L’enfant ne pleurait plus.
Céline sortit de l’hôpital avec une facilité déconcertante. Pas une infirmière pour l’interpeller, pas un médecin pour lui demander des comptes. Elle était une maman qui sortait avec son fils.
Déjà, le prendre lui avait semblé si simple. Si naturel. Elle avait repéré les jeunes mamans qui sortaient fumer leur cigarette à la fenêtre du lobby, à l’étage de la maternité. En plus d’aimer un enfant plus que personne ne pourrait le faire, elle allait le soustraire à la toxicité de la fumée maternelle. Cette pensée lui avait donné un courage supplémentaire.
Céline était entrée dans la chambre d’une jeune femme brune, à l’air fatigué, dès que celle-ci était sortie pour sa pause-cigarette. Elle avait regardé l’enfant et le bracelet que celui-ci portait à son minuscule poignet. « Dylan », disait le bracelet… toujours cette foutue manie de donner des prénoms de séries américaines. Heureusement qu’il n’avait pas eu le temps de s’y habituer. Pour eux, il serait Gaétan. Comme son frère.
Il pleurait quand elle le saisit. Mais il s’arrêta immédiatement. Il avait choisi Céline au même moment qu’elle le choisissait. Il l’avait choisie pour être sa maman.
Le chemin vers les ascenseurs avait été long et court a la fois. L’angoisse d’être arrêtée à tout moment par un « Vous, là-bas! » faisait battre le cœur de Céline à tout rompre. Mais ni les infirmières surchargées de travail, ni les médecins, ni les aides-soignantes ne lui prêtèrent la moindre attention.
Elle arriva sur le parking. Sa main tremblait tandis qu’elle cherchait dans son sac les clefs de sa Clio. Vite, partir, avant que la pause cigarette s’achève, avant que le café soit fini, avant que les hurlements d’une femme en détresse n’alertent la ville entière et qu’on vienne lui retirer son bébé… celui qu’elle attendait depuis si longtemps.
Céline démarra. Le bébé dormait dans le couffin.
La maison était à 7 km de l’hôpital Céline se sentait sereine. Le plus dur était accompli, elle avait récupéré son fils. Elle sourit à l’idée du bonheur qui allait se saisir de Gilles quand il verrait que leur fils était de retour.
Ses pensées se mirent à vagabonder… vers ce matin où elle avait retrouvé son bébé de 2 mois inerte, les lèvres bleues… ses cris à elle, qu’elle entendait comme s’ils avaient été émis par une étrangère… la course de Gilles, ses cris à lui, l’ambulance… les infirmiers, l’hôpital psychiatrique… les médicaments…et cet enfant qui ne voulait pas revenir…
Céline secoua la tête. C’était fini, elle avait retrouvé Gaétan. Elle l’avait longtemps cherché, elle ne savait pas qui le lui avait pris… mais elle n’avait pas renoncé et aujourd’hui venait la récompense…
Céline était arrivée chez eux. Elle regarda sa montre. Dans 3 heures, Gilles allait rentrer du travail. Le temps pour elle d’installer Gaétan dans sa chambre, de lui donner son bain, de le nourrir… de l’endormir… non, il ne fallait pas l’endormir…
De préparer un bon dîner, de se faire belle pour son mari, avant de lui offrir le plus beau des cadeaux… la fin de leur cauchemar.
Elle sentit que Gaétan reconnaissait sa chambre des qu’elle en franchit le seuil. Il faut dire qu’elle n’avait pas permis que quiconque en changeât le moindre détail. Gaétan ne pleurait toujours pas. Elle l’installa sur la table a langer et lui changea la couche. Elle lui ôta le ridicule bracelet en plastique qui portait ce prénom encore plus ridicule et lui restitua sa gourmette en or. Ensuite, elle l’emporta au salon, et pendant qu’elle préparait son biberon, l’installa dans le baby-transat spécial nouveau-nés. Là où il adorait être. Avant.
Pendant que le biberon chauffait dans le chauffe-biberons quasi-neuf, elle laissa à nouveau ses pensées vagabonder. L’année dernière, le mariage d’Isabelle et Thierry. A table, elle s’était occupée du tout jeune bébé de Sophie. L’oncle Gérard, ivre mort, avait pris le micro pour porter un toast aux jeunes mariés. Puis, son regard se posant sur Céline, il avait entonné une chanson de sa composition.
« Dis-moi, Céline, les années ont passé,
Pourquoi n’as-tu jamais pense à enfanter ?
De toutes les femmes qui vivaient ici,
Tu es la seule sans… »
C’est l’oncle Vincent qui avait mis fin au spectacle en arrachant le micro des mains de Gérard. Gilles était blanc comme un linge. Céline voulait mourir.
Le biberon était prêt. Elle testa la température du lait sur le dos de sa main, une maman n’oublie pas ces gestes élémentaires, ça non.
Elle s’installa sur le canapé avec Gaétan Elle le regarda téter avec bonheur. Oh, bien sûr, elle aurait voulu l’allaiter mais le médecin avait bien dit qu’elle n’avait pas assez de lait et que, de nos jours, les laits de substitution étaient excellents.
Il engloutit le biberon entier. Quel solide gaillard tu fais, mon trésor, pensa-t-elle. C’est ton papa qui va être fier de toi. Gaétan s’endormit.
Il fallait penser au dîner pour que cette journée du retour soit vraiment parfaite. Elle posa Gaétan dans le petit lit, sur le dos, oui maintenant elle savait que c’était mieux sur le dos. Elle avait confiance maintenant. Il ne partirait plus.
Quand Gilles rentra, le dîner était prêt. Tout ce qu’il aimait, avec une belle table bien dressée. Elle, belle et élégante. Que fête-t-on ? demanda son mari, amusé…
De la chambre, des cris de bébé parvinrent. Enfin, son beau secret allait être partagé. Elle était si heureuse qu’àson tour Gilles sache que Gaétan était enfin revenu.
Gilles la regarda sans comprendre. Alors elle lui dit 3 mots « Gaétan est revenu ». Il allait comprendre. C’est sûr.
Gilles pâlit et se dirigea vers la chambre. Il en ressortit quelques minutes plus tard avec le bracelet en plastique qu’elle avait jeté dans la petite corbeille, près de la table a langer. Il était méconnaissable. Il la saisit par les épaules, la secoua. «Mais qu’est-ce que tu as fait, tu es folle ? »
Elle ne comprenait pas pourquoi il ne se réjouissait pas avec elle du retour de leur bébé.
Elle ne comprenait pas pourquoi il se dirigeait maintenant vers le téléphone.
(…)
La femme lâcha prise devant le silence obstiné de Céline.
Elle inscrivit sur sa feuille « Femme en mal d’enfant » et ferma le dossier.
Elle sortit en lui adressant un sourire compassé.
Dans la tête de Céline, Gaétan pleurait à nouveau.
Il pleurerait pour toujours.
Terrible récit que le vôtre, Sheli…vous avez un réel talent littéraire!
J’aime beaucoup même si le sujet est très grave…
Merci, un talent je ne sais pas, mais des choses à dire, certainement 🙂