Anna provient sans doute de moins quelque chose et se retrouve, vers 4000 plus, la compagne d’Ankh, dans un Paris et une France fort ultérieurs à ce Moyen-Âge qui seraient ceux d’Anne Larue, les nôtres. Anna fut vestale ; Ankh, chevauchant avec elle un Bucéphale ou un Bayart des frères Aymon, n’appréciera que peu le chevalier aurathique, source des malheurs d’Anna… Mais bien sûr, le propos de La Vestale du Calix, et d’Anne Larue, n’est pas d’abandonner le magistère (extra, aussi) universitaire pour embrasser la carrière de J. K. Rowling. Ou pas déjà…

Résumer un titre fantastique des éditions nantaises L’Atalante, c’est un peu comme déflorer l’Hermione d’Harry Potter. S’il s’agit de La Vestale du Calix, d’Anne Larue, qui signe là son premier roman du genre, cela confine à d’encore plus odieux sacrilèges. Au risque de m’exposer à l’un des immanents châtiments qui abondent en Esclarmonde, je m’en tiens à l’évocation sous cape, sans toute fois percer le mystère d’une épée.

Anne Larue avait fait paraître, aux feues éditions Talus d’approche, trois courts romans d’une incertaine, mais fort probable, Andrea Kolinsky. DansLa Vestale du Calix, récit pouvant, à l’inverse de ceux d’Andrea Kolinsky, être mis entre toutes les mains, se retrouve discrètement l’inspiration BDSM de feue l’auteure d’Alex dans les flammes, Xarus à l’école des femmes et José en amour. Deux très jeunes femmes encore étreintes d’adolescence lancées dans un périlleux périple, aux péripatétiques péripéties, tel est le thème central de La Vestale. Je n’en citerai rien, sinon cette phrase anodine : « Peut-être qu’il pourrait exister une civilisation où le savoir aurait de la valeur ? ».

C’est très, très loin d’être la meilleure des formules ciselées d’Anne Larue, dont le style narratif colle ici à son personnage, lequel s’exprime avec les tics langagiers de la spontanéité de son âge (ou même de « ses âges », puisqu’il en est deux).

Distrayante didactique

Je ne retiens que cette courte citation puisqu’il s’agit d’évoquer l’autre activité d’essayiste et d’universitaire d’Anne Larue (bibliographie en ligne sur Wikipedia et ailleurs). Son Fiction, féminisme et postmodernité : les voies subversives du roman contemporain, chez Garnier, avait été estimé assez sulfureux, ce qui lui valut quelques vicissitudes. N’y revenons plus.
Si ce n’est pour signaler que ce n’était pas vraiment le décryptage de l’influence du mouvement wicca sur la littérature populaire qui faisait question, mais plutôt l’entreprise de désintoxication des cerveaux formatés par des institutions dont le didactisme fallacieux ne se donne plus la peine d’avancer masqué.

Deux manières donc de lire cette Vestale. Se laisser emporter, revisiter son passé (les personnages principaux sont féminins, les secondaires masculins ou animaliers, mais on s’y retrouve, avec ses parts d’orange et de citron, de chocolat et de vanille), se projeter dans un peut-être encore possible.
Savourer donc les trouvailles, la verve de feuilletoniste, mais aussi le subreptice pastiche d’une littérature codifiée féminine et de gare.
L’autre façon consiste à réfléchir sur l’histoire, la manière dont elle est transmise. J’abordais ce sujet récemment (« Instruction publique : l’historiographie au pas de charge »), et en filigrane de la trame policière (pas vraiment whodunit), je le retrouve, n’effleurant pas que la surface du récit, mais l’imprégnant profondément.

Anne Larue est aussi médiéviste mais elle s’était intéressée à Démocrite. Que ses héroïnes soient formées, pour l’une, aux runes, pour l’autre, à une sorte de paléontologie de notre présent, de nos croyances (ainsi de notre culte du dieu Auchan), us et mœurs, ne doit rien au hasard. L’évocation d’un nouvel âge, se voulant, comme certains de ses prédécesseurs, immuable, mais pourtant productif et inventif, est la métaphore centrale que file, telle la Pénélope d’Homère, Anne Larue.

En cette période de querelle à propos des études de genre (voir la polémique entre Christine Boutin & Co et Geneviève Fraisse ou Catherine Vidal & associés), de profonde interrogation sur les finalités du système éducatif, d’interprétation diverses de la laïcité et du religieux (ainsi avec le dernier épisode d’Élisabeth Badinder), La Vestale du Calix avance d’autres propositions identitaires, d’autres approches, d’autres options.

Chevalier blanc, chevalières noires

Je ne sais qui a eu la bonne idée, chez Atalante, de qualifier cette Vestale de « Fantasy burlesque à la française ». Pas mal vu. L’ouvrage s’inscrit dans la collection « La Dentelle du Cygne » qui ambitionne de contribuer à « renouveler sa vision du monde. ». Sur un forum, Ange, auteure de livres d’un genre très voisin (Les Trois Lunes de Tanjor), vante les récits d’Angélique, marquise des Anges, qu’elle dévorait à 13 ans, et relit à l’occasion. « C’est très, très bien écrit, c’est même trop bien écrit. Pour la plupart des gens qui découvrent aujourd’hui, c’est trop compliqué pour eux. Ils se disent, c’est du Harlequin. En fait, le style est assez complexe (…) et passe en général au-dessus de la tête des gens. Il y a un mélange de romanesque et de noirceur… ». Si cela vous attire, privilégiez la version en six tomes des éditions de l’Archipel

Anne Larue a évité l’écueil – relatif – évoqué par Ange à propos des treize volumes initiaux d’Anne et Serge Golon, mais n’a surtout pas manqué d’en retenir la noire leçon. Ses jeunes et moins jeunes lectrices et lecteurs retiendront-ils les siennes ? Je me prends à l’espérer.