L’Afrique, une terre en proie aux grandes mutations du troisième millénaire

 L’émergence de l’économie africaine, combinée à la forte démographie du continent ont conduit les nouvelles nations à faire irruption sur la scène internationale. Le sursaut a été tellement brutal que les observateurs n’ont pas eu le temps de se demander quand l’Afrique s’éveillera… Avec ce nouveau monde qui se dessine, la rive sud de la Méditerranée devient le nouveau carrefour du 21ème siècle, et tous les grands de ce monde s’y retrouvent. Conscients des défis qui restent à surmonter, les responsables politiques locaux, à l’instar de Macky Sall au Forum Forbes Afrique 2013, considèrent qu’« on ne peut pas continuer de bloquer le développement du continent par des concepts du passé qui n’ont pas marché ». Sur le nouveau terrain de jeu du capitalisme mondial, une économie inclusive est en train de naître. Dernier exemple en date, la troisième édition du New-York Forum Africa de Richard Attias ouvre ses portes aujourd’hui aux chefs d’Etat, aux dirigeants d’entreprise, et aux personnalités issues de la société civile… 


                              

L’Afrique se fait une place dans le monde par la coopération

L’ancien journaliste de la BBC World, Michel Lobé Ewané résume la nouvelle donne géopolitique contemporaine : « l’Afrique est devenue incontournable et indispensable pour chacune des puissances du monde, celles qui émergent, comme celles qui veulent rester au sommet ». Devant la réussite du projet africain, l’ensemble des acteurs économiques et politiques montrent un regain d’intérêt pour le berceau de l’humanité, longtemps  marginalisé dans les échanges internationaux. Toutefois, certains observateurs aguerris préviennent des dangers d’une vision idéalisée des relations internationales. En effet, qu’on en ait une acceptation réaliste ou constructiviste, les rapports entre le pays restent toujours la traduction d’un rapport de force entre l’intérêt des parties prenantes. A la tribune lors du Forum Africa organisé par la Banque Africaine de Développement, l’ancien président de la Commission de l’Union Africaine, Alpha Oumar Konaré prévient, « l’Afrique avant d’être intégrée au reste du monde, doit être elle-même davantage intégrée ».

Longtemps décrié et caricaturé par la presse hexagonale, le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy avait pourtant  vu juste, « le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire ». Laissée en marge des échanges culturels et commerciaux, la civilisation africaine a trop longtemps souffert des divisions internes, expliquées notamment par l’essayiste britannique Barbara Ward par « la contradiction entre nationalisme et tribalisme ». La défunte conseillère des Nations Unies soulignait notamment les conséquences néfastes de la juxtaposition de tribus au sein d’entités inventées de toute pièce ; le découpage territorial hérité de l’époque coloniale continue d’ailleurs de poser des problèmes aux leaders africains pour « amalgamer une substance qui naturellement ne fait pas corps ».

Les tensions interethniques continuent malheureusement de ravager certaines régions de la vaste étendue que constitue l’Afrique, un continent géant qui parvient aujourd’hui cahin-caha à prendre son envol. Depuis la crise des années 2000,  elle  est  même devenue la nouvelle locomotive de la croissance mondiale ; à en croire les prévisionnistes, cette tendance devrait même se renforcer dans les prochaines années tandis que les analystes du FMI dépeignent un nouvel eldorado en évoquant le continent en mouvement. Au fil des rapports semestriels sur les perspectives économiques régionales, l’institution dirigée par Christine Lagarde évoque une « vision stratégique intelligente » qui a déjà enclenché une coopération Sud-Sud, en prenant l’exemple des relations multilatérales entre le Maghreb et  l’Afrique Subsaharienne notamment .

Avec cette nouvelle donne économique donc, l’Afrique devient attractive. En attestent d’ailleurs les sommets récemment organisés avec la Chine et le projet de Barack Obama d’orchestrer la première manifestation d’envergure entre les Etats-Unis d’Amérique et la terre de ses ancêtres. Devant cette réussite, on aurait presque oublié la résolution 2626 prise à l’Assemblée Générale des Nations Unies le 24 octobre 1970, qui stipule à l’alinéa 43 « qu’une portion majeure des ressources financières [octroyées] aux pays en voie de développement devrait s’effectuer sous formes de transferts de ressources publiques ». Il est vrai que depuis les modalités des collaborations se sont transformées, notamment sous l’effet des critiques de l’économiste Samir Amin qui dénonçait le maintien du continent à la périphérie de l’économie mondiale avec des règles internationales biaisées. On note par exemple qu’avant le début du troisième millénaire, entre 1996 et 2002, les pays en voie de développement ont remboursé plus au titre des prêts APD bilatéraux que ce qu’ils n’ont reçu des pays membres  de la Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE.

Les Forums, une nouvelle forme de coopération transnationale :

Malgré ce renversement de situation au profit de l’ancien tiers-monde, la compétition économique ne lui autorise à aucun relâchement. Ainsi, le professeur Olu Okotoni de l’Université Obafemi Awolo (Londres), rappelait lors du Forum économique mondial pour l’Afrique que « les dirigeants africains doivent faire en sorte que l’environnement des investissements soit plus propice afin que les acquis tirés du forum puisse être respectés et faisables ». Egalement présent au rassemblement, l’homme le plus riche d’Afrique Aliko Dangoté a souhaité contribuer à « forger une croissance inclusive, [pour] créer des emplois »…

Autre exemple de ces nouvelles initiatives pour « la transformation du continent africain », le New-York Forum Africa organisé par Richard Attias aura lieu du 23 au 25 mai. Pour sa troisième édition, le rassemblement de Libreville accueillera notamment le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, alors que se réuniront en même temps les chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et de la Communauté économique de Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Premier événement panafricain de par son importance, il a  été à l’origine de la création du fonds « Train My Generation »,  dédié à « la formation et à l’insertion des jeunes dans des secteurs clés de l’économie africaine », selon le site de la présidence gabonaise. Au total 200 millions de dollars ont été alloués aux centres de formation, aux universités, et aux agences pour l’emploi, près du quart du montant a été directement financé par la CEMAC et le reste par la récolte de financements privés parmi les 1500 invités de la manifestation.

Un récent rapport publié par le Quai d’Orsay, rédigé par Emmanuel Faber et Jay Naidoo, et intitulé Innover par la mobilisation des acteurs : une nouvelle approche de l’aide au développement, met en lumière l’intérêt de ces rassemblements. Le nouveau contexte économique relativise grandement le poids de l’aide publique au développement (APD) qui « ne représentera plus que quelques points de PIB des pays du Sud », c’est pourquoi il faut trouver de nouvelles méthodes pour continuer de faire face à certaines situations de sous-développement encore préoccupantes. Dans les lignes du rapport des experts de la problématique du développement, on retrouve la notion centrale d’économie inclusive qui vante la logique de co-création. Pour mener à bien les objectifs d’intérêt général, il convient selon eux, de mobiliser l’ensemble des forces vives : pouvoirs publics, secteur privé, et société civile. Ils proposent notamment le lancement d’une « Facilité de l’Economie Inclusive pour le Développement (FEID) » qui pousserait « les représentants des bénéficiaires, les développeurs des projets, les investisseurs, et les acheteurs des externalités produites » à s’entendre pour le succès des opérations en faveur de la population locale…

Un dernier facteur est à mentionner lorsqu’on évoque la situation de l’Afrique dans la mondialisation. Pour des raisons historiques évidentes, le continent dispose d’une importante diaspora qui souhaite aujourd’hui contribuer au dynamisme du cinquième continent… Parmi les personnalités évoquées précédemment, un bon nombre d’entre elles sont plus ou moins dans ce cas, on pense évidemment à Barack Obama mais aussi au professeur Olu Okotoni, à l’homme d’influence Richard Attias, ou encore au journaliste Michel Lobé Ewané. D’ailleurs, Alpha Oumar Konaré, rappelait à Paris en 2005, lorsqu’il occupait encore ses fonctions de président la commission de l’Union Africaine : « l’Afrique ne peut pas avoir de devenir sans la diaspora qui est aujourd’hui une partie intégrante du continent et qui va au-delà de l’Afrique physique, une Afrique sans frontières ». Cependant, l’accueil réservé à cette diaspora n’est pas toujours des plus chaleureuse, notamment par les Africains de souche restés aux pays. Cette problématique a été au coeur  des travaux de l’Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen lors d’un colloque organisé au Sénat, le 15 mai dernier…