« Bramabiau, une de ces œuvres grandioses et bizarres que la nature exécute à coups de siècles et qui confondent l’esprit humain. », ainsi s’était exprimé Édouard-Alfred Martel au lendemain de sa première traversée, les 27 et 28 juin 1888, des grottes et de la rivière souterraine de l’abîme de Bramabiau. Et comme l’homme, en extase face à l’opulence spéléologique de cette découverte fabuleuse, n’était pas avare de qualificatifs, il rajouta : « …Caprice de la nature tel qu’on en connait pas de semblable... »,et surencherit : « …Site étrange et singulier, c’est certainement à Bramabiau que les amateurs de grottes risquent le moins d’éprouver une impression de déjà vu… »


La rivière le Bonheur.


A la limite des Cévennes et des Causses, sur le versant océanique du Mont Aigoual, au Nord-Est de Saint-Sauveur Camprieu, – Cam del Rieu, plateau entre deux rivières, ou champs du Prieuré -, à environ deux kilomètres l’une de l’autre, deux petites rivières, le Trévezel et le Bonheur, près du col de la Serreyrède, à l’Espérou, prennent leur source sourdant des spongieux tapis d’herbes qui recouvrent un sol de granit. Ayant creusé leur lit dans les calcaires du petit Causse de Cambrieu enveloppé de sombres et belles forêts, chacune d’elle, au gré de ses humeurs et de la qualité de son sous-sol, façonne sa vallée de façon cavalière.


Alors que le Trévezel entre prairies, pinèdes, chênaies et sous bois de buis, baigne les hameaux de La Fargue, des Monts, de Ribauriès et de Malbosc et s’engage dans des gorges étroites, aux falaises abruptes et vertigineuses, le Bonheur, lui, facétieusement, coule au fond d’une petite vallée longue de quelque cinq kilomètres, s’endort un instant dans un lac aménagé de main d’homme à l’entrée du village, en arrose ses abords septentrionaux, humidifie parcimonieusement des empreintes de dinosaures et, malicieux et cabochard, s’engloutit, en de multiples pertes, dans le Causse de Camprieu.


Le labyrinthe de rivières souterraines du Bonheur.


Les pertes du Bonheur se situent, à quelques pas au Sud-Sud-Ouest deSaint-Sauveur Camprieu, après l’aven éboulé du Balset, sous une kyrielle d’interstices et de fissures et principalement sous une grande dalle calcaire partiellement effondrée laissant apparaître, au fond d’un gouffre d’une dizaine de mètres de profondeur, la rivière qui, creusant un gigantesque tunnel d’une trentaine de mètres de large sur plus de 250 de long, s’enfonce au cœur des calcaires liasiques.


Pénétrant dans la falaise karstique, un chevelu de ruisseaux souterrains taraude l’élément minéral et trace un véritable dédale de boyaux de plusieurs kilomètres avant de réunifier ses bras tentaculaires, de reparaître, à l’air libre, par une haute et étroite diaclase de 70 mètres déchirant, plein centre, la paroi abrupte, et de jaillir, en une fantastique cascade, dans le cirque rocheux de l’Alcôve. Alors que les rhapsodes le versifient et le sacralisent en « Bout du Monde », les géologues, en termes académiques, appellent le demi-crique, aux parois verticales, escarpées, de 80 à 110 mètres de surplomb, dans lequel naît ou resurgit une source, une « reculée karstique. »


Tel un porte-voix monumental, de l’ample et sombre crevasse qui décarne la falaise, rejaillit, dans un bouquet spumeux, la rivière du Bonheur. Par gros temps et fortes eaux, le bruit produit, par la chute majestueuse, rappelle le meuglement du bœuf, le « bramabiâou » en patois local, d’où le « bramabiau ou Cri du boeuf » toponyme qui a été affecté, depuis des temps immémoriaux, à cette cavité d’exception dont l’exploration, par Édouard-Alfred Martel, en 1888, porta la spéléologie sur les fonts baptismaux.


L’abîme de Bramabiau.


Outre son entrée majestueuse, le site de l’Abîme de Bramabiau est, avant tout, un immense réseau souterrain d’environ 11 kilomètres de galeries explorées, gruyèrant, sur près de 2 kilomètres carrés, le Causse de Camprieu. Depuis la zone des pertes jusqu’à la résurgence, – le ruisseau du Bonheur changeant de nom pour devenir le Bramabiau qui conflue, quelques 5 kilomètres plus loin, en dessous des mines de plomb argentifère et de zinc de Vallemagne, avec le Trévezel -, il permet de suivre les caprices créateurs de l’eau, et son extrême patiente à sculpter les éléments minérals.


Dans cet univers de pierre, tout y est spectacle subliminal dans une symphonie de couleurs, de sons et de silences, beauté pontifiante et farouche aux multiples facettes, architecture monumentale élaborée avec une habileté et une dextérité inimitable dont seule la nature artiste en possède le don, un art inimitable qui continue de faire son œuvre et à la pérenniser, Au plan géologique, la structure complexe du Bramabiau est un modèle parfait pour expliquer la formation des boyaux caverneux en milieu karstique. Enfin, paléontologiquement, l’Abîme est un sanctuaire préhistorique à tel point que les oryctologues et les paléoanthropologues conçoivent qu’il a pu être, au Paléolithique et au Néolithique, un temple dédié à une divinité.


Si Edouard Alfred Martel accompagné de Marcel et Gabriel Gaupillat, Philippe Cheilley, Émile Foulquier, Hippolyte Causse, Louis Armand, Claude Blanc et Émile Michel, en a effectué la première traversée les 27 et 28 juin 1888, découvrant 1,700 mètres de galeries, le 15 septembre 1890, un jeune instituteur Félix Mazauric, en compagnie de son compère et ami Randon, dans une série de 11 explorations au cours de la même année, en a porté, établissant sa topographie, le développement à 6.350 mètres. En 1924, Henri de Lapierre est à l’origine de la découverte d’un entrelacement de nouveaux conduits labyrinthiques que Pierre Maréchal, à partir de 1951, a complété, sans relâche, l’exploration du « labyrinthe Lapierre ». Les dernières découvertes, sur le site de Bramabiau, datent, pour le complétif du « réseau Mazauric », de 1982, portant le réseau dédaléen à 10.720 mètres dont seulement 1.000 mètres sont livrés au public.

Nul doute que de somptueuses trouvailles sont encore à identifier et à éventer…

Raymond Matabosch.