Toute la journée d’hier, l’indécision m’a habité : j’y vais, j’y vais pas… et le sentiment de culpabilité aussi (mauvais cocktail, tout cela, me direz-vous). Envie d’aller la voir parce que j’aime ma mère, et réticence, à la pensée de l’environnement, si particulier, que représente la partie Alzheimer de la maison de retraite où elle est hébergée…

J’ai fini par me décider en fin de journée : au moins, je n’aurai pas à me trimballer un blues à la gomme et les « j’aurais dû passer » habituels.

Mais, quelle épreuve. Vous me direz, ces réflexions sont assez égoïstes. Mais bon, je ne suis pas un bon samaritain, pas plus que la plus grande partie de la population.  Ce truc me fout la trouille.  Affronter le démon « Alzheimer », n’est pas évident. Il a ceci de très particulier qu’il suffit de rester ne serait-ce qu’un moment à son contact pour vous sentir pomper, vampiriser, vider de votre substance.

Il détruit à petit feu, il ronge. Il a ceci de particulier (aussi) qu’il n’agit pas que sur sa victime. Mais aussi sur son entourage.

Bref, ça n’a pas été facile de me décider et c’est avec, avouons-le, une certaine répugnance que j’y suis allé.

Bon, mon attitude n’est pas la règle, mais ce que je vis, c’est ça. Trop de choses à affronter dans les regards éteints qui vous vrillent avec insistance : sa propre décrépitude, la peur de l’ego devant l’effacement total et à petit feu de ce qui fait la personnalité, c’est-à-dire, ce qu’on appelle « je ».

Devant la porte. Entrée dans la salle. Regards qui convergent vers vous ou ignorance complète de votre présence, le bonjour que vous essayez de teinter d’un peu de gaieté tombe à plat.

Elle est là. Voutée. Encore un peu plus que l’autre fois. Elle n’a pas réagi, mais en m’approchant, je peux voir un sourire apparaître. Même si elle ne m’appelle plus par mon nom, elle me reconnaît tout de même. Je m’assoie et lui fait la conversation, tentant d’établir un dialogue qui n’est plus, malheureusement, qu’un monologue.

Autour de nous volètent tout un tas de dames qui s’immiscent, profèrent des phrases incohérentes, s’adressent à moi comme si elle parlait à leurs proches.

Certaines se sont oubliées dans leur couche, l’odeur est insoutenable.

Comment font les aides-soignantes et infirmières pour échapper à cette atmosphère qui vous plombe, littéralement ?

Vient l’heure du repas, je dois partir. Je peux partir. En me dirigeant vers la sortie, après avoir tapée le code de la porte, me voilà dans le couloir, puis, dans l’air froid du soir. Je respire à fond : soulagement, lassitude, chagrin. Tout se mélange…

Saleté de maladie.