Nous prîmes le chemin de Thèbes, car pour éviter quelque scandale en rentrant au palais de Malgatta, au cas où on m'aurait reconnu, j'entraînais mon compagnon de l'autre côté du fleuve jusqu'au temple d'Amon sur le chemin duquel on pouvait nous prendre pour des novices. Dans nos appartements, nous pûmes nous baigner et revêtir de beaux vêtements, et sans faire nos dévotions au temple, ce matin-là, nous regagnâmes le palais, où j'ordonnai, sitôt notre arrivée, qu'on fît paraître devant moi le Divin Père, Grand Prêtre d'Amon, Scribe et Précepteur du Pharaon, le vieux Nakht, Grand Vizir de Thèbes, ainsi que les deux princes de l'Est et de l'Ouest de la Ville.
Les hérauts royaux s'en furent promptement à la recherche de ces personnalités, et tout le palais se mit à murmurer, tant était inhabituelle et soudaine une telle convocation.
Nous prîmes le chemin de Thèbes, car pour éviter quelque scandale en rentrant au palais de Malgatta, au cas où on m'aurait reconnu, j'entraînais mon compagnon de l'autre côté du fleuve jusqu'au temple d'Amon sur le chemin duquel on pouvait nous prendre pour des novices. Dans nos appartements, nous pûmes nous baigner et revêtir de beaux vêtements, et sans faire nos dévotions au temple, ce matin-là, nous regagnâmes le palais, où j'ordonnai, sitôt notre arrivée, qu'on fît paraître devant moi le Divin Père, Grand Prêtre d'Amon, Scribe et Précepteur du Pharaon, le vieux Nakht, Grand Vizir de Thèbes, ainsi que les deux princes de l'Est et de l'Ouest de la Ville.
Les hérauts royaux s'en furent promptement à la recherche de ces personnalités, et tout le palais se mit à murmurer, tant était inhabituelle et soudaine une telle convocation.
Je commençais à comprendre la tentative de l'Aimé d'Aton qui avait essayé de délivrer l'Égypte de l'emprise du clergé de Thèbes. La puissance de ses prêtres était telle qu'elle pouvait corrompre les fonctionnaires de la Nécropole et organiser le pillage des tombes royales pour renflouer son trésor et renforcer sa puissance au détriment du pouvoir royal. A plus long terme le laisser-aller dans la Nécropole et la banalisation des pillages auraient pu contribuer à désacraliser la mémoire des pharaons, derniers dieux vivants de l'Égypte tandis que le clergé lui-même était de moins en moins occupé à des tâches spirituelles.
En attendant que puisse se réunir le Conseil d'exception, je me retirai dans mes appartements, laissant Houy s'occuper de l'intendance. Mon âme tourmentée ne pouvait se détacher du souvenir de la Babylonienne. Mon corps d'adolescent n'avait jamais connu de femme et c'était comme s'il était tout à coup éveillé du long sommeil de l'enfance insouciante. J'éprouvais désormais continuellement ce trouble qui m'avait envahi parfois dans la fraîcheur du matin lorsque je m'éveillais, nu sur ma couche encore chaude de la moiteur des longues nuits d'été. J'avais l'envie de caresser ce corps que je découvrais pour la première fois dans toute sa sensualité et le désir de plaisirs encore inconnus mais que je devinais déjà d'instinct. Mais l'image de la danseuse orientable était irrémédiablement liée à la Nécropole, aux pillages et à la tombe profanée de mon père. Et c'était pour moi comme un avertissement des dieux, les paroles de l'éternel sage Ptahotep revenaient à ma mémoire : « Femme, faisceau de toutes les méchancetés, sac plein de malices ». Ce qui n'avait été autrefois qu'une maxime à déchiffrer dans les textes anciens remontait inexorablement dans mon esprit comme la preuve éclatante de l'emprise insidieuse des prêtres d'Amon. Je sentais confusément mon destin se jouer : j'aurais pu suivre Seth dans les dédales de l'insouciance, des plaisirs et de la luxure, satisfaisant ainsi le clergé, pour qui je ne serais toujours qu'un petit monarque sans pouvoir politique, ou bien suivre Horus sur une voie de retenue, de justice et de probité, m'engageant ainsi plus avant dans la partie de senet engagée contre le clergé depuis l'apparition du collier royal sur mes épaules d'enfant.
Dans chaque fresque rencontrée sur les murs du palais, mon regard ne voyait que le corps désirable de la magicienne de Babylone. Pourquoi me souvins-je alors de la petite Ankhsen délaissée depuis tant d'années ? Elle avait quitté le palais avec ses suivantes pour se retirer plusieurs mois au temple de Mout, puis, depuis bien longtemps s'était installée au palais de Memphis, dans la ville aux murs blancs. J'imaginais alors qu'elle aurait pu, elle aussi, sentir en son corps les changements qui me tourmentaient, et j'eus la nostalgie de la Ville de l'Horizon, ses beaux palais blancs, ses enfants papillons, sa liberté et sa joie de vivre. L'Aimé d'Aton planait sur moi comme une ombre et j'eus l'envie d'aller au temple funéraire pour ouvrir mes coffres, caresser les étoffes de mon enfance, retrouver la palette d'ivoire offerte par la belle Méritaton le jour de mon initiation. Je sortis du palais, bousculant les gardes des portes au passage, et sur mon beau char d'électrum je joignis la lisière du désert aux portes de la nécropole.
Là s'élevait le majestueux portail de mon temple. Les hauts mâts taillés dans des cèdres du Liban ne portaient pas encore les drapeaux de leur Pharaon, mais de loin, les immenses fresques des murs coloraient le désert blanc de cet après-midi brûlant. C'était l'heure chaude où les ouvriers, rentrés chez eux, ont déjà délaissé leur ouvrage. Nulle trace de vie dans ce temple d'où chacun a remporté ses outils, nul souffle de vent, pas même un chant d'oiseau si loin du Nil. J'étais souvent venu en solitaire dans ce temple qui devait durer des millions d'années, perpétuant ma mémoire aux yeux des enfants du Nil. J'avais suivi, au cours des années la lente évolution de l'architecture qui s'était élevée peu à peu comme par la magie d'un sage, du plan tracé au sol jusqu'en haut de la gorge du pylône. Aux quatre coins de l'édifice, les grandes pierres plates où était gravé le dessin des architectes avaient servi de repère aux maîtres d'œuvre. Ainsi était sortie des sables ma maison de vie éternelle. Les sanctuaires étaient terminés, il ne manquait que les longues dalles du toit, mais du haut des murs, je pouvais contempler l'admirable travail des sculpteurs et des peintres.
Au centre du temple, à ciel ouvert se dressaient les colonnes de la salle hypostyle faisant comme un jardin d'obélisques tronqués. On aurait dit la cour du grand temple d'Aton, à l'Horizon.
D'immenses statues s'adossaient aux piliers de la cour d'accueil, donnant mon visage encore enfant aux représentations multipliées d'Osiris, prêtes à recevoir l'hommage des officiants du culte avec ce sourire éternel de sage divinisé. J'aurais voulu avoir déjà cette sagesse au fond du cœur afin de ne pas tromper les dieux. Seul au milieu de ces images démesurées, je ressentais la triste solitude des pharaons éternels. Toutes ces statues étaient autant de miroirs reflétant mon visage, perpétuant la tradition millénaire de tous les rois défunts, le même sourire, le même regard, le même corps un peu plus enfantin mais déjà dépassé par mon grand corps d'adolescent, et partout cette double couronne qui sur les murs paraît si facile à porter : « Amon, Bon et Beau dieu, donne la vie au Maître des Renaissances, Seigneur des deux terres, Vivant portrait d'Amon, Seigneur de la Ville aux cent portes, Tout-Ankh-Amon ».
Je me dirigeai vers les sanctuaires, suivant le long couloir qui menait aux magasins funéraires. Derrière la porte de bronze dormaient tous mes souvenirs d'enfance. Du cimeterre royal qui pendait à ma ceinture, je brisai les sceaux qui scellaient le verrou. C'eut été un sacrilège pour tout autre que moi, et je songeai qu'il me faudrait revenir accompagné du Chambellan et du gardien de sceaux royaux pour fermer à nouveau cette porte sur l'éternité. Depuis plus de cinq ans les prêtres avaient déposé là une partie du mobilier qui m'accompagnerait dans ma dernière demeure. La porte s'ouvrit lourdement en grinçant sur ses gonds grippés, laissant pénétrer une faible lueur dans la salle aux odeurs de poussière. Lorsque mes yeux se furent habitués à la pénombre, je pus apercevoir le petit coffre de voyage qui m'avait accompagné lors de mon départ de Thèbes pour la Ville de l'Horizon. Il ne contenait que quelques étoffes et les calames usés qui m'avaient appris à tracer mes premiers mots sur les tessons du temple, mon pagne d'enfant-prêtre, mes sandales de papyrus tressé. Le reste de la pièce était encombré des meubles du palais de Beauté. J'eus l'envie de m'asseoir sur le petit siège d'enfant qui fut mon premier cadeau de prince, mais de peur de la briser, je ne fis que l'effleurer de la main. A son contact toute l'atmosphère du palais du Nord revint à ma mémoire : les grandes salles claires aux fresques éblouissantes de vie, se confondant avec les grandes baies ouvertes sur les bassins de lotus où les canards nageaient avec les petits princes du Kep, les chants de harpistes aveugles, les rires des suivantes de la Reine, la douce main du Roi lorsque, parfois, il descendait dans ma chambre, le matin, pour la prière au soleil.
Je me revis remplir, les larmes aux yeux, le grand coffre du retour vers Thèbes. J'y avais mis la petite statuette en bois sculptée par Thotmès, la palette de peinture et les calames de Méritaton, la grande barque avec laquelle je jouais dans le bassin, et le panier de Neb. Je redevenais enfant, suspendant le temps comme si la barque de Rê était revenue en arrière. Je n'osais rouvrir les yeux, de peur de voir disparaître le palais, ses fresques, ses chants et ses sourires, l'insouciance et le bonheur inconscient de l'enfance. Comme je regrettais de ne pas avoir assez savouré la plénitude de ces moments-là, j'aurais dû serrer Beauté contre moi, me blottir dans ses bras, retenir longtemps le temps d'alors pour reculer le plus possible la solitude et les regrets à venir. Il ne me restait que ces objets inertes destinés à m'accompagner dans l'au-delà. Au fond du coffre, enveloppé dans un léger voile de lin aux odeurs encore enivrantes, je retrouvai le flûteau de la petite princesse. Ankhsen me l'avait donné un soir, près du bassin, après l'avoir taillé dans un roseau du marais. Et moi qui avais fait le grand, puisque j'étais prince, je n'avais même pas daigné lui jouer la mélodie qu'elle me demandait. Je le regrettais amèrement. Alors, prenant la petite flûte délicate dans mes doigts trop grands, je lui jouais en pensée à travers le temps l'air qu'elle aimait et que chantaient les nourrices autour du bassin, le soir à la veillée :
« – Mon bien-aimé repose au pied du sycomore,
veillé par la déesse Hator,
Mon bien-aimé repose au pied du sycomore,
loin des rivages de la mort. »
Et du flûteau s'éleva la mélodie de l'amour au pied du sycomore. Je me rappelais les notes de la chanson comme si je venais de l'apprendre, je m'en grisais comme d'une incantation magique pour retenir le temps.
Mais le temps ne sut rester captif. La nuit commençait à pénétrer le sanctuaire, je refermai le coffre. Je fis claquer la porte de bronze qui résonna contre les colonnades comme toutes les portes des temples, en écho de loin en loin.
Debout sur mon char, je laissais les chevaux regagner le palais lentement, embrassant du regard la plaine du Nil d'où s'élevaient les fumerolles des foyers. Si je n'avais pas su profiter de mon enfance, je saurais profiter de mon adolescence, de mon royaume et de ma divinité.
Tout le palais était en émoi. Après la convocation du Conseil d'exception, les langues s'étaient déliées, et tous les courtisans de Thèbes avaient envahi la cour d'accueil afin de suivre l'affaire. L'excitation avait atteint son paroxysme après la disparition du Roi. Les dignitaires convoqués étaient arrivés depuis longtemps et attendaient devant l'entrée de la grande salle hypostyle, la présidence du Pharaon. A mon arrivée soudaine et inattendue devant le grand portail, tous se jetèrent au sol, selon la coutume, mais la foule était si dense qu'il s'ensuivit une bousculade et un chahut bien peu digne des nobles qui la composaient. J'appelai le maître des habits et me fis revêtir de la robe blanche des rois. Le préposé aux fards me dessina le regard des dieux. Le garde des coiffes me tendit la couronne rouge que je plaçai sur ma tête, le garde des sceptres m'apporta le crochet que je tiendrais dans la main droite. Puis je fis sortir mes serviteurs.
Dès qu'il eut appris mon retour, Houy me rejoignit dans mes appartements :
« -Seigneur, ceux que tu as mandés sont à ta disposition. »
Et il s'inclina devant son Pharaon. Je le relevai promptement :
« – Point de cérémonie, Menna, nous ne sommes pas en public. Tu as révélé l'Horus qui sommeillait en moi, sache que j'ai décidé de défier les prêtres d'Amon et de régner sur l'Égypte. »
Houy resta pétrifié un moment. J'attendais une parole d'encouragement, je redoutai que, dans sa sagesse il tentât d me dissuader d'affronter le clergé, mais le grand soldat qu'il était resté me sourit finalement :
« – Seigneur, je te donne ma vie, mon âme, mon Ka, mon éternité. Partout où tu iras j'irai, tout ce que tu voudras que je fasse, je le ferai pour l'amour de toi. »
L'éclat de ses yeux fit comme la magie d'un sage sur mon âme. Je lui pris les mains. A nouveau, à son contact, je me sentis gonflé de force et de puissance, Horus envahissait mon être, le dieu qui était en moi transformait l'enfant en Pharaon. Alors ma bouche lui dit :
« – Tu fois être Amon réincarné pour faire de moi ce que tu fais. Allons purifier le temple de ses prêtres impies. »
Comme deux dieux marchant parmi les vivants, nous nous dirigeâmes vers la salle du Conseil, et tous se taisaient à notre passage.
La grande salle hypostyle était vide, éclairée par les torches posées contre les colonnes. Je pris place sur le trône d'apparat et j'ordonnai qu'on fît paraître devant moi le Divin Père, Grand Prêtre d'Amon, Scribe et Précepteur du Pharaon. Il était habitué à mes caprices d'adolescent et ne s'offusquait plus de mes ordres qui, selon lui, faisait partie du jeu que nous menions depuis mon accession au trône. Il arriva donc sans paraître troublé par ma présence, et me salua familièrement, sans remarquer la froideur de mon regard :
« – Face contre terre, Divin Père, et écoute les paroles de ton souverain. »
Ayï parut surpris, puis s'exécuta, pensant sans doute que le jour était arrivé pour le petit enfant de se prendre pour un Roi. Lorsqu'il eut le visage contre le dallage de la salle, je dis ceci :
« – Ma Majesté eut un songe cette nuit :
Mon père Aménophis était dans les champs d'Ialou lorsqu'un vieux prêtre, tel Seth, vint dépecer son corps et lui prendre son grand collier d'Horus pour s'en faire une parure. Et ce prêtre avait ton apparence. Quel est ce présage, Divin Père ? »
Le vieillard parut étouffer de surprise, son vieux visage chiffonné était rouge comme la fleur du flamboyant, il se mit à bégayer comme un paysan oriental et cela me surprit, je n'avais jamais pensé que la langue d'un égyptien put être bègue. Puis, après s'être ressaisi, il fit un grand discours sur les angoisses de l'adolescence, sur le surmenage de son souverain à trop étudier, et sur la signification des rêves, mais je n'écoutais plus, je le regardais s'agiter à mes pieds et il s'arrêta finalement de parler. Je le laissais longtemps à terre. Enfin ma bouche prononça ces mots qui me venaient de Thot :
« – La puissance d'Amon n'a d'égale que la puissance de son fils Tout-Ankh-Amon, Maître des Renaissances. Les prêtres ont retrouvé leur gloire d'antan et ils ont renfloué leur trésor, je ne sais comment ni ne veux le savoir. Disons que mon songe n'était qu'un rêve. Mais il manque cependant à ma puissance la charge spirituelle de Grand Prêtre. Je compte sur toi, Divin Père, pour obtenir du clergé qui est sous ta domination de m'accorder enfin cette charge qui revient au vrai Pharaon que je suis devenu malgré vous. Alors je te ferai premier prophète. »
Le Divin Père restait tremblant sur le dallage, les yeux exorbités. Il savait qu'un scandale l'aurait condamné quel que fut son rang. Je lui fis signe de se relever, lui lançant une dernière phrase avant de convoquer les autres dignitaires :
« – Dans mon songe, Grand Prêtre, tel Horus je replaçais le corps de mon père là où il devait être, mais bien sûr tout ceci ne fut qu'un rêve, car il ne conviendrait pas de remuer la boue qui stagne au fond du lac sacré. »
Le vieillard se releva sans mot dire, j'avais poussé son pion hors du damier.
Alors Houy fit entrer le Grand Vizir, les princes de l'Est et de l'Ouest ainsi que les scribes royaux qui devaient consigner par écrit les décisions du Conseil, et selon la coutume lorsque l'affaire n'était pas un secret d'état, informer les courtisans.
Après avoir écouté les salutations d'usage, je m'adressai à ces quatre dignitaires :
« – Pharaon eut un songe : son père Aménophis-Le-Majeur lui apparut en rêve, dépouillé de vêtements et de bijoux. Le grand collier de la royauté ainsi que tous ses trésors avaient été dérobés dans sa maison d'éternité.
Thot, dans sa sagesse, s'adressa à moi et me dit :
– Mon fils Maître des Renaissances, Vie, Force et Santé, va dire aux quatre dignitaires de Thèbes ce que je dis :
Voici ce que je dis :
Que soit ouverte une commission d'enquête composée des princes de l'Est et des princes de l'Ouest, ainsi que des scribes royaux qui consigneront par écrit les résultats de l'enquête afin que tous connaissent la vérité.
Il sera procédé à la visite de toutes les tombes royales de la Place Vraie, ainsi que de tous les temples du Kirou[1] auguste des millions d'années.
S'il s'avère que des tombes ont été profanées, on cherchera les coupables, les jugera après procès, les condamnera sans pitié, car c'est grand sacrilège que de priver son seigneur de son éternité.
S'il s'avère que des tombes ont été profanées, on procèdera à la réfection de ces tombes, aux soins des corps, à la restitution de tout ce dont ces seigneurs ont besoin pour leur éternité, prélevant leurs parts sur le trésor de ceux qui auront été trouvés coupables.
Justice sera rendue par Pharaon et sentence requise par le Grand Prêtre d'Amon qui voit et entend toutes choses, car dans sa sagesse, il saura infliger un châtiment exemplaire afin qu'à l'avenir tous respectent les maisons d'éternité et les seigneurs qui y reposent.
Voici ce que j'ai dit par la bouche de Pharaon, Vie, Force et Santé, Tout-Ankh-Amon, Seigneur des deux terres et fils de Rê, l'Horus de l'Égypte. »
Seul le bruit des calames sur les papyrus continua à bruire légèrement lorsque je me fus tu. Tous tremblaient devant la gravité de l'affaire, et tous savaient que quelques instants plus tard la nouvelle se répandrait dans toute l'Égypte comme le vin dans l'eau claire. Une telle situation ne s'était présentée qu'une ou deux fois dans l'histoire du pays, à l'occasion de l'usurpation du trône par des peuplades étrangères. Les coupables, s'ils étaient reconnus tels, seraient alors assimilés aux pires ennemis de l'Égypte, aux Hittites ou aux Amorrites de l'orient. En arrêtant et châtiant ces coupables, j'affirmais mon pouvoir bien mieux qu'en remportant la plus belle des victoires militaires dont un Roi pût rêver, et en mêlant le Grand Prêtre d'Amon à la commission d'enquête, je m'assurais son obligation à coopérer, car il ne pouvait plus se défiler sans attirer la suspicion des enquêteurs. Peu m'importaient les pressions qu'il pourrait tenter de faire sur les coupables ou les témoins afin de faire de moi le vrai Roi de l'Égypte.
(… à suivre …)
[1] Le Kirou : l'ensemble des monuments du « front de Thèbes », de la Nécropole, le ministère des morts.