L'information nous vient d'Arrêt sur Images, ex émission de télé de décryptage et critique des médias, désormais bannie du petit écran et réfugiée sur Internet : le 14 septembre dernier, le ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, était invité de RMC-Info.

 Interrogé sur la possibilité de créer une filière commune au bac, il répond qu'il s’agit «d’une question qu’on peut débattre, c’est certainement une orientation vers laquelle il faut aller, qui mérite d’être retenue». L'AFP en tire alors une dépêche, titrée Darcos se lance dans une réforme du bac général. Or le ministre avait promis de ne pas annoncer de réforme sans concertation ni avant 2008 !

Les syndicats sont donc furieux : «On parle de réformer le collège unique et on voudrait faire un bac unique ? J’ai du mal à voir la cohérence du projet derrier», persifle ainsi par exemple Floréale Mangin, présidente de l’Union nationale lycéenne (UNL). Et Roland Hubert, secrétaire général du Snes-FSU (majoritaire), tempête : «Il nous a dit mardi dernier qu’il ne ferait pas de "déclarations qui engagent" avant 2008, on ne peut pas concevoir le dialogue social comme ça !»

La rédaction en chef cède devant l'injonction ministérielle.
Le cabinet de Darcos est en ébullition : pour éteindre le feu, il faut faire disparaître l'annonce compromettante… Comment ? Facile, il suffit de demander à l'AFP de changer le titre de sa dépêche ! L’intersyndicale de l’AFP (SNJ, SNJ-CGT, FO, CFDT, Sud) raconte : «A publication, le directeur de cabinet du ministre a appelé Jean-François Vignolle, directeur-général de l’AFP qui n’est pas concerné par les questions rédactionnelles, pour lui demander de modifier le titre de la dépêche.

Message transmis à la rédaction en chef France qui, après lecture de la dépêche incriminée, estime cette requête infondée, contacte l’auteur de la dépêche, puis compte-tenu de l’insistance du ministère, renvoie plus haut dans la hiérarchie.

On attendrait de cette dernière qu’elle propose au ministère d’envoyer un démenti ou une mise au point. Mais non et peu avant 22H00, le papier réapparaît, de l’origine de la rédaction en chef, avec la mention CORRECTION et pour seule explication "revoici avec titre corrigé", sans initiales de validation de la RDC.

La version modifiée sans explication ni raison est diffusée, l’auteur, prévenue, ayant jeté l’éponge. C’est inadmissible et pour tout dire honteux ! Pour l’Agence, ses journalistes et sa hiérarchie.»

Dans la nouvelle version de la dépêche, exit une réforme du bac général : Darcos songe simplement à un rééquilibrage des filières. La rédaction en chef de l'AFP s'est donc couchée de façon servile face à l'injonction ministérielle.

L'intersyndicale ne décolère pas : «Notre dignité de journalistes et la crédibilité de l’Agence en France et à l’étranger sont incompatibles avec une telle attitude qui laisse penser que nous deviendrions une vulgaire agence de com’ du gouvernement», écrit-elle dans un communiqué rageur titré L'AFP n'est pas l'agence Tass ! Voilà comment, aujourd'hui, un ministre peut en toute impunité manipuler l'information.

Manifestation le 4 octobre
Manifestation_contre_les_expulsions_13_03__2004_600x450C'est dans ce lourd climat que l’intersyndicale de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT, SJ-CFTC, SPC-CFE-CGC, SJ-FO) appelle à un grand rassemblement des journalistes et des citoyens ce 4 octobre à 18h au Musée social à Paris.

«Depuis des mois, les coups de boutoirs portés à la liberté de la presse sont de plus en plus violents. Rarement l'indépendance des journalistes n'avait été autant bafouée. Rarement, l'un des droits fondamentaux du citoyen, à savoir l'accès à une information honnête, complète, pluraliste et indépendante des pressions politiques, financières et commerciales, n'avait été autant menacé. La situation est grave. Les exemples pullulent : la mainmise de quelques grands industriels – dont les liens avec le pouvoir en place ne sont plus à démontrer – est une situation unique en Europe.

Même les Etats-Unis ne connaissent pas un tel phénomène. Des journaux, des émissions, des postes de journalistes disparaissent. Restructurations et plans sociaux se succèdent à un rythme effréné. Les pressions exercées sur les journalistes atteignent des sommets dignes d'une république bananière. Les cas de censure deviennent monnaie courante. Les rédactions sont perquisitionnées au mépris même de la loi.

Face à cette situation d'une extrême gravité, les syndicats de journalistes, garants des intérêts moraux et du statut d'une profession indispensable au droit à l'information des citoyens, ont décidé, pour la première fois depuis 15 ans, de se rassembler pour passer à l'action. Ils appellent les journalistes et les citoyens à s'engager avec eux pour gagner la bataille de l'indépendance.

Les médias, dans leur diversité d’expression, devraient contribuer à préserver et à renforcer la démocratie. Les journalistes n'ont en aucun cas vocation à faire passer un message au profit d'un intérêt particulier. Ils doivent, et avec eux les patrons de presse, avoir le souci constant de respecter la déontologie de la profession, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.

L'information ne se confond pas avec de la communication, et doit encore moins être prise pour une marchandise. La République française et ses représentants élus par le peuple doivent garantir le respect de ces principes.» Si vous aussi, vous pensez que «L'information est un droit fondamental de tout citoyen, qui commence par le respect du droit d’informer», rendez-vous dans la rue le 4 octobre.