La ilaha ilallah mohammadanrasoulilah. Au nom de la jugeotte, la très humble et très misérable, en en doutant, en doutant, on vous le narre : il était une fois… Al-Qaïda. Et sa houri Aqmi veut se faire aussi grosse que le zébu. Autant ne pas l’avaler, et ne pas demander une émir.

L’arabe est la « langue des anges » et sa rhétorique incantatoire a fini par gagner l’Occident. Il a suffi qu’une commère anglaise glapisse à l’oreille d’un bobby qu’un attentat contre le pape se préparait pour que des plumitifs scandent Al-Quaïda, Al-Quaïda ! en sautant comme des cabris. Il a aussi suffi qu’un « service ami » évoque une « femme kamikaze » pour que les gazettes et les PP (préfecture de police et Premiers Paris, selon Balzac) soient en émoi.

 

Tourner en dérision les menaces terroristes nuit à la crédibilité. Mais comment ne pas le faire quand même le très sérieux Alain Chouet, ex-patron du Renseignement de sécurité à l’ex-DGSE, devant le Sénat, en janvier dernier, puise ses métaphores chez ce pince-sans-rire d’Eugène Ionesco ? Al-Quaïda, selon lui, aurait été muée « en une espèce d’Amédée d’Eugène Ionesco, ce mort dont le cadavre ne cesse de grandir et d’occulter la réalité et dont on ne sait pas comment se débarrasser. ».

 

Son propos est que l’essaim d’Al-Quaïda a été flitoxé à plus de 90 % dans les grottes de Tora-Bora. Cette grotte fut à Ben Laden ce que celle d’Ouvéa fut aux Kanaks. Rappelons que, peut-être, tout comme les Talibans furent armés par les États-Unis, il aurait été estimé idoine d’armer et de radicaliser les Kanaks pour mieux les décimer. Ce parallèle n’est pas établi par Alain Chouet, mais quand je constate les modulations incantatoires employées par certains mohametophobes (dont je suis par principe mais en employant d’autres verbes), le fameux lapsus d’un speaker d’une radio française me revient toujours en mémoire : les « Macaques » répéta-t-il, pour désigner les Kanaks. Il est vrai qu’il est tentant de diaboliser un groupe, puis toute une communauté de gens forts divers (les immigrés non caucasiens, pour caricaturer), lorsque certains groupes d’aventuriers avides de pouvoir font de même au regard de l’Occident tout entier.

 

Résumons l’intervention d’Alain Chouet telle que rapportée par le site Contre Info. Tout racketteur, voire même rappeur, qui se réclame de l’islam doit agiter le spectre d’Al-Quaïda pour être pris au sérieux. Inversement, toute dictature trouve intérêt à crédibiliser cet opposant ou contestataire en assurant sa réclame. Alain Chouet n’évoque que les dictatures du monde musulman, mais on peut élargir la portée de sa dénonciation. « Tous les régimes du monde musulman, qui ne sont pas tous vertueux (…) ont bien compris qu’ils avaient tout intérêt à faire passer leurs opposants et leurs contestataires, quels qu’ils soient, pour des membres de l’organisation de Ben Laden, s’ils voulaient pouvoir les réprimer tranquillement, si possible avec l’assistance des Occidentaux. » Extrapolons en constatant que tous les partisans d’un « pouvoir fort », à la Jeanne-Marine Le Pen ou autre, finissent par caricaturer leur opposition en évoquant l’islam radical qui contaminerait jusqu’aux « cathos de gauche » (protestants, et autres humanistes agnostiques ou athées, inclus). C’est ainsi que procède, par exemple, Riposte laïque et d’autres groupes, y compris ceux qui affichent des sympathies pour le « sionisme » actuel (situé à maints égards à l’opposé de celui des origines), tel un Pierre Descaves (FN tendance Jeanne-Marine).

 

« Les idéologues de la violence islamique (…) sont des gens qui ont des objectifs précis. Leur objectif n’est pas d’islamiser le monde, c’est de prendre le pouvoir et les richesses qui y sont liées dans le monde musulman sans que l’Occident intervienne, un peu selon la même démarche que celle suivie à son époque par le frère Hassan Tourabi au Soudan… », constate Alain Chouet. De même, l’objectif de certains groupes n’est pas de « christianiser » ou « laïciser » l’Europe, mais de prendre le pouvoir, avec l’appui discret des néo-conservateurs américains qu’ils dénoncent, ce dont ces derniers s’accommodent fort bien.

 

Cela va plus loin puisque Sarkozy, et même Zapatero (de l’Internationale socialiste), continuent de creuser les déficits de leurs pays respectifs et d’envoyer au casse-pipe des militaires en Afghanistan. Cela répond aussi à des visées de politique intérieure. Pour Sarkozy, il s’agit d’amadouer une partie de l’opinion dite juive en ménageant une autre partie, antisémite au sens le plus large, et de donner des gages aux néo-conservateurs américains qui lui fourniront une retraite dorée, à la Tony Blair. Pour Zapatero, il s’agit de se concilier la puissance américaine pour contrer les appétits du roi du Maroc voulant asphyxier Ceuta et Melilla au point de pouvoir envisager un jour de les annexer à son royaume. Delenda Cartagena (non celle de Tunis ou des Caraïbes, mais le port de croisières espagnol concurrent des siens), tel est l’objectif de « notre ami le roi ». Cela se complique du fait que Mohamed VI contient efficacement sa salafiya (wahhabite et jihadiste). Laquelle lui est aussi utile que celle de Ben Ali en Tunisie. « Pour être tranquille chez soi, il faut rendre le monde musulman haineux et haïssable, » dit Alain Chouet de la dynastie saoudienne. On pourrait étendre le propos à d’autres dynasties, d’autres pays que l’Arabie et d’autres « Émirats ».

 

L’un des effets pervers du mythe d’Al-Quaïda est qu’il suscite aussi dans nos pays des adeptes de la théorie du « loup solitaire » chez les partisans de la suprématie blanche ou chrétienne (où l’alternative est ici à la fois inclusive et exclusive, cas rare). « C’est la technique qui a prévalu dans les attentats d’Atlanta et d’Oklahoma City et dans nombre d’actions individuelles, dont le total approche et même dépasse celui des morts du 11 septembre, » estime Alain Chouet. Pour le moment, en France, on se contente de susciter des « apéros sauciflard-pinard », dont certains adeptes, le soir venu, vont bousculer quelques sépultures musulmanes ou autres. L’UMP (Union des menteurs patentés) s’en offusque, tout en musclant son discours de relents xénophobes pour ne pas trop s’éloigner des « modérés » que ces courants pourraient bien finir par séduire.

 

Cette diabolisation de l’islam (les corans n’étant pas plus diaboliques, en eux-mêmes, que les bibles ou certains évangiles) peut aussi servir à obtenir que les grenouilles finissent par réclamer une grue. Dans le rôle, Jeanne-Marine Le Pen se verrait fort bien. Sarkozy s’y croit encore, ou feint de l’être, même si ses Carl Lang et d’autres masseurs d’opinions se multiplient dans son clan.

 

Revenons à Aqmi qui veut se faire aussi grosse que le buffle syncerus ou le zébu du Patchounistan (ou ouest-africain). La sincérité islamique d’Aqmi est quelque peu douteuse. Rien n’indique vraiment que sa seule katiba sahélienne soit à l’œuvre sur la vaste zone débordant du Mali et du Niger. Louis Caprioli, un des multiples experts privés de la sécurité, a considéré, pour Le Figaro, que la médiatisation des menaces de divers groupes avait l’avantage de les intimider. Bah, je ne suis pas contre-expert en la matière, mais il me semble que susciter des vocations, peut-être un temps contrariées, de « loups solitaires », n’est peut-être pas très productif.

 

Aqmi n’est qu’une vessie dont la seule lanterne est son désir de se créer une « zone franche » dans un premier temps, de faire prospérer ses dirigeants et ses séides locaux dans un second, aux dépens des populations civiles à inféoder. Les chefs de guerre afghans qui brandissent tout autant un coran que leurs rivaux ne procèdent pas autrement. Faire d’Aqmi un « mouvement franchisé d’Al-Quaïda », comme Alain Rodier, directeur du Centre français de recherches sur le renseignement, c’est obtenir l’oreille des médias pour populariser son officine universitaire. Il est quand même étonnant que le Cf2r n’applique pas à l’Aqmi l’analyse prudente qu’elle réserve à l’« ultra-gauche » (« L’ultragauche : épiphénomène politique ou label médiatique ? », ainsi la présente Sécurité globale, revue proche de ce groupe de réflexion). Dans sa note d’actualité sur l’Afrique de l’Ouest, le même Alain Rodier relève : « si, jusqu’à présent, aucune preuve formelle n’est venue confirmer l’implication d’AQMI dans le trafic de drogue, il semble qu’une partie de la composante sahélienne du mouvement y est associée, au moins en terme de “protection” de ce commerce illicite. ». En fait, on ne sait trop s’il s’agit d’un groupe rackettant les trafiquants de drogue ou se livrant lui-même à la contrebande.

 

De même, ce groupe ou d’autres véhicule une bien étrange version des prises d’otages. « Les services français ont enlevé les sept otages au Niger, selon nos sources aucun signe de vie des otages depuis dimanche dernier. Les tribues touaregues accusent la France de mener une guerre coloniale contre les tribues touaregues au travers de l’armée nigérienne dont le nouveau chef a été mis en place par les services français lors du dernier coup d’État, de piller le Niger et ses richesses naturelles… ce sont ces éléments français qui ont enlevé indirectement les otages d’Areva avec l’aide de leurs réseaux de trafiquants de drogue locaux qui sont étrangement puissamment armés. ». Contre-propagande ? Sans doute. La main gauche peut souvent ignorer (voire dénoncer) ce que fait la main « droite ». Pour Islamic Intelligence, ce serait de nouveau Israël qui aurait tenté d’assassiner Benoît XVI à Londres, tout comme les Bulgares restent persuadés que l’attentat contre Jean-Paul II était commandité par les services secrets italiens eux-mêmes. Il y aurait donc un complot israélo-français général. Peut-être n’est-il pas « intelligent » (voire trop « intelligent ») d’opposer une théorie du complot à une autre théorie du complot. Les effets pervers et les dégâts collatéraux sont en général subis par ceux qui les gobent, dans tous les camps.

Pour s’en départir, il n’est pas parfois inutile de recourir à la fable et à la dérision.