Le politologue français BRUNO TERTRAIS* cherche à rependre par ce document de 26 page publié récemment à la question que tout le monde se posait « Ou va l’Amérique ? »

Si « La fin du second mandat de George W. Bush va clore une période exceptionnelle dans l’histoire du monde, qui aura vu la puissance dominante tenter de procéder à des transformations en profondeur de l’ordre international. »L’idée d’une Amérique « revenant à la normale », perdant un peu de sa superbe et contrainte de composer avec les nouvelles puissances émergentes est sans fondement d’après l’auteur pour qui « Dans tous les cas de figure, elle restera en position dominante sur la scène internationale pour longtemps, et la société américaine sera de plus en plus conservatrice, quelle que soit l’identité des successeurs de George W. Bush. »

Voici la présentation de cette thèse publiée par le journal « Les échos » le 18 décembre dernier :

La montée en puissance de la Chine et de l’Inde, conjuguée aux difficultés militaires et économiques des Etats-Unis, donne lieu à de nombreux commentaires sur la redistribution de la puissance et le déclin de l’Amérique. Pourtant, il y a tout lieu de penser qu’aucun pays ne sera en mesure de contester la prééminence américaine avant plusieurs décennies. Les Etats-Unis cumulent encore aujourd’hui les classements au premier rang : part dans la production mondiale, revenu national, production de biens agricoles, de logiciels, exportation de services, stocks d’investissement étranger, etc. Leur dépense de défense ne représente que 3,8 % du PIB américain et 20 % du budget fédéral, une ponction supportable et qui garantit pour longtemps la maîtrise américaine des espaces communs : mer, air, espace, cyber- espace.

Mais le principal atout de l’Amérique pour l’avenir est son extraordinaire dynamisme. Contrairement aux autres grands pays industrialisés, les Etats-Unis vont rester longtemps en croissance démographique – avec comme conséquence un poids des retraites plus facile à supporter dans les décennies qui viennent. La proportion de la population ayant une éducation de niveau secondaire est sans équivalent au sein de l’OCDE, et l’Amérique investit 2,6 % de son PIB dans l’éducation supérieure. La majorité des meilleures universités du monde, des prix Nobel scientifiques, et des articles publiés dans ce domaine sont américains. Le MIT ou le CalTech n’ont pas d’équivalent dans le monde. La R&D américaine représente plus du tiers de la dépense mondiale et plus de la moitié des brevets déposés. L’aptitude du pays à valoriser l’innovation et à l’intégrer dans le système de production est inégalée. La langue anglaise contribue à la pérennisation de l’attractivité du modèle américain, et les Etats-Unis accueillent la moitié des émigrants de formation supérieure dans le monde. La Chine devient l’atelier du monde et l’Inde son bureau, mais les Etats-Unis restent son université et son laboratoire d’idées.

La monnaie américaine représente plus des deux tiers des réserves de change du monde. Elle est utilisée pour la moitié des transactions commerciales internationales et la moitié des obligations internationales. La confiance des investisseurs dans la capacité de l’économie américaine à générer une croissance non inflationniste demeure intacte. Grâce à son système financier qui lui donne un avantage comparatif important sur le reste du monde, le pays émet de la dette à bon marché… et achète des titres à rendement supérieur. L’économie américaine se caractérise par une part très élevée des industries de haute technologie dans la production industrielle, et elle demeure la plus compétitive du monde. Sa réactivité aux crises reste frappante, comme l’a montré l’affaire Enron. Elle illustre la capacité de la société américaine à se réinventer en permanence. Enfin, le pays jouit d’une stabilité des mécanismes politiques qui a peu d’équivalents dans le monde : il dispose depuis deux siècles de la même Constitution et du même système de contrepoids institutionnels.

Aucun autre acteur international ne présente des atouts comparables. Ni la Chine ni l’Inde ne pourront égaler la production américaine avant longtemps – et encore, à condition que leur croissance se poursuive sans accroc. Or leur montée en puissance va être affectée par leurs fragilités : déséquilibres démographiques, insuffisances des systèmes d’éducation et de santé dans les zones rurales, et capacités d’innovation encore faibles. Ils ont en outre leurs fragilités propres. Pour la Chine, le vieillissement de sa population, un niveau de corruption particulièrement élevé, la fragilité du système bancaire, et une forte dégradation environnementale. Sans compter les risques de déstabilisation, au vu de la montée de la contestation sociale et religieuse et les risques de conflit, notamment à propos de Taiwan. Pour l’Inde, un volume d’investissements étrangers encore faible, une bureaucratie paralysante, le caractère endémique de la pauvreté dans de nombreuses régions, et un fort stress hydrique dans certaines zones.

Les prophètes du déclin inévitable des Etats-Unis se trompent depuis trente ans. Tout porte à croire qu’ils sont encore aujourd’hui dans l’erreur ou le fantasme.

*BRUNO TERTRAIS est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Il vient de publier « Où va l’Amérique ? », Fondation pour l’innovation politique, novembre 2007.

Le politologue français BRUNO TERTRAIS* cherche à rependre par ce document de 26 page publié récemment à la question que tout le monde se posait « Ou va l’Amérique ? »

Si « La fin du second mandat de George W. Bush va clore une période exceptionnelle dans l’histoire du monde, qui aura vu la puissance dominante tenter de procéder à des transformations en profondeur de l’ordre international. »L’idée d’une Amérique « revenant à la normale », perdant un peu de sa superbe et contrainte de composer avec les nouvelles puissances émergentes est sans fondement d’après l’auteur pour qui « Dans tous les cas de figure, elle restera en position dominante sur la scène internationale pour longtemps, et la société américaine sera de plus en plus conservatrice, quelle que soit l’identité des successeurs de George W. Bush. »

Voici la présentation de cette thèse publiée par le journal « Les échos » le 18 décembre dernier :

La montée en puissance de la Chine et de l’Inde, conjuguée aux difficultés militaires et économiques des Etats-Unis, donne lieu à de nombreux commentaires sur la redistribution de la puissance et le déclin de l’Amérique. Pourtant, il y a tout lieu de penser qu’aucun pays ne sera en mesure de contester la prééminence américaine avant plusieurs décennies. Les Etats-Unis cumulent encore aujourd’hui les classements au premier rang : part dans la production mondiale, revenu national, production de biens agricoles, de logiciels, exportation de services, stocks d’investissement étranger, etc. Leur dépense de défense ne représente que 3,8 % du PIB américain et 20 % du budget fédéral, une ponction supportable et qui garantit pour longtemps la maîtrise américaine des espaces communs : mer, air, espace, cyber- espace.

Mais le principal atout de l’Amérique pour l’avenir est son extraordinaire dynamisme. Contrairement aux autres grands pays industrialisés, les Etats-Unis vont rester longtemps en croissance démographique – avec comme conséquence un poids des retraites plus facile à supporter dans les décennies qui viennent. La proportion de la population ayant une éducation de niveau secondaire est sans équivalent au sein de l’OCDE, et l’Amérique investit 2,6 % de son PIB dans l’éducation supérieure. La majorité des meilleures universités du monde, des prix Nobel scientifiques, et des articles publiés dans ce domaine sont américains. Le MIT ou le CalTech n’ont pas d’équivalent dans le monde. La R&D américaine représente plus du tiers de la dépense mondiale et plus de la moitié des brevets déposés. L’aptitude du pays à valoriser l’innovation et à l’intégrer dans le système de production est inégalée. La langue anglaise contribue à la pérennisation de l’attractivité du modèle américain, et les Etats-Unis accueillent la moitié des émigrants de formation supérieure dans le monde. La Chine devient l’atelier du monde et l’Inde son bureau, mais les Etats-Unis restent son université et son laboratoire d’idées.

La monnaie américaine représente plus des deux tiers des réserves de change du monde. Elle est utilisée pour la moitié des transactions commerciales internationales et la moitié des obligations internationales. La confiance des investisseurs dans la capacité de l’économie américaine à générer une croissance non inflationniste demeure intacte. Grâce à son système financier qui lui donne un avantage comparatif important sur le reste du monde, le pays émet de la dette à bon marché… et achète des titres à rendement supérieur. L’économie américaine se caractérise par une part très élevée des industries de haute technologie dans la production industrielle, et elle demeure la plus compétitive du monde. Sa réactivité aux crises reste frappante, comme l’a montré l’affaire Enron. Elle illustre la capacité de la société américaine à se réinventer en permanence. Enfin, le pays jouit d’une stabilité des mécanismes politiques qui a peu d’équivalents dans le monde : il dispose depuis deux siècles de la même Constitution et du même système de contrepoids institutionnels.

Aucun autre acteur international ne présente des atouts comparables. Ni la Chine ni l’Inde ne pourront égaler la production américaine avant longtemps – et encore, à condition que leur croissance se poursuive sans accroc. Or leur montée en puissance va être affectée par leurs fragilités : déséquilibres démographiques, insuffisances des systèmes d’éducation et de santé dans les zones rurales, et capacités d’innovation encore faibles. Ils ont en outre leurs fragilités propres. Pour la Chine, le vieillissement de sa population, un niveau de corruption particulièrement élevé, la fragilité du système bancaire, et une forte dégradation environnementale. Sans compter les risques de déstabilisation, au vu de la montée de la contestation sociale et religieuse et les risques de conflit, notamment à propos de Taiwan. Pour l’Inde, un volume d’investissements étrangers encore faible, une bureaucratie paralysante, le caractère endémique de la pauvreté dans de nombreuses régions, et un fort stress hydrique dans certaines zones.

Les prophètes du déclin inévitable des Etats-Unis se trompent depuis trente ans. Tout porte à croire qu’ils sont encore aujourd’hui dans l’erreur ou le fantasme.

*BRUNO TERTRAIS est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Il vient de publier « Où va l’Amérique ? », Fondation pour l’innovation politique, novembre 2007.

Lire la suite sur: http://tunisiawatch.rsfblog.org/archive/2008/01/01/le-fantasme-du-declin-de-l-amerique.html.