On ne saisirait pas l’essence de la littéraire et de l’art africains en s’imaginant qu’ils sont seulement utilitaires et que le négro-africain n’a pas le sens de la beauté.
« Certains ethnologues et critiques d’art sont allés prétendant que les mots « beauté » et « beau » étaient absents des langues négro-africaines. C’est tout le contraire » (1).
L.S.Senghor.

Déconcertante, voire décapante, la crème littéraire que nous savourons à travers le dernier roman de Marie-Noël Moussinga, l’est en effet puisqu’elle nous propose de circuler dans un vaste espace, agencé tel un labyrinthe, où sont dressés tous les modules sociaux, culturels et religieux, en forme de mélodrame sentimental. Chacun d’eux reproduit un lieu où l’expression cultuelle – ou ce qui est considéré comme relevant du champ mystique à un moment donné – se montre, se cache ou s’expose d’ordinaire selon la légitimité qui lui est accordée par tout un ensemble d’acteurs, qui  coexistent, évoluent et entretiennent des rapports de complémentarité ou de rivalité.

 


Pour apprécier cette évolution de la société africaine, et surtout sortir des préjugés qu’on a de la littérature africaine ; elle nous fait un cours d’ethnologie, qui remet dans son contexte les croyances, les us et coutumes d’une civilisation africaine qui tend à s’écorner. Les esprits des ancêtres, les masques, les rites, d’abord considérés comme des objets de curiosité sans valeur par les Européens, en outre fabriqués par des populations que l’on tenait pour non civilisées, ces fétiches nous montrent leur puissance de faire changer le destin de toute une société. La plupart de ces scènes, se déroulant en Côte-d’Ivoire, sont des mises en exergue des galeries  cultuelles africaines et européennes. Par ces rites ancestraux ou ces malédictions qui nous hantent, peut-on encore parler de faux problème quant au déchirement de l’Afrique ces derniers temps ? Aux yeux de certains peut-être ; mais, concernant la dépravation des mœurs, l’incivisme et la gabegie, on est en droit de se demander si ces dieux qu’on a négligés ne devraient pas être considérés comme authentiques puisqu’ils sont l’œuvre d’un  esprit au-dessus de tout esprit ; d’une vie qui échappe aux commandements de notre science. Etre africain selon ce roman, est, sans rien renier la culture qui est la sienne, c’est en même temps savoir profiter des changements historiques et économiques auxquels notre société est confrontée. Ces faux-anciens, ou vrais-nouveaux  personnages, problèmes, qu’elle peint,  qu’elle décrit, sont donc eux aussi les traces matérielles d’une authenticité culturelle et  historique de notre civilisation contemporaine.
                 
La malédiction de Thaliba, de Marie Noël Moussinga, ressuscite  une notion africaine du beau. Contrairement à ce que certains pessimistes de l’art africain font circuler dans l’opinion.
En effet, le sociologue Pauvert, résumant le point de vue d’une tendance assez fréquente chez les spécialistes des sciences humaines, n’hésite pas à déclarer : « Il n’y a pas d’art africain, farce qu’il n’y a pas de conscience artistique, pas de réalisation d’une essence de la réalité humaine africaine en tant qu’elle est esthétique » (2).
Et, comme le souligne W. Fagg, qui nous fournira ainsi notre conclusion tirée de son beau livre sur la sculpture africaine : « S’il doit revenir à l’Afrique d’agir sur l’art mondial comme un levain, il est d’une importance capitale que les intellectuels africains, qui en sont venus à considérer l’intellect comme tout puissant, apprennent à connaître et à admirer les qualités de leurs antiques arts tribaux en voie de disparition et qu’ils s’efforcent de les préserver au profil du monde entier ».                                                                                     

(1) L’esthétique négro-africaine, in Liberté I p.208.

(2) In « L’Art nègre et cet inconnu, l’artiste noir, Présence africaine, in. 82

* A L’ombre des Anacardiers : la Malédiction de Thaliba, de Marie NOM*,  Editions AmmaWouli

*Marie NOM : Cécile Marie-Noël Istasse Moussinga