L’Europe a vécu son état de grâce durant "les trente glorieuses", expression utilisée par Jean Fourastié, et qui traduit l’importante prospérité (on peut même parler d’âge d’or) que connut l’Europe de l’ouest durant la période 1945-1975.

Cela s’explique par plusieurs facteurs, et notamment par les importantes destructions issues de la Seconde Guerre Mondiale, qui obligèrent les pays touchés par la guerre à se reconstruire avec l’aide du plan Marshall.

Et si l’Allemagne de l’Ouest fut occupée par les forces armées des pays vainqueurs de la guerre (dont les Etats-Unis, l’Angleterre et la France), elle bénéficia du parapluie nucléaire mis en place par les forces de l’Otan quand Staline décida, au nom d’une Union Soviétique qui signa elle aussi les accords de Yalta, d’envahir l’Europe de l’Est et d’intégrer de force les pays de cette région dans le giron communiste.

Sur le plan politico-économique,  les pays d’Europe de l’Occident qui s’étaient combattus durant la guerre, décidèrent, à l’initiative des Français Jean Monnet et Robert Schuman, de créer une Europe fondée au départ sur l’alliance entre deux pays qui se détestaient jusque là en raison de trois guerres successives : à savoir la France et l’Allemagne, auxquelles viendront immédiatement s’ajouter les pays du Bénélux et l’Italie, pour fonder ensemble la première communauté européenne (elle qui fut d’abord économique, avec la gestion des ressources associées à l’exploitation du charbon et de l’acier, avant de devenir non seulement une zone de libre échange par suppression des barrières douanières et tarifaires, mais également un espace politique doté des ressources nécessaires pour soutenir les pays en difficulté et, avec le temps, pour maintenir les taux de change des devises des pays membres à l’intérieur de fourchettes déterminées.

Il faut néanmoins préciser que cette Europe-là n’avait comme membres que des pays capitalistes développés, et non des pays communistes ou des pays vivant, comme la Grèce, sur les confins du continent européen.

Quant à l’idéologie présidant à cette Europe-là, si elle fut chrétienne-démocrate, ou chrétienne sociale, dans sa toute première mouture, elle deviendra de plus en plus social-démocrate avec le temps.

Sur le plan monétaire, le Serpent du même nom (nom qui vient de la nécessité de maintenir les devises des pays membres dans des fourchettes déterminées), sera remplacée par la monnaie unique connue aujourd’hui sous le nom d’euro, celle-ci étant gérée par une BCE composée, le plus souvent, de membres issus des anciennes banques centrales des pays ayant intégré le giron de l’euro. 

 

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Sur les plans structurel et conjoncturel, si cette Europe-là connut l’existence des cycles  économiques liées aux respirations de l’économie capitaliste (avec des phases d’essor, de surchauffe, de krach, de récession, et de redémarrage), l’inflation se propagea, dans les pays d’Europe, suite à l’abandon de l’étalon-or par le président Nixon en 1974, ce qui conduisit à une baisse du dollar en or, et à la baisse subséquente de toutes les monnaies européennes.

Et c’est parce qu’il exista une très forte inflation, dans les années qui suivirent 1974, que les théoriciens de l’économie changèrent leur fusil d’épaule en devenant non seulement des monétaristes, mais des gens qui croyaient, et qui continuent à croire, dur comme fer,  que le libre marché dans tous les domaines est la panacée permettant à tous les êtres humains d’accéder au bien-être économique et social.

 

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Dès cet instant, on assista donc, dans l’Europe de l’Ouest, à la privatisation des entreprises publiques (y compris quand, comme en France, le pouvoir était aux mains des socialistes), à la suppression tendancielle de toutes les protections douanières et tarifaires, ainsi qu’à la libéralisation progressive du marché du travail; sans parler de la gestion des assurances et des retraites par des organismes privés qui ne se privèrent pas, recherche du profit oblige, de spéculer en bourse avec l’argent des assurés.

Et si le gain spéculatif permit aux gestionnaires et aux assurés de croire à la Terre Promise, le krach boursier (on songe ici à celui de 2008) ramena les seconds sur terre, pour ne pas dire dans les enfers de la précarité.

 

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Du côté de la politique internationale, l’année 1989 vit la fin du communisme et l’intégration des anciens pays communistes (y compris la Chine) dans le giron de l’économie capitaliste, toutes choses qui perturbèrent considérablement l’équilibre bi-polaire qui existait jusque là.

 C’est ainsi que l’on assista à un transfert,  non point tant de la technologie elle-même, que des unités de production qui jusque là résidaient aux Etats Unis et dans les pays de l’Europe de l’occident, et qui désormais, au nom des délocalisations voulues par les responsables des entreprises multinationales, prendront  le chemin de la Chine, de l’Inde, et finalement de tous les pays dotés de protections inférieures, sur le plan social ou environnemental, aux pays du premier monde.

Et si les entreprises du premier monde ne se rendront pas directement dans ces pays, elles le feront indirectement en confiant leur production, à des prix pour elles fort rémunérateurs,  aux entreprises sous-traitantes issues de ces pays. 

Or tout cela, si l’on regarde dans le passé,  eut pour effet d’augmenter le chômage dans les pays riches, lequel continuera d’augmenter, dans le futur, si les pays du premier monde ne parviennent plus à maintenir leurs avantages comparatifs, ceux-ci reposant essentiellement sur les innovations en matière technologique.

 

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Quant à l’Europe elle-même, elle est désormais composée, s’agissant de l’Union, de pays au niveau de vie si différent que les pays pauvres ont toutes les difficultés à maintenir en vie leur économie en raison d’un euro qui est pour eux surévalué.

Et la situation de ces pays d’empirer chaque fois que la spéculation mondiale joue contre les pays endettés en les obligeant à payer des taux d’intérêt faramineux sur les emprunts nécessaires, non seulement au développement futur du pays, mais au remboursement des dettes contractées par eux dans le passé.

Mais là est la bonne blague : les corbeaux qui croyaient "plomber" le pays en lui imposant des taux faramineux, se retrouveront sans le sous quand les renards, représentés ici par les pays débiteurs, feront faillite, entraînant les créanciers dans leur propre  déchéance.

Et si les pays endettés peuvent compter, comme c’est le cas de nos jours, sur l’appui des organismes internationaux (FMI, Banque mondiale – et, dans le cas de la Grèce, de l’Union européenne) pour éviter la faillite, ceux-là leur feront payer très cher cet appui en exigeant des pays débiteurs, au nom du recouvrement de leurs  propres créances, une cure d’austérité difficilement supportable aux populations de ces pays. 

Quant aux gestionnaires des pays endettés, voire surendettés, chargés d’appliquer les cures d’austérité, en appartenant au même monde (qui est ici celui de la finance internationale et d’une classe de technocrates tous bien diplômés et ayant fait plus ou moins les mêmes études au sein des meilleurs instituts internationaux) que les représentants des bailleurs de fonds, leur parachute doré, une fois qu’ils auront quitté le pouvoir après avoir rempli leur mission, est déjà assuré.

Mais la question n’est pas là : la question est que les déficits publics contractés par les pays d’Europe et par les Etats-Unis, sont désormais financés, ou seront désormais financés, principalement, à l’avenir, par la Chine, ce qui revient à dire que d’ici à pas très longtemps (échéance que l’on peut fixer vers les années 2020-2030), ce pays sera le seul maître du monde.

  
Claude Gétaz