La république de la Chine populaire de Mao Zedong, suite 1,

le Grand Bond en avant.

 

En 1958 après l’échec des «Cents Jours» et pour prendre de vitesse les dirigeants du parti Mao Zedong lance la campagne du «Grand Bond en avant». De l’été 1955 à l’été 1957 se déroule un débat virulent au sein du Parti qui porte sur la nature du projet socialiste et son rythme. Les Chinois ont copié jusqu’ici le modèle soviétique avec zèle puisqu’ils ont consacré la plus grande part des investissements au développement industriel.
* En 1950, la population Chinoise est 4 fois supérieure à celle de l’Union soviétique de 1920 et son niveau de vie en est la moitié.
* La productivité agricole du paysan Chinois en 1958 n’est que la moitié de celle du paysan soviétique de 1928.

Alors que les Soviétiques s’interrogeaient sur la manière de contrôler les surplus agricoles, la Chine était confrontée à la question de les créer. La question se pose de poursuivre ou non une industrialisation planifiée nécessairement déséquilibrante pour un vieux et vaste pays rural. De ce constat naît chez Mao la conviction qu’il faut adapter ce projet à la situation Chinoise. Selon lui, il serait moins coûteux et plus efficace de rechercher dans la stimulation politique de la paysannerie au moins un appoint, peut-être même le substitut à un capital nécessairement rare. Ainsi, la question du pouvoir étant assurée depuis 1949, il reste à déterminer comment avancer dans la voie du socialisme. Ce débat est neuf pour les dirigeants et menace l’unité du parti réalisée 20 ans plus tôt autour de Mao.

La Grande famine de Chine qui sévit entre 1958 et 1962 en conséquence de cette politique était si inattendue que les spécialistes ont douté de son existence même. Il paraissait acquis que le régime socialiste dirigiste avait su trouver les moyens de nourrir la vaste population chinoise et mettre fin aux pénuries alimentaires chroniques qui ont frappé la Chine durant toute son histoire. Ce n’est que dans le milieu des années 1980 que des démographes américains ont pu avoir accès aux statistiques de la population après la politique d’ouverture de la Chine de 1979. Leurs conclusions étaient stupéfiantes, au moins 30 millions de personnes étaient mortes de faim durant cet épisode de l’histoire de la République populaire, un chiffre jamais envisagé avant cette date. Les chiffres varient encore en fonction des ouvrages et des historiens, ce qui traduit bien le mystère entourant cet événement et certains qualifient le GBA «d’un des plus grands cataclysmes de l’histoire de l’humanité».

La Chine a décidé de s’engager en 1958 dans un rêve éveillé dont il n’est pas facile de dégager les causes. Il n’est pas évident de comprendre pourquoi les dirigeants communistes Chinois qui avaient engagé quelques années auparavant un programme de développement industriel très classique inspiré par l’expérience soviétique et au final assez efficace se sont précipités à partir de 1957 dans une des politiques économiques les plus originales et les plus irrationnelles que ce siècle ait connu. Et au-delà de l’enchaînement des événements et de la conjoncture, il est essentiel de comprendre comment le fonctionnement du régime Chinois a rendu possible la naissance de ce programme qui a entraîné la mort de dizaines de millions de personnes et sa poursuite pendant plusieurs années «envers et contre tout».

Le GBA est centré sur un nouveau système socio-économique créé dans les campagnes et quelques espaces urbains, les communes populaires. À la fin de 1958, 750 000 coopératives agricoles sont regroupées en 23 500 communes, constituées en moyenne de 5 000 familles ou de 22 000 personnes. Chaque commune contrôle tous les moyens de production et opère indépendamment des autres. Le modèle prévoit que les communes seront (théoriquement) auto-suffisantes en ce qui a trait à l’agriculture, aux petites industries, dont les fonderies d’acier de fonds de cours, aux écoles, à l’administration et à la sécurité locale, via une milice. Le système est aussi basé sur l’espoir qu’il permettra de libérer des ressources pour les travaux d’infrastructure, partie prenante du plan de développement. Le programme se met en place avec différents degrés d’extrémisme selon les régions. L’organisation est généralement paramilitaire, les cuisines et les crèches deviennent communes. Un discours emphatique sur la communauté s’oppose au modèle traditionnel de la famille. Dans certaines régions, des dortoirs communautaires sont même créés en remplacement des foyers familiaux, mais tous seront rapidement abandonnés.

Dès le début de 1959, des signes de réticence de la population commencent à se manifester. Le Parti, qui présente un rapport très positif mais faussé de la production de 1958, doit admettre qu’il est exagéré. Les conséquences économiques du GBA commencent à se faire sentir, pénuries de matières premières pour les industries, surproduction de biens de mauvaise qualité, détérioration des usines et des infrastructures suite à une mauvaise gestion, et surtout démoralisation complète de la population, dont des cadres du parti à tous les niveaux. Des pénuries de nourriture apparaissent et dégénèrent en famine dans plusieurs régions.

En juillet 1959 Peng Dehuai va interrompre cette évolution catastrophique. Peng Dehuai est ministre de la défense et membre du Bureau politique du PCC. C’est surtout l’un des fondateurs de l’Armée populaire de libération de Chine, et l’un des fondateurs du régime. L’homme est respecté pour son courage et son franc-parler, qui l’ont mis en conflit plusieurs fois avec Mao. Il revient d’un voyage de son Hunan natal où il prend conscience de la tragédie du GBA. La famine et les mensonges des cadres scandalisent ce fils de paysan. À la différence des autres il expose ses critiques dans une lettre ouverte et dans plusieurs interventions lors du comité de travail qui se déroule à Lushan en juillet 1959. Il y critique le «fanatisme petit-bourgeois» de ses promoteurs, vocabulaire insupportable en ces temps de querelle avec Moscou. «Si les paysans Chinois n’étaient pas bons comme ils sont, il y a longtemps que nous aurions connu un incident Hongrois». Personne n’avait osé s’adresser ainsi à Mao qui choisit de l’interpréter comme une attaque personnelle et répond durement, en demandant sa démission et en suggérant que l’Union soviétique était derrière ces attaques, Khrouchtchev avait critiqué les Communes. Mao brandit en outre le spectre d’une rébellion de l’Armée populaire de libération et se dit prêt à partir à nouveau dans le maquis. Il soulève de cette façon contre Peng le réflexe d’unité de la Direction du Parti. Peng est abandonné. Il est contraint de démissionner et de présenter son autocritique, il est assigné à résidence. L’armée connaîtra une purge violente dans les mois suivants. Cette affaire gardera un goût amer pour les dirigeants du PCC, puisqu’ils savaient que Peng avait raison. Désormais, la question du rôle de Mao sera au centre de la politique Chinoise. Deux conséquences immédiates résultent de cet incident, la purge de Peng balaie les efforts pour freiner le GBA et provoque au contraire une relance de celui-ci, les relations sino-soviétiques sont au bord de la rupture.

En 1959, les Soviétiques, inquiets du Grand Bond en avant engagé par les Chinois, s’efforcent de diminuer la tension avec le bloc de l’Ouest, et reviennent sur leur promesse d’aider la Chine à développer l’arme nucléaire. Ces décisions offensent grandement Mao et les autres dirigeants du parti communiste chinois, qui jugent Khrouchtchev trop conciliant avec l’Ouest. Du point de vue soviétique, ces mesures prudentes se justifent par le contexte international et la menace d’un conflit nucléaire généralisé Khrouchtchev ne veut en aucun cas rendre la situation plus instable encore en offrant l’arme atomique à la Chine, et considère en outre le Grand Bond en avant comme la preuve que Mao n’était pas un vrai marxiste. Un autre facteur de tension survint au sujet d’une affaire interne à la Chine, le Grand Bond en avant s’étant révélé être un échec, et pour cette raison les rivaux de Mao au Parti, Liu Shaoqi et Deng Xiaoping, projetèrent de renverser leur dirigeant.

L’échec du complot permit à Mao de dépeindre les conjurés comme des agents au service d’une puissance étrangère, c’est-à-dire les Soviétiques, mobilisant ainsi le sentiment nationaliste Chinois.

Pour le dixième anniversaire de la République populaire de Chine, Khrouchtchev se rend à Pékin où il se retrouve en plein dans le conflit sino-indien sur les frontières. Ce conflit ne plaît pas à l’URSS car il risque de miner son processus de coexistence pacifique. Khrouchtchev pensait que Mao Zedong avait manigancé ce conflit pour que l’URSS se trouve contrainte de soutenir la Chine. Ce soupçon illustre bien le degré de défiance du côté soviétique. La détérioration des relations avec Moscou conduit au retrait de leur assistance technique durant l’été 1960, retrait brutal de 1390 techniciens, et cessation de l’aide en juillet 1960. Ce retrait a des conséquences graves sur l’économie Chinoise car leur assistance est encore cruciale pour de nombreux projets en cours, 300 projets industriels sont stoppés détournant également l’attention de Pékin du désastre économique qui sévit dans les campagnes et retardant les mesures d’urgence. Moscou attendra cependant que la rupture avec Pékin soit officielle pour dénoncer la faillite du Grand Bond en avant.

En automne 1960 à la retraite du GBA à l’été 1960, la récolte est encore plus désastreuse que l’année précédente. La plupart des dirigeants, dont Mao lui-même, apparemment convaincu par Zhou Enlai, décident enfin la retraite et mettent en œuvre une série de documents pour faire face à la situation. Le malaise gagne les villes. En juin 1961, Mao fait une autocritique et rend la retraite officielle. Il reconnaît, après les derniers événements en Union soviétique, que sous un leadership malhonnête un État communiste peut dégénérer en système d’exploitation. Il conclut que le GBA a discrédité la notion de progrès exceptionnel réalisé avec le concours de la masse mais il réaffirme sa conviction dans la mobilisation des masses pour prévenir toute sorte de dégénérescence bureaucratique de la révolution comme elle a pu survenir en Union soviétique.

C’est la survie du pays et du régime qui est en cause. Trois «coups de barre à droite» seront effectués dès l’hiver 1960 qui rétabliront la situation économique, comme la réduction de la taille des communes et la restauration des lopins privés. Chaque famille reçoit un are de terre cultivable et le droit de vendre librement les produits du jardin et de l’artisanat. Mais ces mesures introduiront de nouveaux facteurs de discorde avec la campagne de rectification contre les dirigeants coupables d’erreurs gauchistes et autoritaires. En juillet 1962, Deng Xiaoping prononce deux phrases célèbres, «Si elle augmente la production, l’agriculture privée est tolérable. Peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape des souris».

Dans les villes, on étend le rationnement, on diminue les horaires de travail. À l’heure du déjeuner, les lycéens reçoivent des décoctions de feuilles d’arbres et font une sieste. Les autorités diffusent de nombreux ersatz mais la mortalité augmente. À la campagne, la situation est plus grave. La plus grande partie du pays connaît la famine entre 1960 et 1962. Les provinces du Nord sont plus touchées, du fait d’une sécheresse de trois ans. Même dans les régions plus favorisées comme le Guangdong, on manque de bois pour les cercueils.

La tragédie du GBA, qui a causé la mort de 20 à 43 millions de personnes, a pu être dissimulée au monde pendant vingt ans. Le secret de la «grande famine de Mao» sera bien gardé. C’est seulement au début des années 1980 que les critiques sur le GBA devinrent plus précises. Après la mort de Mao et les réformes économiques chinoises entamées sous Deng Xiaoping, le consensus se dégageant au sein du gouvernement Chinois fut que le GBA était un désastre économique majeur causé par le culte de la personnalité sous Mao Zedong, et une de ses erreurs la plus grave depuis la fondation de la République populaire de Chine.

Ainsi, l’échec du GBA va déboucher sur une autre manœuvre de Mao pour reprendre les rênes du pouvoir et éliminer ses adversaires au sein de l’appareil du Parti, la machine diabolique de la révolution culturelle qui détruira le Parti, plongera la Chine dans le chaos, elle permettra à Mao de revenir à la tête du pays jusqu’à sa mort en 1976.

La suite sera le conflit sino-indien.

3 réflexions sur « La république de la Chine populaire de Mao Zedong, suite 1, »

  1. Bonjour Anidon,
    Je suis étonnée que personne ne soit venue sur cet article. Il fut intéressant pour moi car à l’époque nous en parlions mais ayant d’autre chiens à fouetter je n’y attachais pas beaucoup d’importance . Merci de me le remettre en mémoire. Je passerais au suivant dans l’A.M.
    Bien amicalement.

  2. [b]eleina[/b] bonjour,

    Vous savez eleina j’écris pour mon plaisir sans chercher à avoir des commentaires et des hits, si ce que je fais n’est pas apprécié en tant que culture c’est que nos reporters citoyens ainsi que les lecteurs, préfèrent les histoires de stars genre France Dimanche ou Gala, et que la Chine est le moindre de leurs soucis, ce que je comprends.

    Bien à vous,

    Anido

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