Portrait littéraire par Yasmina Reza de Nicolas Sarkozy.

Ou : l’Homme qui voulait échapper au temps

 

« Elle n’a pas peur de nous, dit il à propos de l’hôtesse qui passe et sourit, c’est presque vexant de ne pas avoir peur de nous. On le dit, les hommes politiques sont des bêtes sexuelles. » A Michel Barnier qui me voit noter et l’interroge du regard : « Il faut la laisser en liberté, sinon tu cours à la catastrophe absolue avec elle. Je le sens comme ça. » 

Fin de citation.

« Je le sens comme ça ». Une question d’instinct . L’intuition de comprendre que la prérogative d’un artiste, c’est sa liberté. Supprimer ou restreindre cette liberté par la censure ou la dissimulation, c’est ôter à l’artiste précisément ce qu’il est venu chercher dans son art : la licence d’être libre.

Libre de se réapproprier le réel à travers l’observation et de le rattacher à ses obsessions, libre d’imaginer comment les choses pourraient être autres, libre de dire que le roi est nu.

Empiéter sur cette liberté c’est la garantie d’une vengeance de l’écrivain qui tentera par tous les moyens de retrouver cette liberté qu’on lui refuse dusse t’il emprunter les chemins les plus détournés ou creuser au plus profond de la fange.

« Ne jouez pas avec les artistes, ils ont toujours le dernier mot » disait Vélasquez avec un mince sourire devant le tableau achevé des Ménines.

A l’inverse, en garantissant à l’artiste une liberté totale dans la rédaction du portrait, ultime témoignage de confiance et marque du respect de la prérogative, il y a de fortes chances que l’auteur  n’aura pas la rage d’aller réduire le masque du personnage en lambeau.

J’utilise des comparaisons bien loin de la littérature ou du journalisme car ce livre m’apparaît d’une part comme un portrait au sens pictural du terme et d’autre part comme une pièce de théâtre.

Ce n’est pas un journal de campagne à proprement parler : le compte rendu journalistique n’est pas ce qui intéresse Yasmina Reza : chronologie discernable mais floue, faible considération pour l’organisation matérielle, absence d’analyse politique, de réflexion sur la stratégie. Pour ceux qui seraient plus intéressés par ce genre de chose, je conseille vivement la lecture « Fear & Lothing on the campaign trail 73 » d’Hunter S. Thompson, probablement  traduit en français.

Ce livre cherche plutôt à saisir un moment, à juxtaposer des morceaux de présent pour faire jaillir une pensée, un homme, une vérité, un tout.

A la manière d’un portrait justement  avec  ces  brefs éclairages sur un geste anodin (une lutte silencieuse avec un emballage de bonbon), une phrase anecdotique  (« Je veux parler pour celui qui pense qu’il n’a pas d’énergie en lui » et toutes les phrases de ce genre non soulignées par la presse) en y décelant l’expression d’une vérité plus globale ; cette attention portée aux gestes, aux postures, disons le, aux poses : les jambes qui tremblent, les bras qui se croisent et se recroisent, les tics qui assaillent la bouche, les yeux qui font semblant d’écouter, comme un peintre scrutant les traits de son modèle dans son atelier.

Et puis du théâtre également, une pièce qui se déroule avec une foule anonyme de figurants ou dans les huis clos du pouvoir, une pièce aux dialogues  savoureux  (Comment tu le trouves ? –Très bon. – Mais pour de vrai ?) aux innombrables masques, aux multiples faux semblants  avec comme synthèse cette phrase en italique : Les personnages sont ceux que nous sommes, mieux que nous.

L’exercice délicat mené de main de maître par Yasmina Reza est de parvenir d’une part à avoir une certaine forme de tendresse pour ces hommes avalés par leurs personnages à un point où ils ne se rendent même plus compte de leur duplicité tout en conservant un regard critique qui pointe avec une ironie souvent mordante les conséquences de ce jeu permanent tout en s’interrogeant sur la notion même de sincérité dans un tel contexte.

 

Et Nicolas Sarkozy  dans tout ça. Notre Président ?

Qu’apprenons-nous sur lui ?

Je crois que le terme de portrait littéraire convient parfaitement à « L’aube le soir ou la nuit » car Yasmina Reza s’est réapproprié Nicolas Sarkozy, elle en a fait un personnage de son œuvre.

D’ailleurs, la couleur est clairement annoncée dès la première page : « De toute façon, vous l’inventerez.  Les écrivains ont en commun avec les tyrans de plier le monde à leur désir. Je dis oui. »

Ceux qui cherchent dans ce livre, le vrai Nicolas seront  immanquablement déçus car ils ne trouveront qu’une facette du président, celle que Yasmina Reza a rattaché à ses obsessions.

Et en l’occurrence, il s’agit du rapport au temps. Le temps à l’aune duquel on mesure les joies, les réussites et les jours. Un temps que l’action permet de dépasser, un temps que l’on fuit dans l’action, que l’on essaie de dépasser pour le laisser derrière soin et toujours courir pour éviter qu’il nous rattrape.

Est-ce cela qui fait marcher Nicolas Sarkozy ? En partie sans doute et il y a  quelque chose de profondément tragique et de touchant dans le portrait de cet homme en fuite permanente qui donne l’impression à travers la plume de Yasmina Reza d’être accablé par un poids énorme qu’il essaie d’oublier dans une course perpétuelle vers demain avec comme seule satisfaction celle d’avoir échappé à l’instant.

« -Tu es content ? –Oui, je suis content en profondeur mais je n’ai pas de joie. »

Curieusement, il n’est quasiment pas fait mention dans le livre de Cécilia et de sa place dans la psychologie de Nicolas Sarkozy.  Une omission aussi flagrante ne fait qu’attirer l’attention sur cette étrange absence.

 

Absolument inclassable. Ecrit avec beaucoup de finesse et d’intelligence, ce portrait en dit autant et peut être même plus sur Yasmina Reza que sur Nicolas Sarkozy. 

Et c’est justement pour cette raison que ce livre sera bien plus que la simple sensation  littéraire d’une rentrée  parmi d’autres : en étant la seule à recueillir puis à juxtaposer les morceaux d’un présent que l’on s’empressait d’oublier, elle a tiré d’un homme  jouant un personnage de sa propre vie un personnage pour son œuvre.

 Jouez avec les artistes, il se réapproprie le réel.

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