Le FMI, DSK et le taxi roumain

Non, ce n’est pas Dominique Strauss-Kahn qui a décidé du second relèvement, en quelques mois, des tarifs des taxis en Roumanie. Mais depuis mai 2010, et les plans de rigueur suggérés par le Fonds monétaire international à la Roumanie, on commence à voir les « dégâts DSK ».

Depuis juin 2010, le gouvernement roumain a réduit d’un quart le salaire des « budgétaires » (fonctionnaires, ouvriers et employés de sociétés nationales ou d’économie mixte), renoncé malgré lui à diminuer drastiquement les retraites des mêmes, et s’est résolu à relever le niveau de la TVA jusqu’à 24 %. Tout a été conçu pour ne pas décourager les « investisseurs » (en fait, surtout les plus aisés des Roumains) et faire supporter l’austérité prioritairement au plus grand nombre de celles et ceux disposant de faibles et moyens revenus.

Et Dominique Strauss-Kahn, dans tout cela ? Le FMI propose, les gouvernants disposent. N’empêche, on évoquera « les dégâts DSK ». J’avais, vers l’été et l’automne 2010, tenté d’examiner ce que l’austérité allait signifier pour les Roumaines et les Roumains. J’ai renoncé à compiler des chiffres, mais l’impression globale semble significative : nouvelle émigration, restriction des budgets des ménages, faillites des petits commerces.

Prenons-le par le gros bout de la lorgnette. Beaucoup d’envoyés spéciaux à l’étranger se contentent souvent des bribes de conversation échangées, le plus souvent dans un anglais laissant à désirer, entre eux et le chauffeur de taxi les convoyant depuis l’aéroport. Cela fournit des témoignages d’anonymes, et parfois la même conversation est scindée entre plusieurs intervenants « de la rue » plutôt virtuels. Alors, plutôt que de se livrer au même exercice, évoquons plutôt les tarifs des compagnies de taxis.

Pour la Roumanie dans son ensemble, je n’ai pas de référence, mais pour Timisoara, oui. Auparavant, les taxis de la compagnie Fan étaient les moins onéreux. 1,23 leu du kilomètre en ville contre 1,39 (voire légèrement davantage) pour les compagnies les plus chères. Peu après l’instauration de l’austérité, plus la peine de remonter les longues files de taxis stationnés : le tarif unique avait été instauré, à 1,49 lei uniformes. Depuis quelques semaines, nouvelle hausse : 1,69 pour tout le monde (soit un peu moins de 40 centimes d’euro). Près de 40 bani d’augmentation en quelques mois, ce n’est pas rien et le coût d’une course courante s’élève à près de deux euros. Salaire actuel d’un fonctionnaire sans trop d’ancienneté : 230 euros. Avec, certes, des allocations de tickets restaurant.

Le taxi n’est pas, ici, un luxe. Les parcours des lignes de tramway et de bus reflètent l’état antérieur, résidentiel et industriel, de l’agglomération, et des trajets domicile-travail qui ont considérablement évolué. Marcher, prendre le bus et marcher, c’est s’exposer à se présenter sérieusement crotté à destination, en raison de l’état des trottoirs, de la neige, des flaques. Pensez-vous qu’on en aurait tenu compte et contenu cette hausse des tarifs des taxis qui profitent un peu aux chauffeurs et surtout aux compagnies ? Pas du tout.

Mais pour ne pas trop pénaliser les indispensables taxis, il a été décidé de relever les tarifs des transports en commun. Ici, le prix reste bas : à présent 3,5 lei pour deux trajets (contre trois auparavant) qui peuvent être soit un aller-retour, soit un aller comportant une seule correspondance (eh oui, on doit poinçonner à chaque fois qu’on monte dans un bus ou un tramway, et tout parcours un peu complexe peut exiger deux correspondances). Mieux : pour faire passer le comparatif coût du trajet en taxi, coût en transports en commun, des lignes de bus ont été transformées en lignes Express. C’est le même trajet, à la même vitesse, avec les mêmes haltes, mais le billet est légèrement plus cher. Bref, de fait, le coût du billet a crû parallèlement ou presque au tarif des taxis. Et pour un simple billet, pas de tarif réduit. On pousse à l’abonnement, plus avantageux… apparemment, surtout pour les gens effectuant des parcours réguliers quotidiennement (samedis et dimanches, jours fériés inclus).

On avance que DSK, l’Europe, le FMI, sont des chantres du libéralisme ? Oui, quand cela arrange. En Roumanie, vous avez outre Vodafone (SFR), Orange, Cosmote et d’autres opérateurs de téléphonie. Croyez-vous que la concurrence soit féroce ? Guère davantage qu’en France. Mais pour ne pas trop pénaliser les taxis, le tarif unique a été instauré. Non, ce n’est pas Dominique Strauss-Kahn qui s’est penché sur les tarifs des taxis de Timisoara. Mais on se prend à songer ici qu’il n’y est pas tout à fait pour rien. Qui ne dit mot consent. Ce n’est pas l’un ou l’autre des chauffeurs de taxi qui me l’ont dit, mais diverses personnes qui n’en pensent pas moins : leurs propres dirigeants sont tout autant, sinon davantage, responsables que lui ou la Commission européenne, ou on ne sait qui.

Fort belle réalisation favorisée par des fonds européens, le fameux Bastion d’Eugène de Savoie est remarquablement restauré. C’est un ouvrage moins élaboré que le fort belfortin de Vauban mais vraiment imposant. Je ne sais si ces multiples arcades sont désormais vouées, comme celles de l’avenue Daumesnil à Paris, à attirer des commerces, des galeries d’art, des ateliers, &c. Toujours est-il que ces locaux restent désespérément vides. Comme le pronostique le « patronul hotelului » (l’hôtelier), qui connaît la ville comme sa poche « mieux vaut y installer des agences ou des ateliers, car les commerces, à présent, je n’en donne plus cher. ».

Effectivement, la rotation accélérée des commerces et des restaurants dans les mêmes locaux, pour tenter de mieux attirer la clientèle, s’est ralentie. Pire, des « dépanneurs » (à la québécoise, petits magasins d’alimentation et de produits divers), autrefois ouverts toute la nuit, baissent rideau avant minuit. Ils étaient pourtant bien nécessaires à toutes celles et ceux qui cumul(ai)ent deux emplois pour s’en sortir : désormais, on tente de faire des courses pour la semaine, dans les grandes surfaces qui, elles, se sont étendues et ont embelli. C’est bon pour les taxis. Les rideaux obstinément baissés, les panneaux « Inchiriat » (local à louer), sont désormais plus nombreux. Le pouvoir d’achat a fortement décru, mais les emplois, pour les commerçants en faillite, ne sont pas au rendez-vous.

Les agences bancaires, innombrables, sont, elles, toujours là. Toute l’Europe bancaire, Société générale en tête, est représentée. Les prêts, en euros, alourdis par tant les taux de change que ceux, variables, des crédits immobiliers ou autres, offrent de très belles opportunités de saisies : les emprunteurs aux abois n’ont plus le choix.

Comme a pu le chanter Gilles Servat de la « bonne » duchesse Anne de Bretagne, ce n’est pas forcément « c’qu’aurait voulu » Dominique Strauss-Kahn. Il est permis aux Roumaines et aux Roumains d’en douter. Pour les Françaises et les Français, ce sera à voir… ou  pas. Il « regrette la France » (déclaration au Parisien). Il peut : l’augmentation des tarifs des taxis et de la RATP ne le concerne que si peu…

Un signe : certains commerces de semi-luxe (vins fins, cigares…) de naguère, ici, sont désormais remplacés par des boulangeries ou d’autres commerces de denrées plus basiques. Les classes moyennes émergentes ont révisé à la baisse leurs habitudes. J’ignore avec quels modèles, désormais, la concession Porsche-Audi-Skoda réalise ses marges. Je sais que trop, en revanche, que les effectifs des facultés ont fortement chuté : les droits d’inscription sont désormais trop lourds. Cela augure mal des ventes de Skoda dans cinq ou six ans. Pour les Audi ou les Porsche, allez savoir…

Toute ressemblance avec la France serait totalement fortuite et le fait du hasard. Mais, une autre fois, je vous parlerai de Matusa Tamara, la célèbre tantine-gâteau de l’ancien Premier ministre Adrian Nastase. Toute ressemblance entre Nastase et MAM et entre Tata Matusa et les parents de Michèle Alliot-Marie et leurs acquisitions tunisiennes serait bien sûr absolument fortuite. Bizarrement, les chauffeurs de taxi qui suivent les actualités françaises (il y a nombre de déclassés chez les chauffeurs de taxi) font, ici, quelques apparentements. Ils ne croient guère non plus que « DSK va nous changer tout cela ». Cela étant, des Roumaines et des Roumains conservent quelques illusions. À propos de Matusa Tamara, le prête-nom du clan Nastase, certains attendent un procès retentissant et commentent : « alors, on pourra dire qu’on est vraiment entrés en Europe ». Que DSK vise la présidence française ou celle de l’Union européenne doit sans doute les rassurer. Cutare Cutarescu, le « Joe le taxi » d’ici (où Monsieur Tout-le-Monde), commence, lui, à nourrir de sérieux doutes.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

5 réflexions sur « Le FMI, DSK et le taxi roumain »

  1. La fameuse ordonnance gouvernementale roumaine, applicable au 1er juin 2010, fixant les restrictions, la valeur du point de retraite, et le salaire minimal à 600 lei. 600 lei, à présent, c’est moins de 140 euros. Coût d’une chambre louée en ville : 100 lei minimum.
    Un café : entre 4 et 5 lei.
    Un pain : minimum 2 lei.
    Au « Prêt à manger » (chaîne britannique) populaire auprès des étudiants, voici quelques mois, le plat promotionnel était à 9 lei, il est passé à 11 lei en fév. 2011.
    Coût d’un « sandwich » traditionnel (phon. papanach kou brantza : sorte de beignet au fromage) : 2 lei.

  2. RAFFARIN ET DSK :
    DSK , »Sa difficulté, c’est qu’il est quand même
    [u][b]le représentant de la planète d’en haut[/b][/u] et
    que c’est difficile de séduire la France
    d’en bas quand on est dans cette situation « .

  3. Dsk contre Dsqui

    Vous n’en reviendrez pas si je vous disais que moi non plus, je n’en reviens pas !
    DSK a eu un entretien mystique avec le Président… je l’ai enregistré quelque part dans mon i-phone :
    Où ça ? Ah… le voici !
    Lors de son passage à Paris, dans les longs couloirs de l’Elysée… DSK a eu une drôle d’impression… l’impression qu’il y avait quelqu’un derrière lui…
    Cela ne lui arrive jamais…Parce qu’il n’est jamais seul…mais toujours en bonne compagnie…
    Il se retourne… et puis constate :
    Qu’il n’y a personne, vraiment personne…
    Il a eu la présence d’esprit d’en faire part au Président qui le rassura comme il a rassuré les mexicains.
    [url]http://www.lejournaldepersonne.com/2011/02/dsk-contre-dsqui/[/url]

  4. jesuis en Ro depuis presque 3 ans, et c’est n’importe quoi le FMI ne porte pas la responsabilité de ce qu’il s’y passe.
    Non, ici ce sont bel et bien les hommes politiques Roumains, incapables de réformer l’administration, qui sont responsables de ces coupes budgétaires. La Roumanie a connu une période de développement économique, courte mais soutenue (2002-2008) qui a aveuglé le pouvoir en place (parmi eux, nombreux anciens du régime communiste – fort peu enclin à réformer un système dont ils sont issus). Pendant ce boom économique, pas besoin de réformes, la Roumanie pouvait financer ces non réformes. Hélas la crise venue, durcissement énorme du crédit, consommation stoppée nette et investissements à zéro ont remis au jour les inégalités d’un vieux système…
    Le FMI a lui prêté de l’argent (des milliards d’Eur) qui ont empêché tout bonnement l’état de faire faillite. Aujourd’hui, l’heure est aux réformes en urgence (d’où les coupes budgétaires) et les inégalités se creusent, parce que hélas les Roumains restent souverains dans leur économie … Et réforment très mal.

  5. Pour François…
    Trois ou quatre ans (quatre pour moi, mais je suis venu en Roumanie, dans la famille par alliance, en 1967), peu importe.
    Oui, et je n’ai pas écrit autre chose, le FMI propose, les dirigeants roumains, s’ils ne disposent pas, accommodent à leur sauce.
    D’ailleurs, si l’évasion fiscale roumaine était rapatriée, pas de problème de change, de déficit budgétaire, &c.
    Les Valaches réforment selon leurs intérêts et ceux de leurs affidés.

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