Il y a chez les poètes ( et non seulement chez eux), en substance, deux façon de se confronter au monde et de mettre en évidence son propre « déracinement » : l’ironie ou le pessimisme désespéré. Voila comme va la chose chez deux poètes modèles : Jean Tardieu (1903-1995) et Charles Baudelaire (1821-1867)

 Les grands poètes  trouvent difficilement leur place dans le monde.

Certains sombrent dans le pessimisme et expriment  ironiquement  leur angoisse  existentielle.

J’ai trouvé un poète qui use une ironie très forte dans ses poésies, Jean Tardieu, qui aime jouer avec le langage, probablement pour exorciser l’inquiétude suscitée par l’étrangeté du monde :

Coniugations et interrogations

J’irai je n’irai pas j’irai je n’irai pas

Je reviendrai Est-ce que je reviendrai ?

Je reviendrai je ne reviendrai pas

Pourtant je partirai (serai je déjà parti ?)

Parti reviendrai je ?

Et si je partais ? Et si je ne partais pas ? Et

Si je ne revenais pas ?

Elle est partie, Elle ! Elle est bien partie

Elle ne revient pas.

Est-ce que elle reviendra ? Je ne crois pas

Je ne crois pas qu’elle revienne

Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelque-

Fois tu n’es pas là-

Ils s’en vont, eux.  Ils vont-ils viennent

Ils partent ils ne partent pas ils reviennent

Ils ne reviennent plus

Si je partais, est-ce qu’ils reviendraient ?

Si je restais, est-ce qu’ils partiraient ? Si je

Pars, est-ce que tu pars ?

Est-ce que nos allons partir ?

Est-ce que nous allons rester ?

Est-ce que nous allons partir ?

La poésie de Jean Tardieu nous offre un exemple des fantaisies du langage d’un poète qui substitue, burlesquement,  un mot à un autre, jouant sur les sonorités et les images. Baudealaire est, au contraire, plus « traditionnel » et fort pessimiste, presque « lugubre », mais le résultat poétique est également d’un grand impact émotif chez le lecteur.

Baudelaire

«Any where out of the world » (« N’importe où … hors de ce monde »)

Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme. « Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu  d’habiter Lisbonne ? » …

Mon âme ne répond pas …

« Puisque tu aime tant le repos, avec le spectacle de mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, comme terre béatifiante ? »

Mon âme reste muette.

« Batavia te sourirait peut-être davantage ? »

Pas un mot.

« Alors plus loin encore, à l’extrême bout de la Baltique ; encore plus loin de la vie, si c’est possible. »

Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie :

« N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! »