Lady Diana Spencer, princesses de Galles, mais aussi Jean de Broglie, côté aristocrates, et chez les manants, John F. Kennedy, Robert Boulin, et quelques autres… « On ne saura jamais… », disent les unes, « c’est sûr, ils gênaient trop… », assurent les autres. Et le « on ne veut surtout pas que nous sachions » finit parfois par prendre le dessus. C’est un peu ce que le réalisateur d’un documentaire sur Lady Di et son compagnon, Dodi Fayed, tente de plaider. Pas sûr car encore et toujours incertain.

Présenté à Cannes, sortant ces prochains jours en République d’Irlande, le documentaire de Keith Allen, Unlawful Killing, serait l’objet d’une cote unlawful screening (visionnage ou contre-enquête, selon les acceptions), au Royaume-Uni. C’est du moins ce que le cinéaste affirme dans une tribune libre publiée par The Independent.
Les Britanniques n’auraient pas, selon son réalisateur et diverses sources, la possibilité de voir Unlawfull Killing, documentaire dont l’une des hypothèses est qu’une voiture suiveuse (et non des motards photographes) aurait provoqué la mort de Lady Diana, de Dodi Fayed et de leur chauffeur, Henri Paul. La supputation n’est pas nouvelle, mais serait-ce réellement cet élément central qui retarde (ad vitam ou non) la sortie d’Unlawfull Killing ?

Une partie de la presse a boudé ou traité avec une forte distance tant Keith Allen que son documentaire sur la mort du couple Lady Di-Dodi Fayed. Il est concevable que le financement de la réalisation ait été assuré par Mohamed al-Fayed aura pu influencer la réception de ce document. Le relever va de soi.
Avancer qu’il se serait produit une sorte de complot des médias (britanniques) pour discréditer tant le documentaire que son réalisateur est sans doute exagéré.
Keith Allen, dans sa tribune libre de The Independent, le laisse penser. Bah, c’est un bon truc promotionnel.
Cela ne veut pas laisser imaginer que Keith Allen déforme tout à fait l’ensemble de ce qu’il a pu constater : des critiques sont restés très tièdes, d’autres ont peut-être forcé le trait…

De même assure-t-il être « bâillonné » au Royaume-Uni. La réalité est quelque peu plus nuancée. Sa création finira possiblement par être projetée de Land’s End à John O’Groat, plus ou moins amputée de certaines séquences. On peut le déplorer tout comme il est sans doute regrettable qu’un documentaire sur le Rwanda puisse être vu par des protagonistes en France avant sa diffusion : des personnalités rwandaises, réfugiées en France, avaient demandé à visionner Génocide au Rwanda : des tueurs parmi nous ? Ce documentaire sera diffusé par France 2 le 28 juin (20 heures 40).

Là, presque tous les intéressés et leurs conseils ont pu voir ce documentaire. Donc, par exemple, le prince consort, Philippe, époux d’Élizabeth II, figurant sur un extrait d’archives en compagnie de nazis notoires. Le prétexte serait plutôt le délit d’injure(s) à magistrat(s), contempt of court, découlant de ce qu’un fonctionnaire (un expert-juré, un coroner, chargé de l’enquête) ait pu siéger. Son enquête aurait donc pu être partielle, voire partiale. C’est constant, non disputé : il a écarté un peu rapidement certains approfondissements de piste, ou en a donné l’impression.

En déduire que, si, par exemple, l’amputation du passage relatif à ce fait pour une diffusion au Royaume-Uni, empêcherait le public de se faire une opinion (à savoir qu’un chauffeur ne maîtrisant pas son véhicule et les circonstances de l’accident seraient seuls en cause ou qu’au contraire il y aurait complot par l’establishment), c’est un peu abusif. Cela m’évoque davantage la belle réplique, fort bien amenée, de Maurice Clavel (« Messieurs les censeurs, bonsoir… »), lors d’une émission de télévision (alors qu’il savait plus ou moins de quoi il en retournait et qu’il en aurait profité pour faire une sortie spectaculaire et, partant, beaucoup plus commentée).

Keith Allen n’hésite pas à évoquer l’affaire Dreyfus. Rien que cela ! Lady Di a consigné dans une note (journal intime ? autre ? plutôt une lettre à son frère…) que son époux, le prince Charles, aurait pu envisager qu’elle soit victime d’un accident. C’est fort possible, mais tout est question de contexte. C’est un peu faire de Lady Di une sainte Thomasine (d’après saint Thomas Becket, de Cantorbéry, dont le roi Henry aurait dit : « n’y aura-t-il personne pour m’en débarrasser ? »).

Dans une histoire de financement de partis politiques (et surtout d’individus se présentant occasionnellement en tant que collecteurs de fonds), il me fut avancé qu’un accident pourrait fort bien survenir et viser mes enfants. Avec le recul, j’estime qu’il a pu s’agir d’une menace en l’air, qui n’aurait été suivie d’aucun effet. Autant (et au temps…) pour « la version contemporaine de la fameuse affaire Dreyfus, » invoquée par Keith Allen. Je ne le contredis pas frontalement, j’estime qu’il se hausse peut-être du col, certes en toute ou partielle sincérité, mais  aussi en exagération.

« Jusqu’à présent » (à l’exception bien sûr de l’hôte, The Independent), « la presse britannique a joué un rôle détestable et complaisant » (shameful and obsequious role) en appui des thèses officielles. Une partie de la presse britannique, éventuellement, admettons, mais dans quelle mesure ? Le déterminer est ardu. On peut toujours adapter, sous-traduire, sur-traduire, interpréter voire déformer un peu tout, y compris ses propres sentiments, sa perception de « sa » réalité ; parfois improprement (ce qui peut conduire à mettre « salement » en cause telle personne ou tel groupe).

Cela vaut pour toutes et tous et le fameux « tout le monde savait » (appliqué à DSK, à Luc Ferry, voire à Georges Tron ou même Philippe Douste-Blazy, copieusement épinglé par le Canard enchaîné… à présent en raison de ses cordiales relations avec le docteur Jacques Servier), s’interprète diversement. D’une part, très souvent, une partie notoire de la presse avait pu – et su – faire état des faits ; d’autre part, l’argument est souvent infondé car n’ayant aucune valeur de preuve.

L’unlawful screening (ici, la contre-enquête) n’a pas été, que l’on sache, sur le fond, décrétée illégale par on ne sait trop quelle autorité occulte agissant dans l’ombre. Certes, le doute subsistera, et Keith Allen peut conclure que son film ne sera pas enterré si aisément. Pour Diana, c’est moins sûr.

Décédée de mort naturelle jusqu’à nouvel ordre, Mary Alexandra Victoria de Saxe-Cobourg-Gotha et d’Édimbourg, la reine Maria de Roumanie, était en son temps une beauté admirée de l’Europe entière. Sa vie fut quelque peu tumultueuse, et cette descendante des familles royale d’Angleterre et impériale de Russie, qui aurait pu régner sur le Royaume-Uni, est aussi passée à la postérité pour ses œuvres charitables (la Croix Rouge, et sa promotion de la foi baha’ie).
Deux de ses enfants sont supputés être issus des reins de son amant notoire. On ne sait trop d’ailleurs si la danseuse Lois Fuller était aussi sa « danseuse » (protégée, si ce n’était amante).
La statue de son parc éponyme à Timisoara la magnifie depuis peu.
En sa maturité (la quarantaine passée), elle était encore plus éblouissante que lors de sa prime jeunesse et ses détestables relations avec le roi Ferdinand, son aîné, lui valaient bien des sympathies. Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existant ou ayant existé…

En dépit de ses convictions religieuses syncrétistes, il se pourrait que l’église autocéphale roumaine finisse par canoniser la reine Marie. Avec Diana Spencer, présumée martyre, il faudra bien davantage que le documentaire de Keith Allen pour que l’église anglicane fasse de même, oserai-je avancer.

De là à en déduire que « la presse » (que je me targue peu de représenter, même modestement) ferait plus grand cas de Maria regina que de la prințesă Diana, il y a un pas, qui n’est nullement un yawning chasm (gouffre béant), mais comme un soupçon d’exagération, non ? Je m’en garde donc.

N’ayant pas vu ce documentaire, je n’écrirai pas qu’il est propre à faire bailler (yawning your head off, à s’en décrocher la mâchoire), comme, selon son auteur, une certaine presse l’aurait fait.

Je ne sais donc si le film établit vraiment que la présumée conspiration fut surtout le fait d’un conducteur (celui de la voiture « suiveuse » et non « suivante » dans ce cas) ou de l’opportunité, impliquant les secours français si cela était considéré central, offerte par un accident fortuit. Selon Keith Allen, Lady Diana était non seulement vivante, mais peut-être facilement soignable au moment de la collision. Il aurait été décidé alors, selon cette supputation, de tirer parti de l’« aubaine » (le docteur Jean-Marc Martino n’aurait pas vraiment efficacement porté secours à une personne en danger de mort selon une déclaration assortie de conditionnels de Keith Allen au Daily Telegraph). La véritable conspiration aurait consisté soit à couvrir une suite de circonstances fâcheuses (pour la réputation de personnes) ou douteuses (sujettes à controverses et soupçons incriminants).

Lors d’une désincarcération, bien des actes médicaux ne se déroulent pas comme à l’exercice et faute de document visuel, les dires de ceux y ayant concouru peuvent être par la suite contradictoires et difficilement vérifiables : on peut aisément comprendre pourquoi. Les protagonistes n’en sont pas des témoins fiables, sans que cela mette en cause leur bonne foi. Cela vaut aussi a posteriori pour des « observateurs » extérieurs, tel Keith Allen, qui se forment une opinion.

Comme l’écrit Keith Allen dans The Guardian, avec la conviction du médialogue d’occasion, « l’Internet est un mur de pissotière universel, un mélange rabelaisien de vérités, mensonges, loufoqueries et humour. ». Pour lui, non, la CIA ne peut se voir imputer l’assassinat d’une princesse britannique mais la famille royale d’Angleterre aurait pu souhaiter voir confier Lady Diana à une institution psychiatrique, ce qui n’est pas la destination naturelle de Mohamed al-Fayed, en dépit de son insistance à vouloir révéler une autre vérité que l’officielle

Allen ne joue sans doute pas le paranoïaque lorsqu’il estime à demi-mots (dans The Guardian) que la presse britannique aurait pu subir des pressions de la famille royale pour cesser de mettre les conditions de l’enquête en question. Eh, après une Diana, il y a toujours une Kate, et l’accès à la dite Kate peut dépendre de certaines complaisances. Ce n’est pas farfelu de le penser. « Tout comme les aiguilles de tous les compas se tournent vers le nord sans se le voir intimer, certains peuvent présumer de ce qu’on attend de leur part lorsque la raison d’État entre en jeu… ». Toute ressemblance avec des déclarations d’autres personnes en d’autres affaires n’est pas concertée, mais certainement nullement fortuite.

Conventional wisdom. Idée reçue, largement partagée : les généralités ne sont pas toutes totalement fausses, en dépit de quelques exceptions les confirmant telles les règles. D’un autre côté, y compris pour préserver l’avenir et sa diffusion, quel homme de presse ne rêverait-il pas de faire tomber un gouvernement (et une dynastie, allons donc…) pour entrer dans l’histoire (au moins un temps) ?

Ce ne sont pas moins de 87 coupures, selon Allen, que divers juristes voudraient imposer avant une diffusion au Royaume-Uni. Si c’est bien le cas, soit que ce ne soit nullement exagéré, il est admissible qu’Allen évoque « La » Censure. Kate la sucrée aurait fait encore et de nouveau sucrer la vérité sur la piquante ou pimentée Diana et anesthésié les républicains britanniques. Diable, les « dreyfusards » d’outre-Manche hypnotisés ? Joli effet de manche pro domo. Bravo l’artiste !

Trop de causes célèbres tuent la cause célèbre. Chacun la sienne. J’espère que Keith Allen ne m’en voudra pas trop de préférer la cause de Marie de Roumanie à celle de sa tout aussi dessalée Lady Di qui ne mérite pas que sa flamme (celle du pont de l’Alma, bartholdienne, a été dianisée) soit descellée. Non point que l’une vaille davantage de finir à la selle (aux pissotières de la Toile) plus qu’au pinacle que l’autre. Mais tant qu’à seller la médialogie, gardons-nous de trop l’éperonner, elle pourrait bien nous faire vider les étriers.