«  Proposer un nouveau cadre pour la protection des droits de la personne et de sa vie privée face aux outils numériques, » tel est, selon Charles-Ange Ginésy, son rapporteur, l’objectif de la mission d’information parlementaire sur les Droits de l’individu dans la révolution numérique.


Vingt députés, présidés par l’UMP Jean-Luc Warsmann (Ardennes), dont onze UMP et un Nouveau Centre, vont se pencher, jusqu’au printemps 2011, période prévue pour la remise de leur rapport, sur les mesures visant à garantir la confidentialité et l’anonymat des Internautes versus  celles ayant pour objet de cibler les auteurs de faits délictueux ou criminels. Ce résumé des objectifs de cette mission n’emploie évidemment pas les termes – plus ampoulés, dira-t-on – des membres de cette commission. Charles-Ange Ginésy (UMP, Alpes-Maritimes) préfère indiquer sur son blogue-notes : « Il est important (…) de faire le tri entre ce qui nous rapporte et ce qui nous contraint. ».

 

Les Internautes, dans leur immense majorité, sont focalisés sur trois aspects principaux : le pourriel, l’hameçonnage (qui vise à vous faire communiquer vos coordonnées bancaires ou vous faire acquérir des anti-virus bidon, par exemple), et le respect de leur anonymat (vis-à-vis de leurs employeurs, voire de leurs conjoints ou relations proches, &c.). « Les droits de la personne, sa vie privée comme son intégrité, doivent être préservés et il apparaît de plus en plus difficile de les garantir, » poursuit C.-A. Ginésy. Récent exemple de difficulté à les garantir, le licenciement de la bloggeuse rémoise Jessi, employée dans un hôtel de la sous-préfecture champenoise, dont les portraits anonymes de collègues ont fâché son employeur, le groupe Accor. Son hébergeur, Le Post (filiale du groupe Le Monde), avait promis de la soutenir juridiquement, voire de lui confier des piges, avant de s’en désintéresser totalement. Elle va sortir un livre début janvier, et selon le journal L’Union, « elle pourra flinguer librement (…) Le Post.fr et le groupe Accor ont de quoi se faire des cheveux blancs. ». Est-ce bien sûr ? On verra si les groupes Le Monde et Accor réussiront ou non, comme dans deux cas récents d’ouvrages dont la diffusion a été suspendue (ceux d’Anne Larue, finalement remis en vente par les Classiques Garnier, celui de Jean Galli-Douani, dont le sort est en suspens aux éds Bénévent), à museler la « blonde » Jessi…  L’avocat de Jessi, Antoine Chéron, considère : « Beaucoup de logiciels de vidéosurveillance sont mis en place par les entreprises. On est au boulot pour travailler pas pour bloguer, c’est légitime. Mais les employés ont droit à un espace privé. Un employeur n’a pas le droit, entre autres, d’espionner un employé qui consulte ses mails personnels pendant 5 minutes, » (dans un entretien avec L’Union).

 

La censure « à priori », en amont d’une publication en ligne, inquiète aussi les Internautes, tout comme les interprétations peu conformes au droit de la presse et de la législation générale (diffamation, injures publiques, propagation de fausse nouvelle, troubles de l’ordre public) de certaines équipes de modération des titres en ligne. L’excès de zèle des modérateurs est parfois pour le moins surprenant, voire prête le flanc à des interprétations… idéologiques. On peut aussi se demander si ces officines sous-traitantes des éditeurs en ligne tiennent des fichiers, et (se) les communiquent ou non. On peut de même s’interroger sur le point d’être garanti que ces officines, préventivement, pour éviter à une Jessi d’avoir maille à partir avec son employeur, voire, comme dans le cas des soutiens à Julien Coupat (affaire Tarnac), ne communiquent pas avec d’autres officines plus ou moins proches du ministère de l’Intérieur, qui s’arrogeraient un droit de regard en aval.

 

Les associations de défense des droits de l’Homme sont auditionnées par la commission d’information parlementaire, mais aussi bien sûr les divers acteurs du secteur, comme l’AFA (Association des fournisseurs d’accès et de services Internet), dont le président, Richard Lalande, a été entendu fin juillet.

 

On aimerait que les recommandations de l’AFA à l’égard des « contenus odieux » soient étendues à l’ensemble des contenus et que le blocage de ces contenus ne constitue « qu’une solution d’ultime recours ». C’est bien sûr en priorité des contenus pédopornographiques ou incitant à la haine raciale) dont il est prioritairement question. Tout récemment (fin août 2010), la police australienne a obtenu la coopération de Facebook pour démanteler un réseau pédophile, ce qui a conduit déjà à 11 arrestations en Australie (trois), au Royaume-Uni (six), et au Canada (deux), les investigations se poursuivant. Un inspecteur australien avait infiltré le réseau en mars dernier, Facebook avait dès qu’alerté suspendu les comptes des suspects, « mais des indications sont apparues, dans les heures suivantes, que les groupes se reformaient en utilisant d’autres comptes, » a relevé Neil Gaughan, de l’Australian Federal Police. Pour le moment, les adhérents de l’AFA et les autres FAI (fournisseurs d’accès), ne sont tenus de reporter, comme l’a rappelé Richard Lalande, que les contenus relatifs à l’article 6.1.7-3 de la Loi pour la Confiance dans l’économie numérique de 2004. Cette loi LCEN a été pour le moins controversée mais on ne peut évidemment s’émouvoir du fait que les FAI soient tenus de signaler ces contenus très délimités « aux services compétents de police ».

 

L’AFA a mis en place un site de signalement, le Point de contact, et participe activement au réseau international InHope. Les Internautes pourraient souhaiter que des dispositifs similaires soient mis en place pour les protéger du pourriel et de l’hameçonnage, et en général des escroqueries en ligne qui prolifèrent. Mais il serait à l’inverse souhaitable que les fournisseurs d’accès puissent garantir à leurs clients un total anonymat s’ils le souhaitent et qu’aucune sollicitation de quelque nature que ce soit pour lever celui d’une Jessi ne soit par eux recevable. Dans son cas, Le Monde Interactif, éditeur du Post.fr, n’a absolument pas collaboré avec le groupe Accor ou ses mandataires. Mais il serait judicieux  que l’AFA se saisisse de ces faits – et éventuellement d’autres – pour intervenir, aux côtés des organismes et associations défendant les droits des individus, dans les travaux de la commission parlementaire. La protection juridique des Internautes, soit des clients de ses adhérents, un nouveau chantier pour l’AFA ? La commission, dont l’objectif « consiste à mener une réflexion globale tant sur les opportunités que sur les risques que les nouvelles technologies de l’information et de la communication représentent pour la garantie des droits individuels », gagnerait en tout cas en crédibilité en se penchant aussi sur ce type de problématique.