Le déréférencement, une autre forme de censure ?

Faites le test sans garantie de réussite (à moyen ou long terme). Via Google, lancez une recherche sur l’expression exacte « Fabien Bardoux », le patronyme du fondateur de Come4News. Vous lisez, en premier résultat lors d’un accès ce jour (cela pourra évoluer) : « Frappé par l’ISF et en attendant le bouclier fiscal promis par Nicolas Sarkozy, Fabien Bardoux, cofondateur et président de Come4News se … » sous le titre «☺ISF : Fabien Bardoux en exil en Suisse ? ». Il s’agit en fait d’une blague de potache interne à C4N, remontant à 2007, mais si on s’en tient là, cette information peut nuire à la réputation de Fabien Bardoux. D’où l’intérêt du déréférencement ou déférencement. Oui, mais pourquoi ne pas déréférencer tout Wikileaks ? Le déréférencement, à supposer qu’il soit efficace, n’est-il pas une forme déguisée de censure ?

 

Arnaque ou proposition sérieuse ? J’ai reçu du site un étrange courriel émanant du site deferencement.com qui aurait tout aussi bien pu s’intituler dereferencement.ext (où ext est une extension d’adresse réticulaire). Voici l’envoi (le début) de ce courriel… « Il y a quelques années à peine, les personnalités, les entreprises et leurs dirigeants se battaient pour être correctement référencées sur Internet. Aujourd’hui, certaines d’entre elles commencent à se battre pour être déréférencées des pages de résultat des principaux moteurs de recherche… ». Primo-accédant en France à l’Internet, ancien des Ateliers de Paribas, connecté via la dorsale Renater (éduc. nat. et universités) dès 1992 ou 1993, j’ai été un spécialiste bénévole du référencement (pour des particuliers ou associations), et je pourrais évoquer ici toutes les quasi-arnaques des présumés et soi-disant cabinets de référencement. Le déréférencement est-il une véritable arnaque ou une réalité ? Ce serait l’objet d’une longue enquête à mener. Peut-on vraiment se faire déréférencer, comment (en rétribuant des sociétés gérant des moteurs de recherche, par exemple, par d’autres moyens…), et sous quelles conditions, avec ou sans obligation de moyens ou de résultats ? Voici une enquête qui gagnerait à être menée de manière collaborative et qui sera de longue haleine.

Tenons-nous en pour l’instant à l’incident, soit aux contenus du site deferencement.com. C’est franchement inquiétant. Je vais prochainement revenir sur diverses affaires ayant défrayé la chronique, comme l’affaire Vivendi (procès de Jean-Marie Messier et actions au civil contre Vivendi de Me Frederik-Karel Canoy), le procès de Jacques Chirac, les liens de certaines personnalités françaises avec Ben Ali ou Moubarak. Journaliste indépendant, ne disposant pas ou peu d’archives écrites, d’un carnet d’adresses à lacunes, où vais-je pêcher mes infos, ma « viande » ? Sur l’Internet principalement. Et envisagez que je redevienne un chercheur en sociologie ou sciences politiques… En cas de déréférencement efficace, c’est l’accès à de multiples sources qui me devient interdit. Censure, vous avez pensé… anasthasie, anesthésie, amnésie, auto-amnistie ? Vous n’avez pas tout à fait tort.

Je répugne à employer inconsidérément de grands mots et lorsque j’évoque la démission de Michèle Alliot-Marie de tout poste gouvermental, je pèse mes formules et expressions. Mais les récentes tribulations de Wikileaks, pour ne citer qu’un exemple, donnent à réfléchir.

Quel discours propagent Solutions Internet Ltd et sa filiale de la place Vendôme à Paris, Déférencement.com ? Et tout d’abord, de qui s’agirait-il ? Peut-être de filiales d’Internet-Ltd (.com) proposant des E-services, un développement d’Elites Productions, dirigé par Eric Benson, ancien de la désormais trop fameuse Andersen Consulting, de Jay Blackburn, ancien de Times-Mirror Magazines Interactive Media, de Steve Momorella, et de Jim Tsevdos, autre ancien de Times-Mirror. Écrire ici, prématurément, sans preuves, qu’il s’agit de bons faiseurs, pour employer un terme relativement neutre, pourrait leur être préjudiciable. Feraient-ils alors déréférencer cette contribution ? Comment, soit par quels moyens ? Ou au contraire, admettraient-ils le débat public, ouvert ? Poser la question n’est pas y répondre… Je ne préjuge de rien.

Mais je suis inquiet quand je lis (accès le 4 fév. 2011, 14:55 heure de Paris, à une page mise à jour en juin 2010) que les mis en cause via l’Internet seraient des personnes physiques ou morales « qui n’ont pas géré leur réputation de manière proactive… ». Au temps pour, par exemple, Nicolas Sarkozy, Carla Bruni, Madoff, Jean-Marie Messier, Ben Ali et quelques autres. Internet ayant une sainte horreur du vide (dixit ??? sur ce site), les Internautes ont taillé des réputations sur mesure à divers personnages, diverses sociétés. « Lorsque l’on tape leurs noms ainsi que ceux de leurs principaux dirigeants dans n’importe quel moteur de recherche, le premier ou le deuxième résultat de la première page est le témoignage d’un client mécontent qui indique les attaquer en justice, victime d’une arnaque, salaires et avantages trop importants, etc. ». Dans le cas de Fabien Bardoux, on accède à une amorce Google qui peut faire prêter son flanc à confusion. Et s’il était interpellé à présent à ce sujet, il risquerait de rester comme deux ronds de flan, interloqué.

J’en conviens donc sans restriction : « La découverte inattendue d’une ou plusieurs annonces indésirables sous votre propre annonce ou à proximité lors d’une recherche des moteurs du Net est une surprise fortement désagréable. ». Mais comme je traite par ailleurs des class actions, quand je lis : « Obtenir sa suppression par voie de justice est une affaire longue, fastidieuse et incertaine au regard de la jurisprudence actuelle. (…) Lorsqu’elle ordonne la suppression, le site hébergeur étant souvent hors de sa territorialité, les mesures d’exécutions sont quasiment impossibles, » j’en conviens encore, mais je m’alarme. Comment, par exemple, lorsqu’on est avocat supposé ne pas démarcher des petits porteurs, informer les intéressés susceptibles d’avoir été lésés ? Me Canoy en a fait l’expérience, ce n’est vraiment pas simple. Me Canoy a donc recours aux médias, et oui, admettre le libre débat, la transparence, peut susciter des polémiques « qui alimenteront les “média” dont chacun connait l’avidité. ».

Oui, pour une personnalité politique, c’est une réélection qui peut être compromise, une carrière remise en cause. Oui, pour une personne publique (artiste telle Carla Bruni par exemple), ce peut être préjudiciable. La solution consisterait donc à faire en sorte que « le négatif, le diffamant, tout ce qui n’est pas conforme a l’image publique que l’on veut projeter soit effacé ou du moins relegué très loin dans la hiérarchie des resultats. ».

Là où je peux me risquer à avancer que l’argument frise l’arnaque légale, c’est que j’estime que le titre même du site peut être trompeur. Quels moyens, et sous quelle forme d’obligation de résultat, peut-on obtenir la suppression des informations gênantes ? En contactant l’hébergeur, certes. Mais s’il refuse d’obtempérer comme dans le cas de Come4News qui reçut une sommation maladroite à propos du livre de Jean-Galli Douani, Clearstream-Eads, le syndrome du sarkozysme, alors publié mais non diffusé par son précédent éditeur, Bénévent ? Le livre sortira chez Oser dire, du Belge Marc Pietteur, qui sera sans doute moins susceptible d’être à l’écoute des desiderata des uns et des autres.

En revanche, oui, il est fort possible de reléguer très profondément dans le ranking (la hiérarchie, la liste des résultats) une information gênante. Il convient de créer des contenus laudatifs parasites en masse pour tenter (sans garantie de vraiment réussir) d’écœurer les journalistes, les chercheurs peu au fait des techniques de recherches en ligne. Les ayant enseignées dans une école de journalisme parisienne, je peux suggérer aux clients et prospects de Déférencement.comm qu’un fouineur armé de patience et d’une bonne approche syntaxique des requêtes, connaissant le « ouaibe invisible », saura contourner les intentions de leur fournisseur de services de contre-attaque. Mais, comme pour la sécurité informatique, l’éradication des virus, c’est effectivement une lutte sans fin, qui n’est jamais achevée. Déférencement.com prévoit une maintenance d’un semestre. Renouvelable sans aucun doute. Et comment qualifier ces contenus valant pare-feu pour sa réputation ? Le terme de désinformation pourrait être évoqué…

Je ne veux exagérer le phénomène. Ce n’est pas tout à fait demain la veille que les informations gênantes pour tel ou tel deviendront inaccessibles. Mais il faut bien considérer que les journalistes sont de plus en plus pressurés pour fournir de plus en plus vite des contenus. Si une information préjudiciable à tel ou tel mais bénéfique pour le grand public est trop longue à remonter, souvent, la rédaction en chef sera tentée de reléguer le sujet tout au bas des priorités. Le risque ne doit donc pas non plus être minimisé.

Et puis, il y a toute une masse d’informations utiles aux citoyennes et citoyens qui n’est et ne sera jamais traitée par les médias. Or, l’Internaute lambda n’est pas, lui, formé aux méthodes avancées de recherches en ligne. La traque aux informations de Wikileaks pour les éliminer ou les enfouir doit donner à réfléchir. Par ailleurs, on peut se poser la question : tout budget consacré à améliorer la réputation d’une entreprise finira par être répercuté, sous forme de hausse des prix ou tarifs, sur l’acheteur final (ou le contribuable). Le jeu en vaut-il la chandelle ? À qui profitera vraiment cette lutte incessante ? Le coût croissant des activités de communication de l’Élysée est là pour fournir un élement de réponse… Imaginez que, pour restaurer la crédibilité de Michèle Alliot-Marie, une ligne budgétaire soit ouverte. Tentez d’en estimer le montant.

Non, il ne faut pas s’exagérer la portée du phénomène, mais non plus la minimiser. Le déférencement est un sujet grave, et pour l’instant, lorsqu’il s’agit de légiférer, nous n’avons vu principalement, sous cette mandature, que des dispositions protégeant les élus, les entreprises, et bien peu les citoyennes ou les citoyens. Ou, plus exactement, sous couvert de protéger le grand public, des dispositions qui pourraient être liberticides. Ce n’est sans doute qu’une opinion, mais au moins est-elle, jusqu’à nouvel ordre, assez aisément traçable. Mais demain ?

 » 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

6 réflexions sur « Le déréférencement, une autre forme de censure ? »

  1. Il m’a été une fois, sur C4N, reproché de faire de la retape en consignant en commentaire un lien vers l’une de mes contributions.
    Comme cela :
    [url]http://www.come4news.com/le-dereferencement,-une-autre-forme-de-censure-929429[/url]
    C’était du temps où les primes C4N étaient un peu automatiques, et c’était vraiment beaucoup de bruit pour rien parce que je procédais parcimonieusement (rarement plus de deux fois le même lien, et encore fallait-il qu’il en vaille vraiment la peine).
    En revanche, maintenant que ce sujet de bisbille n’a plus lieu d’être (les primes sont distribuées par un jury), je signale que le [i]ranking[/i] et le référencement tiennent aussi compte du nombre des liens internes. Sur un même sujet, le nombre et la nature des liens externes influent beaucoup, mais le nombre des liens internes (à un même site) est un indice de pertinence. En créer ne fait pas que de la réclame pour tel ou tel article, mais pour l’ensemble du site. Cela étant, si l’affaire vous intéresse et que vous en avez le temps ou les moyens, je préfère bien évidemment des liens externes à propos de cet article, à des liens internes (fastidieux à voir à répétition : usez des liens internes avec modération).

  2. Si vous vous intéressez au sujet, une approche sémantique est possible. Le déférencement, qui n’apparaît pas encore en tant qu’entrée des dictionnaires généralistes (Grand Robert, autres…), figure déjà dans les lexiques spécialisés (pas sur granddictionnaire.com) et des bases terminologiques, principalement en référence à la suppression d’un article d’un inventaire ou d’un catalogue.
    Il est bien évident que les sites et fournisseurs de contenus hésitent et renâclent à déréférencer. Plus ils ont de contenus, de liens, &c., mieux publicitairement ils se portent.
    Lu sur un forum DMOZ :
    « Mmmh, généralement, nous ne retirons pas les sites classés s’ils correspondent toujours à nos directives éditoriales, car dans ce cas, ce sont souvent des ressources utiles à nos visiteurs et aux utilisateurs de nos données… ».
    D’où la difficulté pour les déréféranceurs ou déférenceurs d’obtenir des suppressions.
    Mais enfouir une info sous la masse, cela reste relativement possible, sinon aisé.
    Et c’est fort inquiétant.

  3. Il faut bien se faire aussi l’avocat du « diable ». Voyez l’histoire des laboratoires Biogaran, de la Sofip, etc., de Bio-Alliance Pharma et du laboratoire Servier. Toutes les sources fiables sont reléguées actuellement en deuxième ou troisième page Google parce qu’un buzz sur le traitement de l’Alzheimer et de la famille Sarkozy tient le haut du pavé. Biogaran, filiale du laboratoire pharmaceutique Servier, est bien le numéro 2 derrière l’américain Mylan et devant le suisse Sandoz pour les biosimilaires, les génériques, etc. Biogaran fabrique beaucoup à l’étranger en sous-traitance et sous-traite sa commercialisation (Sofip). Pour trouver des infos fiables, par ex. sur les relations du Dr François Sarkozy avec AEC Partners (Advisors Experts & Consultants), bonjour l’angoisse et le temps perdu…

  4. qu’est ce que c’est que cela encore ,JEF ? !!!

    ALLO ALLO , NIKOLA, QUELLES NOUVELLES ?

    « Où se trouve les divers documents liés à l’activité
    de votre association Arche de Zoé ?

    Réponse :
    Chez notre secrétaire générale, Stéphanie Dhaulagiri,
    elle demeure à La Haye les Roses, elle a déménagé
    il y a quatre mois dans un pavillon, je n’ai pas
    l’adresse sur moi. Elle dirige une institution
    qui est je crois sur fonds publics, qui s’appelle
    [b]Paris Biotech[/b], sis à l’hôpital Cochin à Paris.

    2. L’entreprise [b]Paris Biotech[/b] est financée par
    des laboratoires pharmaceutiques, et notamment Pfizer.

    3. [b]François Sarkozy[/b], frère de Nicolas, fait partie
    du comité d’évaluation de Paris Biotech. »
    [url]http://sarkofrance.blogspot.com/2007/11/arche-de-zo-sarkozy-scandale-et-soupons.html[/url]

  5. [b] »Chacun d’entre nous doit s’interroger sur les conséquences
    de ce qu’il dit et de ce qu’il fait ». !!!!!!!!![/b]
    N ZORROZY

  6. Merci Veritas. Ben, voui, on ne peut pas courir vingt lièvres à la fois, et j’ai vaguement du nouveau sur EADS/Lagardère, Vivendi et Messier, d’autres dossiers (source : Maître Canoy). Alors je n’ai pas trop fouillé. Cette histoire d’Arche de Zoé, on finira par se demander si ce n’était qu’un coup médiatique ou une barbouzerie déguisée (les ONG servent à infiltrer d’honorables correspondants). Mais, encore une fois, on ne peut être partout.
    Ce qui est un peu fou, c’est que nouz’ôtres journaleux qui écrivons aussi pour Google, nous accentuons le phénomène : on fait du dropping names parfois abusif pour les moteurs, ce qui fait qu’on attire du lectorat sur des trucs qui n’ont pas grand’chose à voir avec la requête lancée. Bon, on le fait parfois intelligemment aussi pour faire sourire le lecteur (d’une pierre, deux coups, mais déontologiquement, c’est discutable).

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