La langue d’Orange : ni le néerlandais, ni le français, l’anglais !

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Aujourd’hui vendredi 23 octobre 2009, et demain samedi, le Centre culturel français de Timisoara organise ses journées « Portes ouvertes ». Il dépend aussi, pour ses activités, comme par exemple, hier jeudi, la conférence – en français – du journaliste de l’Agence France-Presse Calin Neascu, des libéralités des entreprises françaises implantées dans la province du Banat. Merci à elles, mais pourquoi donc, dans un pays adhérent à la Francophonie, une entreprise telle que la filiale de France Télécom (pardon, Telecom, pour faire « mondial »), Orange, communique-t-elle en anglais. Et ce à la sortie des universités ?

 

Bien en évidence, et rétroéclairée la nuit, l’inscription, « obamiste » avant la date, de l’opérateur de téléphonie Orange, agrémente les abribus de la ville de Timisoara, en Roumanie. Celui-ci est placé juste devant l’Université de Vest din Timosoara et son « rectorat » (sa présidence). Transitent devant cette inscription plus de 21 000 étudiantes et étudiants, dont beaucoup apprenent encore le français ou ont fréquenté le lycée français de la ville (le lycée Jean-Louis Calderon, envoyé spécial de la chaîne La Cinq, décédé à la suite d’un «  accident du travail », soit mort par balles le 22 décembre 1989, lors de la chute du régime communiste) ; ce chiffre ne vaut que pour la seule UVT, mais les effectifs de l’université Polytechnique, qui fournit des informaticiens à Alcatel-Lucent, entreprise franco-américaine, voient aussi ces fortes paroles. Ensemble, on fait plus (et mieux pour les Francophones qui bougent, comme le voulait un slogan des Banques Populaires ?).
Qu’on ne se méprenne pas. La Roumanie reste un pays où le français est encore excellement parlé. Mais par un nombre de plus en plus restreint d’intellectuel·le·s et de personnes hautement cultivées. Partout, notamment dans les effectifs estudiantins, le niveau s’affaisse trop souvent et par souci d’efficacité, les jeunes se tournent vers l’anglais, assimilé très vite grâce aux soustitrages des films et des clips télévisuels. Et à Timisoara, où la sphère anglophone ne se manifeste d’évidence qu’au travers d’une agence de la Bank of Scotland, il est bien plus aisé de demander, sur le campus, son chemin en anglais qu’en français. Pourtant, en la personne du directeur-général d’Alcatel-Lucent à Timisoara (premier centre technique mondial pour cette entreprise), la France est représentée par un consul, tout comme l’Allemagne qui compte encore de nombreux germanophones dans la province du Banat (les Schwaben, les Souabes, à distinguer des Saxons de Transylvanie, tout autant germanophones). La Roumanie bénéficie de l’implantation de quatre centres culturels français, dans la capitale et les trois principales villes universitaires. De même, à Timisoara, le « lectorat  » de français de l’UVT (le titre de lecteur précède immédiatement celui de maître de conférences, il ne s’agit pas de simples répétiteurs), la lectrice belge de l’UPT (univ. polytechnique), soutenue par la communauté Bruxelles-Wallonie, animent des activités dont le rayonnement dépasse largement le cadre universitaire. Orange, à la robe aux couleurs des Flandres, et des Bas-Pays, n’en opte pas moins, pour sa communication, pour l’anglais.
Les tarifs sont adaptés à la concurrence, celles de Vodafone  (partenaire SFR) et Cosmote-Zapp-Télémobil (chacun des trois opérateurs captant environ un tiers du marché, le concurrent RCS-RDS n’en occupant que 2 %), et on remarquera que, pour 12 euros, on a bien autant, sinon davantage que ce qu’on obtient pour 30 en France ou en Belgique. On ne sait pas si la panthère d’Orange met un tigre dans le moteur des communications nationales et internationales en Roumanie mais en tout cas, ses tarifs sont tout autant étudiés que ceux des opérateurs couvrant la France et que Bruxelles met parfois dans son collimateur pour entente illégale. Ensemble, peuvent mieux faire ? Telle serait donc l’interprétation qu’il conviendrait d’avoir de ce message  ? Serait-ce en raison de ses ambiguités que la langue anglaise a été préférée à cette langue romane qu’est le roumain ou au français ? Tout à coup, tout s’éclaire… Il est vrai qu’un tous pour un, un pour tous aurait été un peu trop explicite. L’anglais conviendrait-il mieux pour faire prendre des vessies pour des lanternes et des oies (oui, oui, oie, tel n’était-il pas le slogan d’Obama…) pour des canes  ? Les canetons roumains pourraient bien finir par épingler l’Orange…
Pour finir sur une note amusante, évoquons cette anecdote que consigne Calin Neacsu dans son livre La Mort du rabbin (TdB éditions ). L’un des tout premiers tabloïdes à paraître en Roumanie après la chute du régime communiste avait titré en page une, photo d’une paysanne tenant une gallinacée à l’appui, qu’une poule avait pondu deux poussins vivants. Hen lays to live chicks, aurait pu titrer News of the World. La traduction vers le français d’un tel titre pourrait évoquer des pratiques triolistes. Voir plus haut au sujet d’Orange, de Vodafone et de Cosmote. Attention, l’anglais est une langue qui peut parfois nuire gravement à la compréhension…
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Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !