Peut-on estimer que le Front National s’inspire des méthodes des Sections d’assaut (SA) du parti nazi ? La mésaventure survenue à un enseignant CGT de Narbonne peut le laisser supposer, du moins en ce qui se rapporte à une section locale du FNJ (FN jeunes) de l’Aude. Peut-on aussi remémorer que les Chemises brunes recrutaient des adolescents et que certains de leurs chefs appréciaient beaucoup sexuellement les jeunes gens ? De là à en calquer les conclusions que le FN tire en évoquant les turpitudes des mœurs de l’UMPS, il y a un pas… qui pourrait être franchi, si le FN n’y prend garde de lui-même.


Manque de chance pour Marine Le Pen. Alors que Caroline Fourest publie, avec Fiammetta Verner, un Marine Le Pen (Grasset), voila qu’un jeune responsable du FNJ (mouvement de jeunesse du FN) vient apporter de l’eau aux moulin de ces auteures.
Comme l’estime le JDD, au FN de la Marine, « si la vitrine tente d’être propre, l’arrière-boutique reste sale… ». On tomberait, dans l’entourage de Marine Le Pen, « sur une nébuleuse effrayante faite de bric et de broc extrémistes. ».

De Fourest au JDD : « On ne peut pas comprendre un politique sans connaître son entourage (…) Le FN n’est pas une aventure intellectuelle. C’est l’histoire d’un clan qui veut garder la clef du coffre. ».
En Suisse peut-être… aussi ?

Il n’est pas diffamatoire de rappeler que Pierrette Le Pen se voyait menacée par Jean-Marie de se retrouver à la cave et de se faire, par son époux, « pisser sur la tête ». Elle l’a écrit, redit, et qu’on l’on sache, impunément. Cela appartient à l’histoire, ancienne, forcément ancienne.

Apparemment, ce n’est pas ce genre d’anecdote qui émaillait les cours d’histoires de Xavier Verdejo, professeur au lycée Diderot de Narbonne. Ses élèves, unanimes, le confirment dans une lettre qui vaut pétition de soutien à cet enseignant, par ailleurs militant CGT, conseiller municipal de village plus ou moins étiqueté communiste.

Militant CGT, donc, forcément, aux yeux Loïc Bouzat, chargé de mission du FNJ de l’Aude, prompt à « tenir des propos, durant ses cours, diffamants et insultants à l’égard du Front national. ». Ah, on ne peut lui reprocher, comme à Dominique de Villepin, d’être complice d’une diffamation par omission. L’ennui, c’est que Loïc Bouzat s’expose à des poursuites judiciaires. Dénonciation calomnieuse. Et comme son courrier au proviseur du lycée a été largement répercuté par des organes frontistes, tel Nations Presse, comme par l’entourage proche de Marine Le Pen, dont Steeve Briois, secrétaire général du FN, qui a repris l’accusation (« ce professeur est très hostile au Front »), cela peut remonter haut. Dans la vieille garde, celle de Bruno Gollnish, qui évoque l’affaire en s’en prenant aux « petits kapos de la police de la pensée », il pourrait aussi se trouver quelques victimes collatérales. Gênant.

Très gênant au moment où le FN clame aussi la nouvelle antienne de « la faillite morale de la gauche » et dénonce l’omerta de la presse, forcément complice des turpitudes sexuelles de l’UMPS, ou du moins de certaines et certains de ses dirigeants. Vous en voulez, de la transparence ? Vous en aurez. S’il faut que les chiens se lâchent, ils iront fouiller partout et ne reviendront qu’avec des os à ronger, jusqu’à la moelle du passé, voire du présent, du FN, tout autant que de celle d’autres formations. Il fallait y songer avant.

Et d’ailleurs, pourquoi donc les « propos dégueulasses » que dénonce Bruno Collnisch devraient-ils être bannis de l’enseignement scolaire s’ils appartiennent à l’histoire, fût-elle contemporaine ? Contrairement à Caroline Fourest, je ne suis pas du tout certain que « des torrents de boue vont sortir de l’affaire Strauss-Kahn » et que « le Front national va en faire son miel. ». Quand les torrents débordent, ils ne choisissent pas la rive à inonder. C’est tout le FNUMPS qui risque de se retrouver sous les eaux. Le FN doit donc soigneusement doser ses propos, au risque de décevoir ses plus chauds et fidèles partisans.

D’omerta, de complaisance à l’égard des partis dominants, et de transparence, parlons-en. Mediapart rappelle que Robert Morio (FN) était intervenu auprès de la rédaction départementale de Carcassonne de La Dépêche du Midi pour que le journaliste Joël Ruiz n’écrive plus sur le FN et n’assiste plus à ses conférences de presse. Dommage, la lettre est sortie. Mais le FN a souvent bénéficié aussi de l’omerta dans des affaires de pression sur la presse. Robert Hersant, qui avait refusé ma tête à Pierre Descaves (FN), fut plus élégant : la lettre de Pierre Descaves m’a seulement été montrée ainsi qu’au service des informations générales de L’Union. Mais si on veut faire une compilation quasi-exhaustive des pressions des responsables nationaux ou locaux du FN sur la presse, ce ne devrait pas être insurmontable. On prend les paris ?

Mediapart, à la suite de L’Indépendant, de La Dépêche, du Midi Libre, dans l’attente d’autres, sans doute Marianne, évoquent donc cette affaire. Il faudrait quand même éviter que de trop zélés jeunes FN se prennent d’une envie de passer à tabac discrètement les profs estimés par eux mal-pensants. Comme le rappelle Xavier Verdejo (dans l’Indépendant), il conviendrait que le FN maîtrise un peu mieux sa com’ : « Le FN veut se parer d’une image plus soft ? Allez sur un des sites du parti qui s’appelle ‘La valise ou le cercueil’ ! ». Ce n’est pas l’intitulé qui pose problème (citation historique), mais les contenus de ce site. Les homosexuels y sont « des tapettes », qui sont « honteusement sous-agressés » : c’est peut-être du second degré, mais parfois, on pourrait s’y leurrer. « Plutôt que de se rouler des pelles devant Notre-Dame, une mission égalitaire de la plus haute importance vous attend : la France est en retard dans le cassage de gueule du musulman. » lit-on sans trop savoir comment l’interpréter. Vu la teneur des commentaires, il semblerait bien que c’est aussi compris au tout premier degré, mais je peux me tromper.

Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation, qui déclarait « préférer Marine Le Pen à Olivier Besancenot par qu’elle est au moins raisonnable », ferait bien de conseiller à la présidente du FN de calmer aussi les ardeurs de ses troupes. « Luc Ferry doit parler. La pédophilie étant un crime, s’il conserve le silence, il peut se rendre coupable pour non-dénonciation d’un crime, » lit-on sur des sites FN départementaux. Cela reste soft. Luc Ferry accueillait, fort courtoisement, Bruno Gollnisch, au Sénat, en mai 2008. C’était à l’occasion d’une mission d’étude sur le service civique. De délation ? Non, de « ranimation de la flamme citoyenne et solidaire ». Il ne faudrait pas que le FN pousse un peu trop loin les néo-sympathisants dans les orties. Au fait, il en pense quoi, l’ancien ministre de l’Éducation, de cette affaire de délation visant un professeur de l’enseignement secondaire ? Ce serait le moment de sortir du bois, non ?

Tiens, juste au moment où Marine Le Pen parvenait à se concilier divers membres de ce qui est communément dénommé la « communauté juive » (nébuleuse fort contrastée), voilà qui donne de l’eau au moulin à ceux qui veulent rappeler comment certains membres du FN veulent revisiter l’histoire (négationnisme et autres thèses). Franchement maladroit.

Ah, mais voilà que Marine Le Pen retombe dans les ornières habituelles. Dernier communiqué en date (qu’on ne reproche pas à la presse de taire les thèses du FN) :

« La multiplicité des appartenances à d’autres nations contribue aujourd’hui, et d’une manière de plus en plus préoccupante, à affaiblir chez nos compatriotes l’acceptation d’une communauté de destin, et par là-même à miner les fondements de l’action de l’État. L’explosion du chiffre des binationaux pose aujourd’hui des problèmes dont les Français sont de plus en plus conscients et que le législateur ne peut plus ignorer. » Ouf, il ne s’agit pas de dénoncer les Franco-Israéliens, mais les Franco-Libyens « en puissance » (en quelque sorte) que seraient les Franco-Algériens. Et les Franco-Algériennes alors, dont certaines sont professeures d’histoire ? La chasse serait-elle ouverte ?

On lit aussi qu’« une fracture existe entre les organismes communautaristes prétendument représentatifs et les Français de confession israélite qui, de plus en plus, affichent leur soutien à Marine Le Pen… ». Les soutiens israélites du FN vont beaucoup apprécier ce laïus sur les binationaux avant, peut-être, d’en soupeser les implications.

Il y a quand même des trucs à éviter pour ne pas se retrouver accusé de vouloir exercer une police de la pensée ou d’avoir la xénophobie sélective. Par exemple, s’en prendre aux corpos étudiantes, aux bureaux des élèves des écoles de commerce, etc., ce n’est pas malin.

Du FNJ du Rhône : « Le FNJ dénonce également l’attitude de certaines universités qui prennent à la légère l’organisation de soirées étudiantes de ce type où la débauche est la seule règle et où les pleins pouvoirs sont laissées aux corporations étudiantes dont l’irresponsabilité de certaines est connue de tous. (…) Le Front national de la jeunesse réclame également qu’un contrôle sévère soit exercé par les universités sur les associations étudiantes, à qui l’on laisse la liberté d’organiser des soirées de ce type au sein des campus universitaires. ». Il s’agit des soirées salsa latinas, des soirées musicales africaines ? On ne comprend pas très bien, si ce n’est que toutes les soirées étudiantes (hormis les siennes, celles du FNJ du Rhône ?) devraient faire l’objet d’un « contrôle sévère ». Après les profs, les étudiants… Mais où s’arrêteront-ils ?

Ah, éviter aussi de s’en prendre en ce moment aux « petits juges rouges » : voir le résultat des élections à Milan après les fortes déclarations de Berlusconi.

Eh oui, mais si le FN modère ses outrances, il risque fort de ne plus trop se distinguer des « puissantes armadas de la pensée unique » (expression d’Alain Vizier, ou de Marion Le Pen). D’où l’interrogation : le jeune délégué FN de l’Aude a-t-il agi vraiment de son propre chef en s’en prenant à un professeur d’histoire ? Dur, dur, de devenir un parti « comme les autres » tout en continuant à prétendre être resté un parti pas tout à fait comme les autres.