. Ce n’est pas glorieux.