Avec L'Affaire Dolet, Jean-François Lecompte apporte une approche nouvelle sur Étienne Dolet, cet humaniste, érudit et imprimeur-éditeur-libraire, et de fait journaliste, qui sera un martyr de la liberté de pensée, d'opinion et de presse (au sens large) sous le règne de François Ier. Les éditions Éditer (e/dite) ont ainsi marqué le cinq-centième anniversaire de la naissance d'Étienne Dolet. À l'heure où l'éditeur Julien Coupat est embastillé, tout comme on avait naguère voulu faire taire Jean-Édern Hallier et d'autres, il n'est pas inutile – c'est une litote – de s'intéresser au sort de Dolet, « authenthique martyr de la liberté ».
Une approche érudite
Jean-François Lecompte est un médiéviste, spécialiste de l'ésotérisme, qu'il aborde en érudit et en s'intéressant aux pensées, interrogations et idées dominantes (avec Le Diable dans tous ses états ; Nombres templiers ; La Symbolique du Graal ; Spirales, Une Histoire du monde, pour les éditions Éditer). Comme on peut le lire sur le site du chapitre francophone de l'ATypI (Association typographique internationale), Typographe.com , Dolet était sans doute féru de symbolique et congru, peut-être, en occultisme, tout comme il l'était en latin et grec. Faisait-il vraiment partie de l'A.g.l.a, cette société secrête maçonnique (selon une acceptation ancienne de regroupement d'apprentis, compagnons et maîtres en corporations) lyonnaise qui serait à l'origine du Quatre de chiffre, symbole si souvent repris dans les marques d'imprimeurs ? C'est possible, quoique Dolet n'ait justement pas repris ce 4 dans sa marque, lui préférant la hache équarisseuse et le bois qui évoque la pierre brute. L'apport de Jean-François Lecompte est d'avoir éclairé cet aspect sans trop s'y attarder et d'avoir fait œuvre d'éditeur, de directeur de collection, en rapprochant des textes, adapté en français moderne des écrits de Dolet, et abondamment illustré l'ouvrage. On trouvera sur le site des éditions et sur Le Typographe , une description du sommaire.
Victime de la clergie, lâché par le Roy
Dolet, comme Marot et Rabelais, qui écrivaient ou publient en fransoué, avaient, selon le vœu de François Ier, opté. Il s'opposait ainsi à la clergie de la Sorbonne attachée à la prééminence du latin, tout comme il avait favorisé, à Toulouse, les étudiants étrangers qui transitaient par son université entre celles d'Espagne et d'Italie. Soit, aussi, entre ce qui restait du monde maranne et andalus en péninsule ibérique et Venise ou Naples. Histoire de mœurs, de libertés sexuelles et d'orientalisme… et d'hégémonie politique et religieuse. Le roi François avait été l'allié de la Sublime Porte. Il sentait ainsi le soufre. Dolet fut brûlé place Maubert, le feu étant alimenté par des livres séditieux (de la Réforme et d'autres courants philosophiques ou spiritualistes), place portant le nom de l'alchismiste à qui l'on doit les Albert (Secrets merveilleux de la magie naturelle et cabalistique du Petit Albert…). On sait aussi que François était au fait du langage des Golliards et de ces ennemis de l'église romaine qu'étaient nombre de gens d'esprits, souvent agnostiques, prétendant être Réformés ou Catholiques romain quand il fallait absolument choisir un camp, ou quand, comme les judaïstes ou musulmans, il fallait plier devant l'Inquisition, machine de guerre tant religieuse que temporelle.
Toute ressemblance avec la proximité de certains cercles de l'actuel pouvoir à l'égard de l'Opus Dei, toute allusion au sort réservé à Julien Coupat est abusive, nulle et non avenue, et forcément outrancière, cela va de soi. C'est encore moins clair en l'écrivant que les menées d'instrumentalisation de groupes ou d'individus sont par nature obscures. Ce qui est sûr, c'est que Dolet fut immolé dans la plus grande précipitation, peut-être pour que la clergie puisse prendre de court le roi, protecteur de Dolet, possiblement afin qu'il ne puisse être écrit que le roi avait lâché Dolet dont il s'était servi un temps et qui devenait incontrôlable. Ce serait une autre thèse, une autre Histoire.
Jean-François Lecompte ne va heureusement pas jusque là ; ce serait prendre le risque de passer pour un farfelu, un agitateur.
De Séguier à Seguin
Philippe Séguin, actuel président de la Cour des comptes, est un membre éminent de la clergie actuelle. On lui prête l'intention de vouloir allègrement servir ses intérêts en courant le portefeuille, quitte à renier la quasi-aversion que lui inspire l'entourage, voire la personne incarnant le pouvoir. Pourrait-il reprendre à son compte, à propos de la détention de Julien Coupat, la supplique qu'adressait au souverain son illustre prédécesseur, l'avocat général Séguier ? Il s'agissait des pouvoirs de l'Inquisition. « Nous abhorrons un tribunal de sang où la délation tient lieu de preuves (…) donnez à la nation un édit qui ne couvre pas votre royaume de bûchers… ». Les bûchers sont devenus Karcher et Taser, c'est un moindre mal…
Et on ne garotte plus en détention, on favorise simplement les suicides.
Jean-François Lecomte se contente de citer Séguier et Dolet. C'est déjà beaucoup.
Quand on m'aura ou bruslé ou pendu,
Mis sur la roue, et en cartiers fendu,
Qu'en sera-t-il ? Ce sera ung corps mort.
Las ! toutesfois n'auroit-on nul remord
De faire ainsi mourir cruellement
Ung qui en rien n'a forfait nullement ?
Voire. On dit que, pour ne pas perdre la face, on relâchera Julien Coupat après les élections, lorsque les voix demandant sa libération seront mobilisées par d'autres causes. Attendons de voir…
Voir aussi :
• Le timbre commémoratif Dolet (sur Le Post)