Le conservatisme compassionnel à l’assaut de l’Europe grâce au cheval de Troie britannique

 Souvent plus libérale que le continent, la Grande Bretagne expérimente avec le gouvernement Cameron une politique explicitement droitière, où l’influence du grand frère américain semble de plus en plus avérée et maximale.  

 Le 11 novembre dernier Iain Duncan Smith, ministre britannique du travail et des retraites, dévoilait devant le parlement son projet de réforme du système de protection sociale. Par l’ampleur de ses propositions ainsi que par sa radicalité il s’agissait de la plus grande réforme du régime des allocations sociales depuis les années 1940. Au passage le Welfare State britannique déjà très fortement réformé par les gouvernements Thatcher, Major, Blair et Brown subissait encore un très impressionnant coup de rabot.

L’intérêt dans cette réforme consiste bien plus dans le tournant idéologique qu’elle incarne et que le gouvernement Cameron ne se cache plus d’essayer de promouvoir. Car plus que d’une réforme du système de protection sociale il s’agit bel et bien pour les Tories de s’aventurer là où les droites européennes montrent encore quelque réticences à aller.

Car  l’inspiration américaine, et plus spécifiquement républicaine, est évidente tant par le procédé argumentatif avancé que par l’ensemble des références idéologiques que le gouvernement Cameron a sollicités pour construire sa réforme.

En particulier l’influence de Lawrence Mead ne fait aucun doute s’il convient de se rappeler qu’il fut invité au 10 Downing Street il y a de ça 6 mois. L’ambition pour Steve Hilton, le conseiller de Cameron à l’origine de l’invitation, était d’entendre les conseils que le principal théoricien de la réforme de l’Etat providence américain avait à lui donner. En ligne de mire pour l’équipe Cameron la possibilité de donner une première incarnation à ce que le premier ministre britannique appelle la « big society ».

Derrière cette charmante expression se cache le projet d’aller vers une société plus encline à donner le premier rôle à la société civile au dépend de l’Etat. En bien des points la « big society » rejoint le principe du « conservatisme compassionnel » théorisé aux Etats Unis au moment des présidences de George W. Bush. Pour cette dernière l’idée est clairement de poursuivre le démantèlement du Rooseveltisme grâce à  une idée forte : l’initiative privée et l’intention individuelle restent les meilleurs outils « sollicitables » pour que se concrétise un souci d’entraide à l’échelle de la société. La solidarité est ici abandonnée, pour ce qu’elle suppose de démarche collective et étatiste, afin de mettre en avant le concept, plus entrepreneurial et citoyen, de fraternité. On avoue à demi mot les incohérences du capitalisme dans sa distribution des richesses tout en ne contestant pas que le marché reste le plus sur des allocataires collectif. Dans cette démarche le démantèlement de l’Etat providence loin d’être un tabou est la solution, tant il apparait évident, pour ses détracteurs, qu’il a échoué dans sa guerre contre la pauvreté.

Avec un tel abord chacun est ramené à la question de ce qu’il peut faire pour les autres et pour la société. Et conséquence logique toute position d’assistanat est blâmable en tant qu’elle consiste à recevoir sans ne jamais rien donner.

Cette idée sert incontestablement de ligne conductrice au gouvernement Cameron dans sa politique de réforme du système social. L’idée forte y est explicitement le souci de tout faire pour que cesse  « l’assistanat ». Pour cela Duncan Smith a tenter de tout faire pour que « l’aide sociale ne soit plus un choix de vie » comme se plait souvent à dire Lawrence Mead.

Un peu sur le modèle de la flexsecurité danoise qui consiste à penser l’aide aux chômeurs sous certaines conditions de bonne volonté, la réforme anglaise tend à aller vers un système du donnant donnant. L’inspiration libérale se découvre au maximum de ses implications car il s’agira de faire fonctionner ce système sur le mode d’un contrat passé entre l’Etat et le chômeur. D’accord pour que ce dernier se voit rétribuer mais à la condition d’une contrepartie en temps et en travail pour le compte de l’Etat et de la collectivité.

Emporté par son élan le gouvernement Cameron entend conditionner l’ensemble des prestations allocataires de l’Etat, y compris celles allant aux personnes handicapées. Mais restreint par les habitudes européennes le système anglais n’a pas totalement fait sienne la sévérité américaine. Aux Etats Unis, en effet, la perte de vos allocations chômage après 99 semaines infructueuses de recherche pouvant aller jusqu’à vous faire perdre votre protection sociale, là où en Europe, bien souvent, cette dernière se poursuit ; comme l’illustre le cas danois par exemple.

Enfin notons un autre versant de la réforme de Smith, la tentative de penser les aides proportionnellement à toute augmentation de revenus éventuelle. Pour cela le système britannique souhaite aller vers un principe de réduction du nombre de prestataires sociaux. A la trentaine d’allocations existante le système réformé entend substituer un « crédit universel » limitant les demandes séparées. Possibilité sera ainsi offerte à l’Etat d’allouer une et une seule allocation et non une succession d’allocations qui combinées peuvent offrir des revenus supérieurs à certains revenus du travail. C’est en théorie la fin des trappes à inactivité.

Ainsi il semble bel et bien que le Royaume Uni de Cameron soit devenu le laboratoire européen le plus avancé pour qu’émerge un « conservatisme compassionnel à l’européenne ».  Cette influence du parti républicain américain dans la vie politique d’un pays européen ne manquant pas, d’ailleurs, de risques, comme l’atteste la très grande précaution avec laquelle Cameron a prudemment annoncé ce qu’il entendait appliquer comme politique sociale. C’est pour cette raison paradoxale d’une opinion publique européenne encore réticente à ce type de politique que Cameron  n’a cessé de promettre qu’il ne toucherait pas aux services publics.

Mais soyons en sur la réforme du système social selon ces principes idéologiques n’est que la première d’une longue liste. A terme tout pourrait se faire selon ces termes. Les inspirateurs et les soutiens de Cameron ont prévenu. A l’avenir toutes les politiques du gouvernement concernant les écoles, les universités, la police, les prisons et le système de santé seraient guidées par les mêmes principes.      

Nulle surprise, dès lors, à ce qu’en France un think tank comme Génération France, très lié à Jean François Coppé, s’emploie à tenter d’importer le conservatisme compassionnel dans le champ politique hexagonal.