La maison où j’ai grandi va s’écrouler.

 

 

 

 

 

 

 

Après plusieurs années, j’ai été obligé de quitter le village où j’ai grandi. J’y avais construit une maison, celle là ne m’intéresse plus car je l’ai vendue à dix fois moins cher pour aller loin de ces sorciers qui ont tué ma grand-mère, ma mère, mes enfants, ma femme, mes oncles, mes tantes et tous ceux qui m’étaient proches.

Dieu est puissant, j’ai été ensorcelé à maintes reprises mais la puissance divine m’a épargné à l’étonnement de mes agresseurs. La solution a été de tout vendre à moins cher pour partir vers la capitale Bujumbura et surtout, ne plus revenir car, chaque fois que je tentais de le faire, quelque chose de mal devait se produire en moi ou sur moi si ce n’était que la grâce de Dieu.

 

 

Mais, le chagrin d’une dizaine d’années sans voir cette maison en double et en matériaux durables, construite par feu mon grand père Bonansize Fidèle en 1955, était toujours grandissant. Dieu est de mon côté, c’est ainsi que le weekend passé j’ai pris la décision d’y aller quelles qu’en soient les conséquences.

La première maison à avoir été construite en matériaux durables en campagne sur cette colline Rugari Gitamo, et sur cette sous colline de Taba, reconnue pour ces sorciers, les plus puissants de la sous région, va s’écrouler. Je l’ai vue et je me suis mis à pleurer. Bientôt, vais-je chanter aussi « où est ma maison » ?

Feu grand père avait construit la première maison pour lui et y avait attaché une deuxième pour feu mon oncle Léopold, que je n’ai jamais vu. D’après ce que l’on m’a dit, quelques jours avant son mariage, il s’est bagarré, avec un jeune de son âge de la famille de ces sorciers et a frappé à coup de pied la porte de leur cuisine. Le père sorcier a dit à mon grand père : « Ton fils vient de détruire la porte de ma cuisine ! Gare à vous s’il lui arrive quelque chose avant demain matin ». Effectivement le lendemain  il était déjà mort.

Mon père venait à peine de terminer ses études, son père l’a obligé de se marier à la hâte et dans cette même maison où je suis né et grandi.

Mon père est mort pendant le génocide de 1972 survenu au Burundi, ma mère est morte ensorcelée, mes sœurs sont toutes parties, ma grand-mère est morte ensorcelée aussi, mon grand père est mort tué par des militaires de l’armée Burundaise lundi le 25 octobre 1993 après leur avoir interdit de voler des stères de bois. Ils lui ont tiré trois balles sur le cou, et ce vieux de 93 ans n’a pas succombé.  En bref, personne n’est plus là.

Les racines d’un avocatier ont déjà attaqué la fondation et les branches du même avocatier attaquent déjà la toiture.

La maison où j’ai grandi va bientôt s’écrouler alors que j’en garde de longues périodes de bonheur et de malheur. Quand je me souviens de la période  malheureuse d’après la mort de mon père, quand je me rappelle de ces nombreuses vaches qu’avait mon grand père, qui ont aussi été ensorcelées par nos voisins sorciers, quand je me souviens des nombreux conseils que me donnait mon grand père dont celui de ne jamais verser le sang d’un homme, mieux vaut que l’on verse le tien, me disait-il, quand je me souviens que la dernière fois que je l’ai vu est le jour où, ma mère NAHIMANA Béatrice lui a offert mon fils aîné NDORICIMPA Arnaud, qui n’avait que trois mois et que ce vieux l’a porté joyeux entre ses deux mains et l’a béni, je me mets à pleurer. Oui, la maison où j’ai grandi va s’écrouler et son histoire sera oubliée. Heureusement que je viens de l’écrire. Les paroles et les actes disparaissent mais les écrits restent.