Expert psychiatre devant les tribunaux et notamment la Cour de cassation, le Dr Michel Dubec n’en reste pas moins médecin. De ce fait, diverses personnes ayant eu à faire avec lui ont saisi le Conseil de l’Ordre. Maurice Joffo, auteur de Pour quelques billes de plus ?, se serait volontiers dispensé de se joindre à cette démarche. Mais lorsqu’il a appris que Michel Dubec avait réussi à obtenir que l’une des anciennes patientes de ce psychiatre soit condamnée à 15 mois de prison, il a estimé, en conscience, que trop, c’était trop…

 


Maurice Joffo ne nourrit pas une confiance immodérée à l’égard d’une certaine justice de son pays. En effet, un juge d’instruction, Jean-Louis Debré, avait réussi à se convaincre que le frère aîné de Joseph Joffo, auteur d’Un sac de billes, était l’un des plus formidables receleurs que la France ait jamais connu. Ou, du moins, avait-il réussi à s’en auto-persuader, ou à le simuler avec brio, ce qui lui avait permis de faire les unes de pratiquement tous les quotidiens.

Le procès de Maurice Joffo fut d’ailleurs retentissant, et avait incité Le Monde d’alors, fait rare pour une affaire judiciaire relevant des faits divers, à l’accrocher aussi à sa première page. C’était du 9 au 16 octobre 1986.

Maurice Joffo, quand il rédige Pour quelques billes de plus ?, ne mentionne même pas un certain Michel Dubec. Ce dernier, peut-être influencé par un Jean-Louis Debré lors d’un dîner en ville ou sachant flairer quelques effets de prétoire, voire plus tard de plume, n’avait pas oublié Maurice Joffo…

 

Peut-être pour étoffer son ouvrage très controversé, Le Plaisir de tuer (centré sur Guy Georges, un violeur et tueur en série), Michel Dubec en était, à l’encontre de Maurice Joffo, venu à coucher sur le papier quelques-unes de ces formules bien senties et bien balancées qui lui valent la considération prudente de tous les chroniqueurs judiciaires. En effet, tel un habile politique, Michel Dubec ménage toujours la petite phrase qui fera mouche et qu’on peut citer tel quel, voire qui, ô bonheur, fournit un titre. Depuis, sachant sans doute ce que l’on attend de lui (et décidant bien sûr en toute conscience de n’en rien faire s’il le fallait ?), Michel Dubec est de tous les grands procès médiatiques. Tout comme, pour les débats télévisés, il faut un coup à droite, un coup à « gauche », et un plus ou moins déférent et policé contradicteur pour celui qu’on veut mettre en vedette, Michel Dubec assure alternativement avec un réel talent l’un ou l’autre rôle, mais cette fois dans les prétoires.

C’est aussi un invité fréquent des émissions de radio ou de télévision. Ainsi, sur Europe Nº 1, il était, le 9 septembre 2009, l’invité de Jacques Pradel. En fait, à présent suffisamment connu, il pourrait se dispenser d’être partout au premier plan. Mais on ne peut exclure qu’il soit désormais sujet au « syndrome Sarközy » qui fait qu’en ce domaine, plus n’est jamais assez, trop reste décevant.

Toutefois, lorsque l’enjeu médiatique est faible, que le parti qu’il a pris et qui le rapproche soit de l’accusation, soit de la défense, de l’avocat général ou de la partie civile, ne semble guère en mesure de l’emporter, il est assez coutumier d’envoyer un comparse déposer à sa place. Ce fut le cas lorsque son expertise fut battue en brèche dans l’affaire Stéphane Pascau qui avait renvoyé son beau-père, Eugène Ricaud, devant la cour d’assises des Hautes-Pyrénées, pour le meurtre de sa mère. C’est moins rémunérateur de déléguer un confrère et associé, mais l’homme est fort occupé, fort sollicité, fort bien mis en avant par des thuriféraires ou des obligés.

 

Or donc, alerté, Maurice Joffo se voit qualifié de nouveau de receleur de sa propre collection de bijoux. Passe encore. Mais aussi de « honte » de la communauté juive française. Et en des termes quelque peu outranciers, tant à l’égard des faits que de, simplement, la personne de l’aîné de la famille Joffo. Michel Dubec est d’ascendance juive, Maurice Joffo n’est pas des plus assidus lors des mondanités réunissant la communauté (ou plutôt la partie qu’en fréquente Michel Dubec), et donc, l’auteur du Plaisir de tuer se lâche. Dans le genre ronflant, indigné, bien envoyé, et qui se ponctue d’effets de manche.

Petit hic, si le barreau ou le ministère civil peuvent dire tout et n’importe quoi ou presque sans risquer autre chose qu’un rappel à l’ordre de la hiérarchie ou d’un bâtonnier, la diffamation hors des audiences est passible de poursuites. Ce sera le cas. Le Plaisir de tuer paraît au Seuil en 2007, Maurice Joffo obtient la condamnation du Seuil et de Michel Dubec et de son coauteur, la ghost writer Chantal Maatoug-de Rudder, non seulement pour diffamation mais aussi pour « injure ou complicité d’injure publique envers un particulier en raison de sa race, religion ou origine ».

Les juges, habitués qu’ils sont à voir Michel Dubec trouver matière à circonstances atténuantes à des auteurs de crimes de sang (à juste titre souvent : beaucoup n’ont pas la mentalité du commun des détenus), n’ont pas relevé qu’il s’en prend à un simple « receleur » (ou voulu tel) avec une véhémence de délirant. Il est vrai que dans ce type de procès, on ne demande pas une expertise psychiatrique.

 

« L’affaire en serait sans doute restée là s’il était venu me voir ensuite pour s’excuser en invoquant qu’il avait été leurré par des ragots, estime aujourd’hui Maurice Joffo, mais là, je me suis rendu compte qu’il était allé trop loin et avait nui à bien d’autres personnes encore. » En fait, tout individu de genre masculin hétérosexuel pourrait se sentir injurié publiquement par Michel Dubec en raison de ses préférences sexuelles. Et de plus, lésé. Car que répliquer à une femme qui vous dirait « dans la sexualité masculine, il existe un intérêt à obtenir la défaveur de sa partenaire, pas seulement ses faveurs ; à faire crier la femme, peu importe la nature de ses cris. ». Sous-entendant : « pas question d’avoir des relations ne serait-ce qu’amicales avec vous car votre nature vous poussera sans doute à me terroriser et à me violenter… ».

La première phrase est le ressort dramatique, la charnière stylistique, de la page 213 du Plaisir de tuer. La seconde, inventée, prolongeant le raisonnement de la première, est sans doute ce qu’une Chantal Maatoug-de Rudder considère être dicible puisqu’elle s’en est remise à l’autorité d’un médecin, expert devant la Cour de cassation, en laissant passer la première phrase. Pour Michel Dubec et Chantal Maatoug-de Rudder, « l’acte de pénétrer est en lui-même agressif. Si un homme est trop respectueux d’une femme, il ne bande pas… » (toujours p. 213). Il faut croire, à l’aune du succès des magasins d’accessoires de type « jouets sexuels », qui ont désormais pignon sur rue et vitrine ouverte, que les femmes sont très majoritairement masochistes. On ne sait où commence le « trop » et ou finit le « pas assez » pour Chantal Maatoug-de Rudder et Michel Dubec, mais pour mon compte, si une femme me demandait de lui « faire un peu mal », cela me couperait tous mes moyens. Imaginez que la plupart des femmes en viennent à accorder du crédit à de telles considérations ! Et trouvent là le remède au manque d’empressement de leur conjoint ou partenaire, au risque de provoquer l’effet inverse à celui désiré ? On ne sait si les humains ont créé des dieux à leur(s) image(s) ou le contraire, mais il est patent que Michel Dubec semble avoir créé la condition masculine à sa trouble image. C’est sans doute faux.

Se serait-il relu attentivement qu’il se serait sans doute rendu compte que l’auteur Dubec avait outrepassé la pensée de l’individu de sexe masculin Dubec. À moins qu’il ne s’agisse là que d’un procédé commercial pour faire parler d’un livre et mieux le vendre. Dans ce cas, les acheteuses et les acheteurs de ce pseudo-manuel d’expertise judiciaire et le détenant toujours recéleraient une perle du genre. Ce n’est pas condamnable, qu’on se rassure !

Comme l’avait écrit, en février 2008, la conseillère régionale d’Île-de-France à la Garde des Sceaux d’alors, on peut reconnaître à Monsieur Dubec la liberté d’écrire ce que bon lui semble (en fonction de ses intérêts d’auteur et d’associé d’un éditeur, notamment) mais on peut aussi estimer « qu’il a un devoir de réserve à respecter en tant qu’expert auprès des tribunaux ». Mais aucune mesure de l’Ordre des experts, aucune directive de la Chancellerie, ne sanctionne d’ordinaire les outrances de Michel Dubec.

 

Ce qui a fait davantage encore réagir Maurice Joffo, marié depuis 56 ans et relativisant, à 82 ans, les élucubrations d’un Michel Dubec ou d’autres faiseurs, ce fut sa découverte de la condamnation de Brigitte Brami à 15 mois de détention. Libérée au bout de huit mois, elle a eu le temps de recevoir des témoignages de personnes ayant eu à se plaindre de Michel Dubec. Ce dernier avait obtenu qu’un tribunal suive les conclusions de sa défense (assurée par Me Kleijman) et considère que celle-ci, une ancienne patiente, le harcelait de 1996 à 2002, puis de septembre 2005 à février 2007. Le tribunal considérait que « le cabinet de Michel Dubec est paralysé ». Cela n’empêchait nullement le principal « paralytique » d’expertiser des délinquants divers, et très fréquemment, mais qu’importe…

Le tribunal considérait aussi que Brigitte Brami s’était rendue coupable de « violence aggravée par deux circonstances suivie d’une incapacité n’excédant pas deux jours ». Il suffit de confronter la condamnée à Michel Dubec et de les passer sous une toise pour s’interroger fortement, la condamnée a l’aspect d’une fillette, Michel Dubec d’un gymnaste du bataillon de Joinville ou d’un lutteur de foire. Ce qui est indéniable, c’est qu’avant même la parution, en 2007, du Plaisir de tuer, Brigitte Brami avait fortement importuné Michel Dubec, lui adressant, par périodes, d’incessants coups de téléphone. Sans doute au moins autant qu’un cabinet de recouvrement à l’encontre d’un débiteur, peut-être davantage.

 

Ce qui est flagrant, c’est que Brigitte Brami avait lancé, dès la sortie du livre au Seuil, une pétition en ligne, qui a été appuyée par diverses instances et organisations féministes, en vain. Ce qui est constant, c’est que Brigitte Brami a été condamnée à une peine qui s’applique assez couramment, selon la jurisprudence, à des maris ou conjoints éconduits se livrant à des actes de violence répétés et entraînant souvent des incapacités excédant, de très loin, deux jours.

Les circonstances aggravantes étaient la préméditation et que les faits auraient été commis « sur un professionnel de santé dans l’exercice de ses fonctions ». Le Dr Michel Dubec est pratiquement le seul praticien français à exercer ses fonctions dans le hall de son immeuble. Les aides-soignantes, infirmières, médecins, harcelées par des ex-conjoints violents jusque dans leurs cabinets ou salles de garde, voire au domicile de patients, ont dû apprécier l’ironie de la chose… De plus, comment écarter la préméditation en matière de harcèlement ? Elle est constitutive de l’acte répétitif de ce type.

 

C’est ce qui a fait littéralement bouillir Maurice Joffo. S’étant rendu compte que, comme dans son affaire de recel, d’autres professionnels de la santé, comme pour lui des professionnels, voire et y compris des magistrats, qui l’appuyaient, avaient soutenu les démarches de personnes s’étant estimées lésées par Michel Dubec, il a établi des parallèles. En effet, ce n’est pas la première fois que le Conseil de l’Ordre des médecins a été alerté (mais non pas formellement saisi auparavant). Et puis, ayant purgé sa peine, se proclamant constamment innocent, après de longs mois de détention (sa femme en effectua alors un semestre), il n’a pas encore accepté qu’une femme comme Brigitte Brami puisse être détenue plus d’un semestre (la libération a été largement anticipée en raison de sa conduite), ou même un seul jour. Le souvenir de la détention de son épouse l’a emporté. Pour lui, prendre en charge les honoraires d’un cabinet d’avocats prestigieux, le cabinet Mathieu-Archambault et associés, n’est pas motivé par l’espoir d’un gain. Il s’en explique…

 

« Que puis-je attendre personnellement du Conseil de l’Ordre des médecins ? Rien de pécuniaire en tout cas, et si j’avais jamais été l’harpagon que décrivait Michel Dubec, j’aurais alors radicalement changé, » relève-t-il.

 

« Je crois qu’en fait, donner le nom de Joffo en pature lui donnait de l’importance, relevait l’intérêt supposé de son ouvrage, et puis, comme je suis vieux, il a peut-être pensé que j’étais déjà mort. Reprendre des accusations de recel, ce n’est pas faire preuve de perspicacité de la part d’un expert. J’étais chef de famille depuis l’âge de quinze ans, j’ai été le coiffeur de grandes vedettes de la chanson et de l’écran, tous mes salons de coiffure étaient à moi, et non franchisés, je n’avais pas besoin de me livrer à du recel pour monter une collection de bijoux. ». Et Maurice Joffo de détailler des épisodes parfois croustillants, souvent dénonçant l’absurde, de son livre, Pour quelques billes de plus ? Ainsi de la fameuse tiare de la reine Amélie dont Thibault d’Orléans (l’actuelle famille royale prétendant au trône de France) voulait se séparer. C’est en fait au propriétaire du restaurant Le Wepler, place de Clichy, proche du roi du Maroc d’alors, que Maurice Joffo la présente. Après tout, le royaume chérifien aurait pu s’intéresser à un tel objet. Nul doute qu’il n’aurait pas été poursuivi pour recel de la même manière que Maurice Joffo. Lequel conclut qu’il a « tout simplement voulu porter témoignage que, dans notre doulce France des années 1990, l’arbitraire régnait en maître ».

Il l’a fait posément. Maurice Joffo n’était pas du genre à procéder comme cette femme de Perpignan qui, récemment, en audience, s’exclamant « c’est quoi ? c’est la croisière s’amuse ? », avait lancé aux juges un string sorti de son sac. La presse a largement fait état de l’incident, mais pas vraiment, et pas du tout à ce jour (mi-septembre 2009), de ce qui avait pu le motiver : certains journalistes savent sélectionner les sources utiles et souvent, aussi, négliger les autres. On le vérifiera ou non à propos de la comparution de Michel Dubec en première instance du Conseil de l’Ordre des médecins.  

 

Ce qui a aussi ulcéré Maurice Joffo, c’est que Michel Dubec avance qu’il était un patron détestable. « Nous sommes 12, rue Saint-Lazare, quand j’ai pris ce salon, il n’y avait qu’une coiffeuse ; vous pouvez demander à qui vous voudrez… ». Ce qui est sûr c’est que peu de garçons ou de coiffeuses, formés aux méthodes de coupe de Maurice Joffo, sont obligés de travailler chez lui plus d’une décennie. Ils sont en général fort demandés ailleurs et aucune banque ne leur refuserait un prêt pour s’établir.

 Toutefois, Maurice Joffo n’est nullement animé d’une quelconque vindicte à l’encontre de Michel Dubec. « Moi, je vis bien, et les salons, à présent, pour moi et ma femme, ce sont des médicaments de confort, cela nous occupe. Mais nous ne nous ennuyons pas non plus dans notre appartement proche du Carlton de Cannes. Si Dubec ne nuit à personne, et qu’il soit à l’aise en travaillant, grand bien lui fasse, qu’il vive sa vie ! Pour moi, c’est une question d’honneur, certes, et non d’intérêt, mais j’estime simplement qu’il doit cesser d’affabuler, comme il l’a fait avec moi en confondant parfois Hannah, ma mère, et sa grand-mère, qui portait le même prénom. » Et il ajoute : « je suis plutôt agnostique, mais en tout cas, ma judéïté ne me pose pas, à moi, problème… ».

Car Maurice Joffo a fini par se souvenir que, peu avant son procès, un certain Michel Dubec l’avait visité en détention. « J’ai l’impression qu’il confond son passé et le mien, les confronte, se construit un roman, » conclut Maurice Joffo. Après tout, pourquoi pas ? Ce n’est pas répréhensible. Mais les constructions de Michel Dubec en tant qu’expert devant les tribunaux, ou en sa qualité d’auteur à succès (le crime fascine toujours, le genre génère des ventes assurées, la plupart du temps), peuvent porter à caution, quand ce n’est pas, possiblement, préjudice. Dans Le Plaisir de tuer, Michel Dubec évoquait la figure du « Juif Süss » (une habile construction, notamment de la propagande nazie, une sorte de Shylock shakespearien, un usurier). L’a-t-il fait en toute conscience ou en brodant sur un vécu mythique, recréé à partir de lectures, de films, de divagations ? La réponse ne sera sans doute pas donnée par le Conseil de l’Ordre des médecins. Il n’est même pas évident que la question soit posée.

De même, tant que cette affaire ne sera pas passée devant la chambre disciplinaire de première instance du Conseil (elle est programmée pour la dernière semaine de septembre), il n’est pas formellement assuré qu’il en soit un jour débattu officiellement. Il est en effet rarissime qu’on expertise les experts…

Voir aussi :
Maurice Joffo et Pour quelques billes de plus ?