Après les États-Unis, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, bien sûr Israël et tout récemment le Bahrein, la France s’apprêterait à placer le Hezbollah (Hizballah) sur la liste des organisations terroristes. Cela à la suite de la conviction renforcée de la Bulgarie que le Hezbollah est le responsable de l’attentat de l’aéroport de Bourgas (Burgas) en juillet 2012, de la condamnation, à Chypre, d’un Libano-Suédois qui projetait des attaques contre des touristes israéliens, mais aussi du soutien de l’organisation à l’Iran et au régime syrien. Problème, le Hezbollah tient la clef des prochaines élections au Liban qu’il propose d’organiser sur des bases confessionnelles.
Selon le quotidien arabophone al-Hayat (Londres), relayé par le Times of Israël et la presse israélienne, la France serait disposée à placer rapidement le Hezbollah (en tout cas sa branche militaire) sur la liste des organisations terroristes internationales.
Ce serait lors de la visite à Paris du secrétaire d’État étasunien John Kerry que son homologue français, Laurent Fabius, aurait fait part de cette mesure imminente, selon un diplomate français s’étant entretenu avec al-Hayat.
La mesure répond à diverses raisons. La liste des attentats attribués, parfois à tort, souvent à raison, au Hezbollah est très longue. Le 21 mars dernier, un tribunal chypriote a condamné Hossam Taleb Yaacoub, 24 ans, un Libano-Syrien se réclamant du Hezbollah, pour avoir tenté de collecter des informations en vue d’un attentat visant des avions israéliens se posant à l’aéroport de Limassol.
Par ailleurs, même si la Bulgarie ne demande pas à l’Union européenne de considérer terroriste l’organisation, Sofia assure que l’attentat ayant visé, à Bourgas en juillet, un bus transportant des touristes israélien, provoquant la mort du chauffeur et de cinq passagers, pouvait être attribué avec encore plus de certitudes au Hezbollah.
En Isrël, l’organisation est suspectée d’avoir recruté un agent israélo-australien, entré au Mossad en 2003, Ben Zygier, dit le prisonnier ×, lequel s’était suicidé, en 2010, dans sa cellule.
Mais c’est surtout le soutien de l’organisation, chiite, proche de l’Iran, au régime de Bachar Assad, et son incitation à engager le Liban dans un support actif au régime syrien qui pourrait expliquer cette évolution de la position française.
Lors de sa récente visite en Israël, le président Obama avait publiquement appelé tous les pays à bannir toute relation avec le Hezbollah, organisation terroriste à laquelle il attribue sans le moindre doute l’attentat dans la station balnéaire bulgare. Déjà, en 1994, le Hezbollah s’était rendu coupable d’un attenta contre un centre culturel juif à Buenos Aires, provoquant la mort de 85 personnes et de très nombreux blessés.
Mesure symbolique ?
Soutenu financièrement et armé par l’Iran, le Hezbollah a en quelque sorte deux visages. Il a considérablement réduit ses ambitions proclamées de faire du Liban un État lié à la Syrie et à l’Iran et dominé par la minorité chiite en 2009, mais il fait et défait les gouvernements libanais, grâce à diverses alliances, depuis 2006.
Alors que les élections approchent au Liban, l’organisation s’est opposée à la formation d’un gouvernement de techniciens et plaide toujours pour des élections organisées sur des bases confessionnelles. Avec l’organisation Amal et le Mouvement patriotique libre de Michel Aoun et d’autres composantes, le Hezbollah veut faire modifier la loi électorale.
Une inscription de l’organisation sur la liste des groupes terroristes en France pourrait avoir des répercussions : la France participe toujours à la mission des Nations unies au Liban, fournissant partie du contingent de la Finul (Unifil) avec plus de 200 militaires, force sécurisant le sud du Liban face à Israël.
La France conserve des liens et divers intérêts au Liban. D’un autre côté, le Hezbollah lève des fonds en Europe et place des cellules dans divers pays (dont certains d’Amérique latine, notamment au Venezuela, est-il fortement supposé).
Cette nouvelle donne, si elle se confirme, s’inscrit dans un contexte de radicalisation des conflits religieux au Moyen-Orient. Les chiites dominent plus ou moins l’Iraq (hors le nord kurde) et se voient de plus en plus attaqués par des groupes sunnites qui appuient les milices anti-régime en Syrie. L’Iran et le Hezbollah fournissent des combattants aguerris au régime syrien, mais aussi des armes en provenance principalement de l’Iran.
L’annonce, non confirmée encore ce 29 mars en début d’après-midi, pourrait précéder de peu une décision allemande similaire. Le ministre allemand de l’Intérieur, Hans-Peter Friedrich, et son homologue des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, ont fait savoir au Spiegel que, si les suspicions bulgares étaient encore davantage étayées, l’Allemagne pourrait plaider pour un placement de l’organisation libanaise sur la liste des groupes terroristes au niveau de l’Union européenne.
Le Liban très divisé
Jusqu’à voici peu, du fait de la participation de plusieurs ministres du Hezbollah aux gouvernements libanais, la France déclarait ne pas envisager une telle mesure. Mais la France pourrait effectivement se résoudre à condamner la branche militaire de la formation, ou uniquement certains de ses membres, sans viser directement sa branche politique.
Au Liban, trois forces principales sont en présence (si l’on néglige des milices chrétiennes qui pourraient se reformer). L’armée, peu opérante, les forces du Hezbollah, et les Forces de sécurité internes (FSI), fortes de 30 000 hommes, qui étaient dirigées par un sunnite. Il est redouté par les sunnites que le Hezbollah vise le démantèlement des FSI.
Israël met la pression sur les pays amis en faisant valoir que la branche armée du Hezbollah dispose de drones, de missiles Scud-D à longue portée (700 km) pouvant être dotées de têtes chimiques. Le « Parti de Dieu » (Hezbollah) aurait aussi soudoyé des officiers syriens dissidents (alaouites, chiites) réfugiés au Liban pour obtenir des renseignements sur le fonctionnement d’armements russes en vue d’attaques sur Israël.
Roger Noriega, un ancien ambassadeur américain, fait pour sa part valoir que le Hezbollah et l’Iran auraient noué des liens avec des narcotrafiquants sud-américains et se servirait des banques du Venezuela pour blanchir des fonds servant à préparer des opérations terroristes visant les intérêts israéliens ou les opposants au régime syrien partout dans le monde.
La France pourrait, si la décision est confirmée, se contenter d’un geste symbolique en restreignant la formulation de sa condamnation. Mais l’Allemagne semble à présent plus en pointe sur ce dossier.
Selon le chercheur algérien Mohamed-Réda Mézoui, qui vient de donner un entretien à La Voix de la Russie, la condamnation du Hezbollah serait le signe avant-coureur d’une guerre israélo-iranienne imminente : « On déstabilise la Syrie pour que le Hezbollah n’ait plus aucun soutien et ensuite, il ne reste plus qu’à s’attaquer à l’Iran, ce qui ne représentera plus une manœuvre difficile sachant que toutes les pétromonarchies jouent contre Téhéran. Pourquoi ? Parce que l’Iran remet non seulement en question la suprématie religieuse de l’Arabie Saoudite en disant que le monopole de la Mecque n’appartient pas uniquement aux Saoudiens mais en plus fait peur aux petites monarchies intimidées par un Iran jugé trop puissant. ».
Chiites contre sunnites, malékites, &c.
Les tensions s’exacerbent dans le monde musulman dont l’Oumma se déchire. Le cheikh tunisien Mokhtar Jebali a récemment estimé que les volontaires tunisiens ayant mené le djihad en Syrie auprès des milices sunnites combattantes devraient être honorés et intégrés dans l’armée ou la police tunisiennes.
En Égypte, l’armée accuse le Hezbollah de créer des cellules clandestines en vue de saper l’autorité des Frères musulmans et du gouvernement. En Iraq, divers attentats à la voiture piégée, à Bagdad et Kirkuk, ont visé ce vendredi des mosquées chiites, tuant 18 personnes et faisant environ 80 blessés, ce vendredi. Le bilan des morts violentes est déjà de 245 depuis le début du mois en Irak, la plupart dus à des affrontements communautaires.
Des élections se tiendront dans 12 des 18 provinces irakiennes le 20 avril et la campagne se fait sur des lignes tribales ou religieuses, sans réel programme avancé.
Le 14 mars dernier, une attaque contre le ministère irakien de la justice avait fait de nombreux morts dans la capitale irakienne. Elle avait été revendiquée par l’État islamique d’Irak (sunnite) pour « pour venger les femmes sunnites internées dans les prisons des apostats » (entendez les chiites).
En Lybie, le cheikh Cheikh Sadeq al-Ghariani (sunnite malékite) vient d’interdire le mariage de Libyennes avec tout étranger, fusse-t-il musulman : ce mufti répond ainsi à des cas de mariages mixtes avec des chiites syriens ou iraniens. Le prophète Mahomet avait pourtant épousé deux veuves juives et une copte.
Au Yémen, le 25 mars, des manifestations pro Bachar al-Assad ont rassemblé des Houthis (chiites du nord) et des opposants aux groupes djihadistes sunnites.
En Algérie (voir notre autre article), le tout récent syndicat des imams (makélites) s’oppose aux salafistes et aux chiites.
Pour le moment, la décision française, sans doute encore à l’étude quant à sa formulation, ou l’allemande, ont été répercutées dans la presse israélienne mais pas encore dans celles des pays musulmans.