Le foot, ici au Brésil, est une religion.

Ainsi, quand  la "seleção" nationale  gagne, tout le pays fait la fête; et quand elle perd, tout le pays pleure la défaite.

Les Brésiliens n’ont pas aimé, mais alors pas aimé du tout,  la dernière Coupe du Monde. Mais déjà avant la Coupe, ils n’ont pas aimé le choix fait par le sélectionneur Dunga de ne pas sélectionner Neymar et Ganso, deux joueurs très jeunes et très talentueux du FC Santos; un Neymar qui d’ailleurs s’est fait connaître au monde durant le championnat du monde des clubs gagné en 2011 par un FC Barcelone qui s’est imposé 4 à 0, en finale, contre le FC Santos, équipe où malheureusement  Neymar n’eut pas, durant le dernier match, son rendement habituel, perdant son duel de prestige avec Messi.

Dunga, donc, après les résultats décevants de l’équipe nationale (pour le Brésil s’entend, étant entendu que ne pas être champion du monde, pour un pays qui n’aspire qu’à cela, est une déception), durant la dernière coupe du monde, fut limogé et remplacé par un successeur dont la mission est aujourd’hui de monter une équipe qui soit capable de remporter la prochaine coupe du monde, puisque celle-ci aura lieu, en 2014, au Brésil même.

 

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Il faut néanmoins vivre au Brésil pour comprendre en quoi consiste l’énorme pression qui pèse constamment sur les épaules de l’entraîneur de la Seleção. Car en chaque Brésilien il existe un sélectionneur en puissance, qui vous explique par a+b que l’équipe doit jouer avec ce joueur-là plutôt qu’avec tel autre, et, qui plus est, dans un système qui doit être celui-là plutôt qu’un autre.

Et comme les Brésiliens adorent la discussion et sont des gens passionnés, les bars et les bistrots deviennent rapidement des forums ou chacun s’explique avec force voix et moults gestes.

Et si, comme il advient parfois, les supporters des deux équipes jouant un match qui est retransmis à la télé, se trouvent dans le même bar pour assister à la rencontre, la passion est telle qu’ils en viennent parfois aux mains. C’est la raison pour laquelle chaque bar  a ses propres supporters attachés à tel club en particulier de la première division brésilienne.

Et le plus marrant, dans la petite cité où j’habite, à l’intérieur de l’Etat de Bahia, c’est qu’au lieu de supporter l’équipe de l’Etat de Bahia qui joue en première division (l’an passé il s’agissait du FC Vitoria, de Salvador de Bahia; et cette année il s’agit du Esporte Bahia, de Salvador également; les deux équipes ayant permuté dans les ligues deux et une associées à un championnat professionnel qui compte, au total, au Brésil, quatre divisions); bref, au lieu de supporter le FC Bahia – tout comme les Alsaciens, en France,  supportent le FC Strasbourg plutôt qu’une autre équipe française – les habitants de la cité où j’habite, supportent d’autres clubs de la première division brésilienne.

C’est ainsi qu’il existe des bars où les supporters supportent le FC Corinthians de Sao Paulo, d’autres, le FC Santos, d’autres le FC São Paulo, d’autres le FC Flamengo (club de Rio de Janeiro) de Ronaldinho, d’autres encore le FC Vasco de Gama (autre club de Rio de Janeiro), ect.

 

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Imaginez, à partir de là,  que vous assistiez à un match du FC Flamengo dans le bar qui supporte ce club.

Vous n’avez alors pas intérêt à ouvrir votre bouche pour dire quoi que ce soit de positif à propos de l’équipe adverse. Car tout est focalisé sur ce Flamengo qui, quand il marque un but à l’équipe adverse, donne l’occasion aux supporters du bar de faire la fête en chantant, en dansant la samba et en buvant une nouvelle tournée de bière ou de cachaça.

Et si  le FC Flamengo remporte la victoire, au terme d’une rencontre qui se joue en général le dimanche après midi, les supporters vont continuer à faire la fête, hommes femmes et enfants, soit dans le bar, soit devant, dans la rue attenante, chacun portant la "camisete" (en francais : la chemise ou le tee-shirt ) du club.

En revanche, si l’équipe perd, ce sera des pleurs de dépit agrémenté de commentaires acerbes sur l’arbitre qui a mal arbitré, ou sur l’entraîneur qui n’a pas fait correctement son boulot, ou sur tel ou tel joueur qui n’a pas fait correctement le sien.

 

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Bref, on n’imagine pas, en Europe, à quel point le foot, au Brésil, est une religion. Preuve en est les millions de gamins qui jouent au foot partout au Brésil : dans la rue, sur des parkings, dans des cours, sur des terrains vagues, sur de beaux espaces verts, derrière la maison, sur la plage, dans des espaces faits de revêtement en dur ou en mou, sur ou dans du sable; apprenant partout la technique du foot et la maîtrise de la balle, cette balle fait avec n’importe quel matériau : cuir, plastic, chiffons, papier, reste de pneu de voiture, boîte de conserve, balle de ping pong, on en passe et des meilleures.

Autre preuve de l’engouement des Brésiliens pour le foot : près de la cité où j’habite, il y a un mont auquel on accède par une piste fréquentée par des gens qui se transportent à pied, à cheval, en vélo, à moto, et, parfois aussi, en voiture (lesquelles  voitures sont cabossées et percées de trous partout à force d’être rouillées).

ET sur ce mont, les autorités de la cité ont installé un réservoir d’eau permettant à toute une communauté de vivre en contrebas, de l’autre côté du mont.

Cette communauté se compose au total d’une vingtaine de familles, toutes pauvres et fort nombreuses (les mères font, là, leur premier bébé à l’âge de 14-15 ans) et habitant des maisons en dur fort rudimentaires et alignées en carré tout autour du village, payées qu’elles ont été, s’agissant de leur construction, avec les subventions de l’Etat Fédéral ou de l’Etat de Bahia.

Grace à ces aides et à l’eau du réservoir, amenée dans les champs grâce un réseau de distribution, les habitants de ce petit hameau ont ainsi pu planter des légumes, des patates, de la salade, du manioc, des feijãos (la nourriture de base, avec le riz, des pauvres du Brésil), et d’autres choses encore, et vivre à la fois comme petits paysans (chacun a un cochon, une ou deux vaches – parfois plusieurs-, des chèvres, des poules et un chien) et comme petits maraîchers écoulant leurs produits au marché de la cité où j’habite.

Quant aux enfants du village, pour aller chaque jour à l’école et en revenir, ils font, à pied ou à bicyclette, le trajet cité-village et retour.

Et comme la piste menant au sommet du mont est très pentue, le déplacement à vélo est pour eux une chose très pénible, si pénible qu’elle est capable de transformer tous ces gamins en futurs pédaleurs du Tour de France.

 

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Me rendant moi-même, parfois, sur les lieux, au moment de faire du footing, j’ai demandé à l’un de ces gamins en train de gravir le mont à vélo: "cela te plairait-il  de devenir coureur cycliste quand tu seras grand ?" Et lui de me répondre : "oh non, moi je préfère le foot au vélo!"

C’est si vrai qu’il existe trois espaces destinés à la pratique du foot, dans le hameau. Le premier est un vrai terrain de foot (petit, certes, par sa dimension), avec de vrais buts, à l’entrée du village. Le second est formé par l’espace situé au milieu du village, où les gamins peuvent jouer au foot une fois sortis de leur maison qui, comme je l’ai déjà dit, est située, avec les autres maisons attenantes, tout autour du village. Et le troisième terrain se situe dans un pré qui est lui-même situé en contrebas du village, près d’un bâtiment abritant les tracteurs et tout le matériel agricole du village.

 

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Or cet engouement pour le foot n’est pas près, au Brésil, de s’arrêter, à telle enseigne que les pratiquants des autres sports sont un peu prétérités, en termes de médiatisation de leur sport, comparé au football.

 

Claude Gétaz