Le groupe français Lactalis a pris la majorité des parts de l’italien Parmalat et obtenu neuf des onze sièges d’administrateurs de cette société agro-alimentaire spécialisée dans les produits laitiers et les boissons aux fruits. Le premier juin dernier avait été décrété « journée mondiale du lait » (par la FAO), voici donc le premier groupe européen du lait un mois après. D’un lait contenant une vingtaine de produits chimiques par verre ?

 

Le britannique Daily Mail (titre de David Derbyshire : « Ce n’est pas tout blanc : un cocktail de vingt produits chimiques dans un verre de lait ») ne vise pas du tout Lactalis en particulier…
Il fait simplement état d’une nouvelle méthode d’analyse des produits alimentaires élaborée par le dr Evaristo Ballesteros et des équipes de l’université andalouse de Jaen.

 

Des analyses de lait prélevé dans des rayons ou auprès de laiteries en Espagne continentale ou « marocaine », il résulte que des antibiotiques, des hormones de croissance, des analgésiques ou anti-inflammatoires, laissent des traces dans les laits proposés aux consommateurs.

Hormis l’estrone, hormone naturelle, on trouve tout une gamme de produits de synthèse, dont un fongicide et une substance contre la malaria dans le lait de vache. Ils ont des noms comme 17beta estradiol (une hormone du type œstrogène) ou triclosan, naproxen, florfenicol… Bien évidemment, des traces de certains produits se retrouvent aussi dans le lait maternel. En France, où les produits laitiers emplissent des rayons réfrigérants entiers, les mères de famille les affectionnent particulièrement.

Les dilutions rendraient inoffensives toutes ces substances, assure-t-on. Peut-être. De même que la radioactivité naturelle semble toujours plus concentrée que celle provenant de l’énergie nucléaire dans les communiqués des autorités de surveillance (enfin, presque…), il faut donc croire que, même à long terme, boire du lait serait fort bon pour la santé. En tout cas, pas plus dangereux que tout le reste de l’alimentation (exemple : du Prozac a été détecté dans du poisson à l’étal par l’université de Plymouth).

On pourra peut-être se régaler bientôt de caviar ou d’œufs de lump de poissons mâles : certaines espèces, absorbant les résidus de pilules contraceptives non éliminés par les stations d’épuration, se « femellisent ».

Or donc, pour le lait, les anti-inflammatoires dominent, en compagnie des bêtabloqueurs, des antiseptiques, des antibiotiques. L’université Abdelmalek Essaadi (Maroc) s’est aussi livrée à des analyses confirmant les espagnoles. Les substances 17-alfa-etinlestradiol, 17-beta-estradiol et d’autres se retrouvent dans le lait maternel.

C’est un « système continu d’extraction en phase solide » qui a permis d’arriver à ces conclusions. Il est détaillé par les chercheurs Azzouz, Jurado-Sanchez, Souhail et Ballesteros dans le Journal of Agricultural and Food Chemistry (« Simultaneous Determination of 20 Pharmacologically Active Substances in Cow’s Milk, Goat’s Milk, and Human Breast Milk by Gas Chromatography-Mass Spectrometry »).

30 minutes suffisent pour obtenir des résultats sur divers types de laits (frais, entier, écrémé, en poudre, de femmes allaitantes). Commode, et donc pouvant être utilisé par Lactalis ou Parmalat pour… quoi au juste ? Éliminer ces substances, s’assurer que leur concentration est sans danger pour la santé des nourrissons, enfants et adultes ? Mais cela peut-il aussi conduire à financer d’autres études qui assureront que la concentration de ces produits est encore moins dangereuse qu’on l’imaginait ? Le problème de la concentration du capital, c’est que plus un groupe est puissant, mieux il dispose de moyens pour influer sur des décisions nationales ou communautaires.

Pour le moment, la presse francophone belge a repris l’information. « Nous sommes convaincus que cette nouvelle méthode est un moyen efficace de déceler efficacement ce type de composants dans d’autres denrées que le lait », a indiqué le dr Ballesteros cité par 7 sur 7 (.be). D’autres « surprises » sont donc à venir.

Si ces méthodes d’analyse étaient appliquées, les professionnels de l’agro-alimentaire pourraient les mettre à profit pour éliminer ces médicaments. Totalement ? Ainsi, ajoute le dr Balleteros « les consommateurs seraient mieux informés et prendraient conscience que la nourriture est inoffensive, pure, authentique, bénéfique pour la santé et exempte de résidus toxiques… ». Un label « certifié exempt de produits dangereux pour la santé » en gros. En tout petit les dosages des produits au millionième près sur toutes les étiquettes de produits alimentaires ? Ou l’estimera-t-on superflu ?

Mendès France, le ministre qui avait introduit la « goutte de lait » (distribution gratuite de lait) dans les écoles françaises, n’avait pas pensé à faire afficher ou communiquer aux parents les menus des cantines scolaires. Au recto le menu, au verso la liste complète des composants chimiques ou résidus de médicaments vétérinaires : produit par produit, cela permettrait aux parents de se sensibiliser aux études de chimie de leurs chères têtes blondes.

« Milk and Smile » (du lait, du sourire), tel est l’intitulé de la campagne « Moving people by Parmalat ». « Le lait, une ressource essentielle », nous assure Lactalis. Pour résorber le déficit de la Sécurité sociale en recyclant les substances et concocter des médicaments génériques ?

« Le lait est un aliment d’une richesse exceptionnelle », énonce Lactalis. À ce point, on pouvait à peine l’imaginer. C’est une « matière noble » nous assure le site enviedebienmanger (en fait, sans doute, un site de l’industrie agro-alimentaire pour faire « découvrir l’actu des marques »).

Le Lactopôle (groupe André Besnier, filiale Lactalis-Nestlé), « Musée conservatoire mondial des métiers du lait », à Laval, n’a pas encore fait entrer dans ses « principales curiosités » les résultats des recherches espagnoles et marocaines. Le Lactopôle nous convie au « bal des saveurs ». Le Bal des damnés au fond du verre de lait ? Jaques Higelin, dans sa chanson Tête en l’air, voyait « des pots de yaourt dans la vinaigrette » : c’est plutôt une sacrée vinaigrette médicamenteuse qui pédale dans le yaourt !