On devait être en novembre. Oui, un samedi midi, au mois de novembre.

La petite fille montait quatre a quatre les escaliers qui menaient à son appartement. Derrière elle, un peu moins rapides mais néanmoins contents de ce week-end qui débutait, suivaient le papa et la petite sœur de la petite fille.

 

La petite fille avait 7 ans.

Dans l’appartement de fonction, au sein même de l’école, les attendaient la maman et la petite sœur qui venait de naître. Le bébé devait avoir 2 ou 3 mois.

C’était un beau week-end qui s’annonçait. C’ était l’insouciance de l’enfance qui primait. La petite fille aimait ses parents. La petite fille aimait ses petites sœurs. La petite fille aimait ses poupées et ses voitures, elle aimait sauter sur le lit de ses parents, elle aimait le salon tapissé de grosses fleurs oranges, elle aimait la cuisine et ses meubles en formica, elle aimait sa vie. Elle ne s’était en fait jamais posé de question.

La petite fille atteint la première le palier. Elle ouvrit la porte et se précipita à l’intérieur. Derrière ne tarderaient pas son papa et sa petite sœur de 4 ans.

La petite fille pensait à son bébé-sœur Ce bébé si petit, né avec des semaines d’avance, qui avait passé tellement de temps en couveuse, et dont les jambes si maigres et le corps si frêle l’avaient impressionnée quand elle avait enfin été autorisée à aller la voir à l’hôpital. Son papa avait dit que c’était le plus beau bébé parmi tous ces petits êtres nés trop tôt, regroupés dans cette « salle des couveuses ». Elle avait été d’accord. Elle avait ressenti de l’amour et un désir énorme de la protéger toujours. Elle serait sa grande sœur.

Il n’y avait que quelques jours qu’on les avait autorisés à ramener le bébé a la maison.

En entrant, elle entendit le bébé pleurer dans son lit. Elle entra dans la cuisine, se demandant ce qu’on allait manger ce midi. En général, sa maman préparait quelque chose de bon pour le samedi midi.

Sur la table de la cuisine, pas de hors d’œuvre mais des boîtes de médicament éparpillées. Des emballages vides. Une enveloppe. Sa maman n’était pas là.

Elle retourna vers la porte et dit à son papa, qui venait d’entrer, qu’il y avait plein de médicaments sur la table. Son papa dit : « Qu’est-ce que tu racontes ? »

Puis il entra aussi. Il vit aussi. Il prit l’enveloppe, l’ouvrit et en tira une lettre. La lut. Cria et courut dans la chambre. La petite fille et sa petite sœur restèrent là.

La petite fille avait sept ans et elle savait lire. Elle prit la lettre jetée sur le sol et la déchiffra à haute voix.

« Mes amours. Je suis désolée mais je ne peux continuer à vivre ainsi. Vous me trouverez dans la chambre. Maman. »

Avant « dans la chambre », des mots avaient été ratures. La petite fille les regarda longuement et réussit a les déchiffrer. Sa maman avait d’abord écrit « dans la cave », puis elle avait barré ces mots pour écrire "dans la chambre".

Le papa revenait. Elle voulut aller dans la chambre voir sa maman qui devait être malade, mais son papa lui cria de ne pas bouger. Son papa était défait, elle le reconnut à peine.

Dans la chambre, le bébé pleurait toujours.

Le papa prit le téléphone et composa un numéro. Ses mains tremblaient. La petite fille avait peur. Elle demanda à son papa ce qui se passait mais il ne semblait pas l’entendre. Elle sortit de la cuisine sans qu’il la remarque cette fois, mais n’osa lui désobéir et entra à la place dans la chambre du bébé. Elle prit sa petite sœur dans les bras. Le bébé arrêta de pleurer. Elle s’assit par terre avec elle en la berçant maladroitement. La petite sœur de 4 ans les rejoint.

Quelques minutes plus tard, on entendit des sirènes qui approchaient. Des messieurs entrèrent, ils portaient des blouses blanches. D’autres étaient habillés comme des pompiers et portaient une civière. Au bout de longues minutes, ils ressortirent de la chambre avec sur la civière, une forme humaine. Une maman. Sa maman.

Le papa les rejoint dans la chambre. Il pleurait très fort. Il les serra toutes dans ses bras. Elle l’entendit murmurer « Elle a voulu mourir ».

Un monsieur entra et adressa à la petite fille un sourire triste. Il demanda au papa des choses comme son nom, l’âge de sa maman, des choses comme ça. Il dit aussi que la maman allait vivre. Il assura que ça arrivait très souvent après une naissance, et encore plus en cas de prématurité. Que le choc était dur pour la maman, qu’elle culpabilisait et souffrait de ne pas avoir son bébé dans sa chambre, d’entendre pleurer les bébés des autres, de rentrer à la maison alors que le bébé restait encore à l’hôpital…

La voisine arriva et le papa partit avec les sirènes.

Les semaines suivantes, les mamies, les tatas se succédèrent pour s’occuper des petites filles. La petite fille aussi s’occupa beaucoup de ses petites sœurs. Une fois, son papa lui dit qu’il était très fier d’elle, qu’elle était une vraie petite maman, et que bientôt tout irait bien. Inconsciemment elle savait qu’il mentait, comme mentent les adultes qui pensent protéger les enfants… elle ne lui en voulut pas.

Vingt ans plus tard, la petite fille était devenue une femme. En rangeant des vêtements dans l’armoire de sa mère, elle trouva une lettre.

C’était une lettre d’enfant, une simple feuille blanche, pliée en deux. Un cote était couvert d’une écriture malhabile.

« Ma petite maman chérie. J’espère que tu vas bien maintenant et que j’aurai bientôt le droit de venir te voir à l’hôpital. Je travaille bien a l’école et mes petites sœurs sont très sages. Toutes les deux, elles te cherchent partout dans la maison. Le bébé bouge beaucoup la nuit. Une fois, on l’a retrouvée la tête en bas du lit ! Tu me manques beaucoup et j’ai hâte de te voir. Gros bisous ma petite maman chérie. »

Sur la partie de gauche, une maman, un papa et trois petites filles étaient dessinés. Partout, des cœurs ,et des fleurs.

La femme remit la lettre a sa place, cachée sous les vêtements.

Ses mains étaient glacées.

Elle s’assit et elle pleura.

 

Comme à chaque fois que je relis cette lettre…