Dernier en date et non moindre ou ultime des ouvrages de Charles « Charly » Duchêne, un Aux larmes, Citoyens !, publié cette fois par JBDiffusion, qui complète et poursuit son Larme à gauche (éds BTF Concept), marquant les débuts du quinquennat de François Hollande. C’est quelque peu dommage, Charles Duchêne a fait mettre sous presse juste avant l’avènement du courant fillonesque umpy-dumpyste Force républicaine, et les vibrionnants envois en touche, hors-jeux ou tirs contre leurs propres camps des droites fustigeant les mesures gouvernementales pour la transparence, la moralisation de la vie publique et contre la corruption. Mais les occasions antérieures et récentes de rire (jaune) lui fournissent amplement de quoi, non point seulement nous divertir, mais, quoi ? nous réarmer, souhaitons-le…
Charles Duchêne, qui signe cette fois Charly, entrelace son décryptage des actualités sociales et politiques de son vécu, de ceux de ses nombreuses rencontres, soit des réflexions de ses contradictrices, émules, compagnons, le plus souvent de maigres fortunes. Pour illustrer le nouvel adage que lorsque les riches maigrissent en salles de remise en forme, les pauvres deviennent obèses, il évoque par exemple Ch’Mimi (Michel le boucher industriel, 6 000 découpes quotidiennes chez la 19e fortune française). Ou encore ses comparses et concurrents des multiples salons du Livre qu’il honore, à ses frais le plus souvent, et au bénéfice des pipeules invités à festoyer aux frais de diverses princesses…
C’est une écriture d’encerclement, un style passant du coq à l’âne (au fait, la couverture du livre est de lui et il invite à trouver ville et lieu de la sculpture : dédicace à la clef pour qui les consignera sur le site charlychapo.com), d’estoc et taille permettant de mieux porter le coup qui fait mouche, décocher le trait, pousser la botte fatale, après avoir fleureté d’apparentes digressions en apartés étayant son propos. Sarkozy en fit longtemps les frais – il n’est toujours pas oublié cette fois –, Hollande et quelques autres en sont pour les leurs tant, désormais, ils ne sentent plus le fraîchin.
Charly poursuit Larme à gauche où il l’avait laissée, soit vers novembre de l’an passé. Le Canard enchaîné sort régulièrement des dossiers thématiques, Charly compile une sorte de « dossier des dossiers ». Cela nous vaut de fines remarques, parfois prémonitoires, comme le salut de l’artiste à Lagardère, Arnaud, qui épousa un LaBel(ge) lui offrant un héritier, et s’est révélé plus futé que l’autre (Bernard), obligé de revenir « au pays des fauchés », selon l’inélégante remarque de NKM que retoque Charly, faute de pouvoir indécemment, comme Gégé Depardieu, filer vers un quelconque Kamchabalourdistan.
Charly ne prend pas (mais retient leur attention) lectrices ou interlocuteurs de haut. Ex-cadre commercial suprieur touché par la dèche des seniors décrétés inemployables, il fut à tu et toi avec des personnalités, aux deux sens du terme, en fréquente maintes autres, de tous milieux ou (absence de, aussi) situations. Il nous considère en voisins, commères ou compagnons aux fortunes – avec ou sans revers – diverses, nous travaillant parfois à rebours pour mieux convaincre.
Je diverge pourtant sur un point. Relance, peut-être, croissance atténuant l’austérité, à la rigueur, mais plus grâce des mesurettes (genre « hollandette ou montebourette ») pour renouveler le parc automobile. D’une part l’habitant des grandes villes ne peut plus assurer la location d’un emplacement lui évitant des amendes à présent redoublées, d’autre part, quand le BTP va, tout va un temps, mais ce type de « ouature » – à la Jacques Calvet – amortissante génère du fonctionnement, de l’entretien, de la maintenance : c’est différer la présentation de l’addition, et alourdir la dette future. Certes, l’État y trouve son compte, du fait du « delta » qu’évoque Charly, et des rentrées de TVA. Mais croissance désordonnée du PIB confine au gaspillage.
La croissance fait feu de tout bois, dévastation vaut reconstruction ; autant augmenter encore les frais bancaires, dans ce cas, pour mieux conforter les banques qui concocteront de nouveaux produits nocifs. Ce qui est toxique produit tout autant de la croissance que ce qui assainit. De ce point de vue, avec son écosocialisme, qu’il mentionne au moins furtivement de temps à autres, Mélenchon fait mieux que Charly. Crier relance, croissance, croissance, relance, en sautant tel un cabri est concevable, encore faut-il préciser lesquelles, leur nature, leurs objectifs. Si je me doute bien que l’auteur ne l’ignore pas, il a un peu trop fait l’économie du détail des orientations qu’il souhaite.
Nonobstant, en frappant au coin du bon sens, Charly n’écarte pas les effets pervers d’un coup de chasse-mouches, il les pondère.
Les revirements, voire reniements, des socialistes au pouvoir, leur frilosité, forment l’ossature d’un propos souvent désabusé, néanmoins goguenard, abondant en savantes démonstrations pédagogiques exprimées de manière à ce qu’elles tombent sous le sens. Cette « chronique d’un bourbier prévisible », tant politique que social ou économique, dans lequel un pouvoir à la fois « un peu gauche » et trop peu sénestre patauge, n’est guère axée par un esprit partisan (si ce n’est d’un meilleur vivre).
Son parti pris est celui du pékin moyen qui se voit, par exemple, obligé de passer par un généraliste référent pour faire traiter un furoncle par un dermatologue, alors que son lointain prédécesseur vous le perçait à domicile, tout comme il traitait lui-même kystes ou otites et autres bobos. Vous en connaissez encore beaucoup, vous, hors urgentiste ou toubab de cambrousse, de généraliste trimballant encore un attirail de chirurgie ultralégère ?
Charly part du commun, du quotidien, pour s’attaquer aux dossiers et maux de ce début de siècle. Il octroie encore un incertain bénéfice du doute à ce président ayant dû s’encombrer de quelques diafoirus ou figurants peu efficaces. Après la peste, ce n’est pas tout fait le choléra, mais ça tousse.
D’un autre côté, comment à la fois se risquer à prédire (moins par boutade que forte intuition) qu’il ne se produira pas de sortie de crise car celle-ci « arrange trop de monde, du patronat aux banquiers en passant par l’État », et s’étonner encore que « les marionnettes d’un système » ne se transforment pas au final, tel Pinocchio devenu vrai bambino ?
Notre Charly Collodi de la stenterellata élyséenne antérieure et présente finirait-il par tourner la page ? Tout dépendra de son humeur et du succès ce quatorzième ouvrage (chacun ayant financé le suivant). Grillo (et griot) canterino de la farce, Charles « Charly » Duchêne, tordu de rire entre deux accès lacrymaux d’autre nature, s’il se transformait en gnafre devenu furieux d’être encore plus mal chaussé, gardera sa niaque… Si jamais elle tourne orageuse, et qu’il se fasse autant ami du Peuple que son prédécesseur Hébert (père tout aussi spirituel que peut-être, feu le Roubaisien Jules Duquesne, député humaniste), le prochain pamphlet risque fort de tourner au brûlot. Il n’y a pas très loin, souvent, des larmes aux flambeaux.
Aux larmes, Citoyens ! (ou Larmes, Citoyens ! [Aux])– Charly –, 230 p., JBDiffusion, avril 2013