Un temps sur la retenue face aux révoltes arabes, la Turquie a longtemps cru possible le choix de la neutralité bienveillante. Mais l’aggravation de la situation syrienne fait explicitement ressurgir le grand risque que les révoltes arabes font encourir à Ankara : la perte de son influence géopolitique. D’où la contrainte, pour elle, à un peu plus d’esprit d’initiative diplomatique devant la cruauté de la répression syrienne.


 

 Révolte en Egypte, révolte en Tunisie, au Yémen, au Bahreïn et en Syrie. A cela s’ajoute la guerre en Libye. Depuis 6 mois le Moyen-Orient n’en finit pas de s’agiter. Et au centre de cette fournaise, un pays qui tente de sauver ce qui est encore « sauvable » pour sa propre sécurité et surtout pour sa propre influence géopolitique : la Turquie.

Incontestable leader diplomatique de la région, en termes de dynamisme tant économique que diplomatique et culturel, la puissance anatolienne se trouve aujourd’hui  à la croisée des chemins. Il va lui falloir se montrer un peu plus audacieuse, comme semble l’attester le choix, maintenant explicite, d’accueillir sur son sol des milliers de réfugiés syriens ; là où il y a peu elle semblait encore hésiter sur la question.

Cruelle ironie de l’histoire pour Ankara qui patiemment, ces dernières décennies, tissa sa toile pour apparaitre comme l’incontestable leader régional. Et qui aujourd’hui se trouve face au risque de tout perdre devant l’avancée des revendications démocratiques des peuples constituant sa périphérie. Ironie d’autant plus cinglante que tout ce que réclament les peuples arabes est à la base du « soft power » turc (liberté, démocratie, laïcité, pluralisme…).

 

Toute une politique de puissance à reconstruire


Car ne nous y trompons pas la montée en puissance de l’hégémonie régionale turque avait les mêmes carences morales que les logiques de dominations occidentales sur la région, mais avec un handicap en plus pour Ankara : l’opposition à Israël.

En effet la Turquie aussi posait comme base à sa politique le maintien des régimes arabes en place, superbe gage de stabilité et surtout d’enrichissement économique pour un pays frôlant avec les 9 % de croissance annuelle. Un temps même la frilosité turque face aux révoltes tunisienne et égyptienne parut être le signe d’un possible regain de puissance turque dans la région. En effet, là où les occidentaux avaient été accusé par les autres régimes despotiques de lâcheté lorsqu’ils « abandonnèrent » Ben Ali et Moubarak, existait, en opposition « la cohérence turque », qui jusqu’au bout, au moins en apparence, se refusa à un tel pragmatisme. Les despotes de la région y voyant un argument pour se rapprocher d’Ankara et délaisser l’allié européen ou américain. Option pouvant annoncer un regain de puissance turque si le printemps arabe ne s’était depuis lors propagé. 

Car le printemps arabe s’aggravant il a fallu choisir pour la Turquie. Ce n’est qu’avec retard qu’elle exigea de Kadhafi qu’il parte. Tétanisée par la contagion de la révolte, Ankara se montra totalement silencieuse face aux problèmes du Liban, resté quatre mois durant sans gouvernement.

 

L’inextricable dilemme syrien


Puis le cas syrien s’aggrava et là pour la Turquie tout se compliqua encore un peu plus. Car la Syrie représente un défi politique de bien plus grande importance que tout ce qui s’est présenté jusqu’à présent. A cela une raison majeure : la Syrie se trouve au cœur de la politique moyen-orientale turque. Que le pays s’enfonce dans la guerre civile et les turcs auront à affronter une révolte kurde à leurs frontières. Sans compter les risques de chaos qu’une chute du régime alaouite occasionnerait au Liban ou en Jordanie.

Mais la proximité avec la Syrie n’est pas qu’uniquement géographique ou diplomatique. Les intérêts économiques turcs s’y sont aussi multipliés à une vitesse folle ces dernières années (échanges commerciaux en hausse de 43% en 2010 entre les deux pays). Preuve de cette unité de destins entre les deux pays, on a vu se multiplier les scènes de rapprochement politique entre eux. Ankara et Damas ont ainsi, depuis 2005, multiplié les actes symboliques. Tenues de Conseils des ministres en commun, concertations politiques communes ou bien encore manœuvres militaires conjointes.

D’où le casse-tête politique que le cas syrien présente pour la Turquie ; forcée en toute hâte de redéfinir non ses priorités géopolitiques (la Syrie reste importante pour elle) mais les moyens mobilisables pour correctement en disposer. Car si la Syrie est d’importance pour la diplomatie turque c’est en tant que pays et non eu égard à son régime. Ce que cherche actuellement la Turquie c’est maintenir intacte sa relation prioritaire vis-à-vis de la Syrie, mais sans pour autant apparaitre comme un défenseur du régime Alaouite.

Position très inconfortable poussant la Turquie à plaider la retenue et l’ouverture vis-à-vis de Bachar ; dont elle connait tout des impossibilités auxquelles le voue la brutalité de son clan. Et ce alors que la Turquie se voit contrainte par l’opinion mondiale et sa propre opinion, qui récemment vota pour un parti islamiste, d’offrir l’asile aux frères musulmans syriens. Individus politiques parmi les plus détestés par le régime syrien et dont l’idéologie ne s’éloigne pas tant que ça de celle de l’AKP récemment réinvesti par le peuple turc.

Le dilemme s’aggrave encore, pour se généraliser à l’ensemble de la région, lorsqu’on sait que la Turquie cherche à se renforcer dans la région en apparaissant comme le laboratoire d’une « démocratie-islamiste », pendant musulman de la démocratie chrétienne européenne. Or qui promeut une telle option ? Certains de ceux se trouvant en opposition avec la politique du statut quo dans la région.

http://ovipot.hypotheses.org/5631

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jIZ1U5tmOHVlJ2LdaUbVZ7LPpSqw?docId=CNG.4c73619aa60eee55405ed45735b9c7e5.301

http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article4945

http://ovipot.hypotheses.org/5481

 

 Grégory VUIBOUT