« Nous apprîmes le mardi le 14 juillet au soir à Chantilly que les révoltés s’étaient emparés de la Bastille ; nous eûmes de la peine à le comprendre, mais enfin cela était… » Et non seulement « cela était », comme l’affirme dans son journal le prince de Condé, mais un entrepreneur démolissait déjà la vieille citadelle du cœur de Paris ! Il n’est pourtant pas si anormal que le prince n’ait rien vu venir, tout s’est passé si vite …
L’élément déclencheur de l’émeute a été le renvoie de Jacques Necker, le contrôleur général des finances, le 11 juillet, manifestement sur le conseil de la cour. Il faut dire que Jacques Necker est très populaire, non seulement il et l’auteur, en 1781, du « compte rendu au roi », qu’il a rendu public et dans lequel il expose les dépenses de la maison royal, ainsi que les dépenses pour les différentes rentes faites aux nobles, mais il a aussi défendu une meilleure représentation du tiers État. Or tout le problème vient justement de là, les cahiers de doléances expriment pour la plupart les difficultés qu’a le peuple à se débattre dans une situation économique difficile, après les guerres d’Amériques et les mauvaises conditions climatiques des dernières années, tout en assurant la charge des rentes des nobles.
Des troupes royales sont concentrés aux abords de Paris, et dès les 12 des harangueurs prennent la parole dans le jardin du palais royal, promettant une « Saint- Barthélémy des patriotes », et une émeute populaire est chargée par la troupe Royal-Allemand . Le 13 juillet dans Paris la rumeur enfle, les troupes massées au champs de Mars et aux portes de Paris vont forcer la capitale et mettre aux arrêts les députés. Ce n’est bien sûr qu’une rumeur, mais elle est suffisamment inquiétante pour qu’un comité permanent se constitue à l’Hôtel de Ville en lieu et place de la municipalité royale et pour que naisse une milice bourgeoise forte de 48 000 hommes, portant tous les couleurs de Paris sur une cocarde, bleu et rouge.
Le 14 juillet au matin une foule considérable, de 40 à 50 000 personnes se masse devant l’hôtel des invalides, réclamant les armes qui s’y trouvent. Le gouverneur, qui possède de solide canons pour défendre le lieu, n'en fait pas usage. Plusieurs régiments d’infanteries qui campent non loin du bâtiment se concertent : vont-ils faire charger les soldats sur la foule ? A l’unanimité ils décident de ne pas le faire. C’est alors que la foule se précipite et franchit les fossés des Invalides parvenant à abattre les grilles, pour s’engouffrer dans les caves et s’emparer des 30 à 40000 fusils et des 12 pièces de canons ainsi que d’un mortier.
Les Parisiens sont désormais solidement armés, mais leurs armes sont inutiles: ils n’ont trouvé ni poudre ni balles ! Qu’à cela ne tienne ! La Bastille en contient des balles, et aussi de la poudre ! Les émeutiers envoient donc une délégation au gouverneur, M. le marquis de Launay, afin de réclamer les pour les distribuer à la milice. Le gouverneur les reçoit avec courtoisie, et les invite même à déjeuner mais n'accède pas à leur demande. Lorsqu'un peu avant midi une deuxième délégation se rend au château de la Bastille, la foule armée s'entasse devant les portes. Une mystérieuse explosion s'est fait entendre, ce qui a provoqué l'attaque d'un groupe d'émeutiers, qui tentent avec une hache de faire céder les chaînes du pont-levis. De Launay, qui n'a pas d'expérience militaire, perd son sang froid, et donne l'ordre de tirer à ses 32 gardes suisses, qui font un grand ravage chez les émeutiers, en tuant une centaine.
Ce sont deux détachements de garde française, chargés de veiller sur la capitale qui feront basculer la situation, en se rangeant du coté des émeutiers au milieu de l'après-midi, et en usant de leurs canons sur la forteresse. Si de Launay fait finalement réplique, ses invalides, les 82 vétérans à son service, lui imposent de parlementer,et de Launay finit par accepter la reddition, sur la promesse qu'aucune exécution n'aura lieu. Les gardes suisses sentant bien ce qu'il en sera, retournent leurs uniformes afin de passer pour des prisonniers. La foule s'engouffre dans le château et s'empare de la poudre, tandis que les vétérans sont tous lynchés, et que de Launay, qui avait tenté de mettre fin à ses jours, est traîné par les rues de Paris, et massacré, avant qu'un boucher ne lui coupe la tête, et qu'elle soit promenée au bout d'une pique avec celles des invalides, à travers les faubourgs.
La foule libère les prisonniers de la Bastille, au nombre de sept, avec une légère déception. Aucun prisonnier politique, juste des escrocs, des faussaires et un délinquant sexuel. Les geôles ne ressemblent en rien aux chambres de tortures qu'avaient pu décrire des intellectuels qui y furent emprisonnés, tels Voltaire ou le marquis de Sade: les chambres sont spacieuses et d'un grand confort.
Simeon Prosper Hardy, libraire à Paris, prend note dans une de ses chroniques, à neuf heures du soir, pour déplorer "les scènes d'horreur d'une si triste journée".
Louis XVI, tenant son journal chaque jour, y note le résultat de sa journée à la chasse: Mardi 14: rien. Mais Louis XVI n'a sûrement pas été insensible, il ne s'agit que de sa façon de tenir son journal, d'une façon laconique.
Il y eut du coté des assiégeants une centaine de morts et 73 blessés.
Un an plus tard, la prise de la Bastille est commémorée durant la fête de la fédération. Mais le 14 juillet ne deviendra une fête nationale et un jour férié qu'en l'année 1880. C'est Henri Martin qui était rapporteur au sénat, tandis que le jour férié était choisi entre le 5 mai, jour d'ouverture des États généraux en 1789, le quatre août pour l'abolition des privilèges, et bien sûr le 14 juillet.
Voici un extrait de son discours:
"Mais, à ceux de nos collègues que des souvenirs tragiques feraient hésiter, rappelons que le 14 juillet 1789, ce 14 juillet qui vit prendre la Bastille, fut suivi d’un autre 14 juillet, celui de 1790, qui consacra le premier par l’adhésion de la France entière, d’après l’initiative de Bordeaux et de la Bretagne. Cette seconde journée du 14 juillet, qui n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme, cette journée de la Grande Fédération, nous espérons qu’aucun de vous ne refusera de se joindre à nous pour la renouveler et la perpétuer, comme le symbole de l’union fraternelle de toutes les parties de la France et de tous les citoyens français dans la liberté et l’égalité. Le 14 juillet 1790 est le plus beau jour de l’histoire de France, et peut-être de toute l’histoire. C’est en ce jour qu’a été enfin accomplie l’unité nationale, préparée par les efforts de tant de générations et de tant de grands hommes, auxquels la postérité garde un souvenir reconnaissant. Fédération, ce jour-là, a signifié unité volontaire."
Quelques liens: http://14juillet.senat.fr/toutsavoir/
http://www.autopacte.org/Rien.html (très intéressant sur les journaux intimes de l'époque)
…
Je crois m’être bien documenté sur cet évènement historique, mais si un lecteur a des précisions à apporter à cet article, qu’il n’hésite pas à les noter dans les commentaires.
Bien à vous tous…
Blaise