Dr. Moncef Marzouki
Un train, dit-on, peut en cacher un autre. Idem pour un concept. Le droit à l’autodétermination a été utilisé pour la première fois par le président Wilson dans ses quatorze points, à la fin de la Première Guerre mondiale. Il n’a cessé depuis de signifier auto détermination par rapport à un occupant étranger.
L’Assemblée générale de l’ONU, dans la déclaration 1514 (XV) en date du 14 décembre 1960, affirme dans le préambule être « persuadée que le processus de libération est irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises, il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s’accompagne… » Presque un demi siècle plus tard, elle reste dans le même registre en adoptant en ce mois de septembre 2007, une déclaration symbolique reconnaissant le droit à l’autodétermination aux peuples autochtones. Donc toujours par rapport aux ex-étrangers même s’ils sont devenus eux-mêmes autochtones comme en Australie ou au Canada.
Le drame qui s’est joué sous nos à Rangoon il y a trois mois , rappelle à bon escient que le problème a changé de nature , le mal ne venant plus du méchant étranger mais du méchant compatriote. Un vers célèbre du plus grand poète arabe Al Moutanabi le dit bien Pire que le coup de sabre le plus acéré : l’injustice des proches. Les indépendances des années 60 dans les pays du Sud ont souvent signifié un simple changement de maîtres. Les occupants étrangers ont cédé presque partout la place à des occupants locaux qui se sont montrés parfois infiniment plus cruels.
Certes le cas cambodgien est exceptionnel, mais la mise en coupe réglée d’une société par une dictature brutale et corrompue a été et reste le lot de beaucoup de peuples du monde. Sous un tel régime, on trouve les quatre caractéristiques fondamentales de l’occupation étrangère: L’habillage politique, le pillage économique, la main de fer sécuritaire et le mépris des coolies appelés pour mieux se moquer d’eux des citoyens.
En Tunisie, l’occupation interne est visible à l’?il nu. Une police pléthorique, plus nombreuse et mieux équipée que l’armée, parade ostensiblement dans les rues, surveille les plus petits carrefours des campagnes les plus reculées, monte des barrages à l’entrée de toutes les villes, et ce dans une démonstration de force permanente visant à entretenir la peur et la soumission de la population.
L’occupant interne peut prendre toutes les formes organisationnelles : familles maffieuses comme dans ce pays, parti idéologique comme au Cambodge ou en Corée du Nord, juntes militaires comme en Algérie ou en Birmanie, minorité conduite à sa perte par des hommes sans scrupules comme en Syrie. Partout le régime fonctionne à la manière d’un virus envahissant une cellule et s’emparant de la machinerie de l’ADN pour se nourrir, se répliquer, diffuser dans le corps, l’affaiblir et finir par le tuer.
La machinerie dont s’empare l’occupant interne est celle de l’Etat. La police n’a plus pour fonction de défendre la société contre le crime organisé, mais de défendre le crime organisé contre la société. La Justice est là pour couvrir d’un voile de légalité les exactions de la police. Les libertés individuelles et collectives, surtout la liberté de parole, sont muselées. Les »élections », quand elles existent, font partie d’un simulacre de démocratie qui ne trompe personne. Tout cela a pour objectif ultime de concentrer le maximum de pouvoir, le plus Longtemps possible dans les mains des occupants pour s’adonner en toute impunité à leur péché mignon: la prédation. Cette dernière n’est pas seulement économique.
Elle est aussi morale et symbolique. On ne s’empare pas seulement de l’essentiel de la richesse mais aussi de tous les honneurs, de toute la dignité qui n’est plus une caractéristique intrinsèque de la personne humaine, mais une faveur concédée aux serviteurs et refusée aux traîtres et autres ennemis. On ne sait pas calculer le coût d’un tel régime. On sait simplement qu’il est prohibitif. Le nombre de prisonniers politiques, celui des torturés et des exilés, la quantité d’argent public volé, ne sont que les symptômes aigus de l’infection.
Il y a les effets à long terme qui eux passent inaperçus. Les systèmes bancaires, de santé, de justice et d’éducation sont gérés par un mélange de corruption, d’irresponsabilité, et d’incompétence. Ils finissent, en l’absence de toute évaluation et réformes, par tomber en ruines, avec les effets que l’on imagine sur la population et que l’on imagine moins sur les générations futures. Si l’on ajoute à cela le délabrement moral dû à l’atmosphère de peur, d’impuissance et d’indignité générale, on mesure le degré de souffrance endurée. La société occupée commence d’abord par imploser à travers l’augmentation des inégalités, de la criminalité, du suicide, des divorces, de troubles psychiatriques. Puis un jour elle explose comme par un réflexe de survie.
C’est le terrorisme à l’Algérienne ou à la Saoudienne, ou bien l’insurrection civile comme aujourd’hui en Birmanie et demain dans de nombreux autres pays occupés. Tout le long de la rive sud de la Méditerranée, la question n’est pas de savoir si les peuples vont se soulever, mais quand. Les grands Etats occidentaux, obnubilés par le terrorisme, l’immigration et la stabilité régionale et grands soutiens de nos occupants, seraient mieux inspirés, de cesser de prendre les pyromanes pour les pompiers.
La dictature est aujourd’hui un danger et un fardeau pour tous. La communauté internationale et notamment l’Occident, doit assumer toute sa responsabilité dans son éradication. J’ai suggéré dans ces mêmes colonnes quelques pistes pour renforcer de l’extérieur le combat des résistants de l’intérieur. La dictature doit devenir un crime contre l’humanité et l’ONU assimiler l’oppression d’un peuple par des maffieux, des généraux d’armée ou de police secrète, ou des idéologues psychopathes, au racisme, à l’anti-sémitisme et au colonialisme. Elle pourrait instaurer un mécanisme international de surveillance des élections, invalider toutes celles qui n’obéissent pas aux critères de la démocratie et mettre au ban de la communauté internationale tous les pouvoirs qui en sont issus. Le Boycott doit être systématique, non contre les peuples qui risquent d’être doublement punis, mais contre des hommes bien identifiés.
Un anti-Nobel de la paix qu’on pourrait appeler le prix Hitler pourrait être attribué annuellement au dictateur de l’année (Je nomine tout de suite Ben Ali pour 2009). Tous les tribunaux, notamment dans les pays démocratiques devraient se considérer compétents pour traiter de plaintes des victimes de ces »tortiocraties ». Mais, une porte de sortie devrait être laissée ouverte en permanence à tous ceux qui accepteraient un passage pacifique à la démocratie en échange de l’impunité. La vie a plus d’importance que la justice et de toutes les façons, ce qui doit primer dans cette dernière est la réparation, non le châtiment. La porte de sortie est nécessaire à des fauves blessés qui se sont enfermés eux-mêmes et ont enfermé la société des quatre côtés, et devenant de ce fait prêts à tout pour défendre leur fourrure.
Certes les temps sont durs pour le peuple birman et tous les peuples occupés soumis ou en lutte, mais ils ne le sont pas moins pour leurs tourmenteurs. Il faut qu’ils deviennent encore plus, afin que s’accélère et que s’achève par cette deuxième indépendance qu’est la démocratie, le processus de libération des peuples opprimés.
Source: Le site du Dr. Moncef Marzouki le jeudi 27 mars 2008Lien:
Dr. Moncef Marzouki
Un train, dit-on, peut en cacher un autre. Idem pour un concept. Le droit à l’autodétermination a été utilisé pour la première fois par le président Wilson dans ses quatorze points, à la fin de la Première Guerre mondiale. Il n’a cessé depuis de signifier auto détermination par rapport à un occupant étranger.
L’Assemblée générale de l’ONU, dans la déclaration 1514 (XV) en date du 14 décembre 1960, affirme dans le préambule être « persuadée que le processus de libération est irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises, il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s’accompagne… » Presque un demi siècle plus tard, elle reste dans le même registre en adoptant en ce mois de septembre 2007, une déclaration symbolique reconnaissant le droit à l’autodétermination aux peuples autochtones. Donc toujours par rapport aux ex-étrangers même s’ils sont devenus eux-mêmes autochtones comme en Australie ou au Canada.
Le drame qui s’est joué sous nos à Rangoon il y a trois mois , rappelle à bon escient que le problème a changé de nature , le mal ne venant plus du méchant étranger mais du méchant compatriote. Un vers célèbre du plus grand poète arabe Al Moutanabi le dit bien Pire que le coup de sabre le plus acéré : l’injustice des proches. Les indépendances des années 60 dans les pays du Sud ont souvent signifié un simple changement de maîtres. Les occupants étrangers ont cédé presque partout la place à des occupants locaux qui se sont montrés parfois infiniment plus cruels.
Certes le cas cambodgien est exceptionnel, mais la mise en coupe réglée d’une société par une dictature brutale et corrompue a été et reste le lot de beaucoup de peuples du monde. Sous un tel régime, on trouve les quatre caractéristiques fondamentales de l’occupation étrangère: L’habillage politique, le pillage économique, la main de fer sécuritaire et le mépris des coolies appelés pour mieux se moquer d’eux des citoyens.
En Tunisie, l’occupation interne est visible à l’?il nu. Une police pléthorique, plus nombreuse et mieux équipée que l’armée, parade ostensiblement dans les rues, surveille les plus petits carrefours des campagnes les plus reculées, monte des barrages à l’entrée de toutes les villes, et ce dans une démonstration de force permanente visant à entretenir la peur et la soumission de la population.
L’occupant interne peut prendre toutes les formes organisationnelles : familles maffieuses comme dans ce pays, parti idéologique comme au Cambodge ou en Corée du Nord, juntes militaires comme en Algérie ou en Birmanie, minorité conduite à sa perte par des hommes sans scrupules comme en Syrie. Partout le régime fonctionne à la manière d’un virus envahissant une cellule et s’emparant de la machinerie de l’ADN pour se nourrir, se répliquer, diffuser dans le corps, l’affaiblir et finir par le tuer.
La machinerie dont s’empare l’occupant interne est celle de l’Etat. La police n’a plus pour fonction de défendre la société contre le crime organisé, mais de défendre le crime organisé contre la société. La Justice est là pour couvrir d’un voile de légalité les exactions de la police. Les libertés individuelles et collectives, surtout la liberté de parole, sont muselées. Les »élections », quand elles existent, font partie d’un simulacre de démocratie qui ne trompe personne. Tout cela a pour objectif ultime de concentrer le maximum de pouvoir, le plus Longtemps possible dans les mains des occupants pour s’adonner en toute impunité à leur péché mignon: la prédation. Cette dernière n’est pas seulement économique.
Elle est aussi morale et symbolique. On ne s’empare pas seulement de l’essentiel de la richesse mais aussi de tous les honneurs, de toute la dignité qui n’est plus une caractéristique intrinsèque de la personne humaine, mais une faveur concédée aux serviteurs et refusée aux traîtres et autres ennemis. On ne sait pas calculer le coût d’un tel régime. On sait simplement qu’il est prohibitif. Le nombre de prisonniers politiques, celui des torturés et des exilés, la quantité d’argent public volé, ne sont que les symptômes aigus de l’infection.
Il y a les effets à long terme qui eux passent inaperçus. Les systèmes bancaires, de santé, de justice et d’éducation sont gérés par un mélange de corruption, d’irresponsabilité, et d’incompétence. Ils finissent, en l’absence de toute évaluation et réformes, par tomber en ruines, avec les effets que l’on imagine sur la population et que l’on imagine moins sur les générations futures. Si l’on ajoute à cela le délabrement moral dû à l’atmosphère de peur, d’impuissance et d’indignité générale, on mesure le degré de souffrance endurée. La société occupée commence d’abord par imploser à travers l’augmentation des inégalités, de la criminalité, du suicide, des divorces, de troubles psychiatriques. Puis un jour elle explose comme par un réflexe de survie.
C’est le terrorisme à l’Algérienne ou à la Saoudienne, ou bien l’insurrection civile comme aujourd’hui en Birmanie et demain dans de nombreux autres pays occupés. Tout le long de la rive sud de la Méditerranée, la question n’est pas de savoir si les peuples vont se soulever, mais quand. Les grands Etats occidentaux, obnubilés par le terrorisme, l’immigration et la stabilité régionale et grands soutiens de nos occupants, seraient mieux inspirés, de cesser de prendre les pyromanes pour les pompiers.
La dictature est aujourd’hui un danger et un fardeau pour tous. La communauté internationale et notamment l’Occident, doit assumer toute sa responsabilité dans son éradication. J’ai suggéré dans ces mêmes colonnes quelques pistes pour renforcer de l’extérieur le combat des résistants de l’intérieur. La dictature doit devenir un crime contre l’humanité et l’ONU assimiler l’oppression d’un peuple par des maffieux, des généraux d’armée ou de police secrète, ou des idéologues psychopathes, au racisme, à l’anti-sémitisme et au colonialisme. Elle pourrait instaurer un mécanisme international de surveillance des élections, invalider toutes celles qui n’obéissent pas aux critères de la démocratie et mettre au ban de la communauté internationale tous les pouvoirs qui en sont issus. Le Boycott doit être systématique, non contre les peuples qui risquent d’être doublement punis, mais contre des hommes bien identifiés.
Un anti-Nobel de la paix qu’on pourrait appeler le prix Hitler pourrait être attribué annuellement au dictateur de l’année (Je nomine tout de suite Ben Ali pour 2009). Tous les tribunaux, notamment dans les pays démocratiques devraient se considérer compétents pour traiter de plaintes des victimes de ces »tortiocraties ». Mais, une porte de sortie devrait être laissée ouverte en permanence à tous ceux qui accepteraient un passage pacifique à la démocratie en échange de l’impunité. La vie a plus d’importance que la justice et de toutes les façons, ce qui doit primer dans cette dernière est la réparation, non le châtiment. La porte de sortie est nécessaire à des fauves blessés qui se sont enfermés eux-mêmes et ont enfermé la société des quatre côtés, et devenant de ce fait prêts à tout pour défendre leur fourrure.
Certes les temps sont durs pour le peuple birman et tous les peuples occupés soumis ou en lutte, mais ils ne le sont pas moins pour leurs tourmenteurs. Il faut qu’ils deviennent encore plus, afin que s’accélère et que s’achève par cette deuxième indépendance qu’est la démocratie, le processus de libération des peuples opprimés.
Source: Le site du Dr. Moncef Marzouki le jeudi 27 mars 2008Lien:
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