Avec une incroyable prétention, le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en A0… F ?) a estimé que la France avait attaqué l’islam et qu’il frappera « au cœur de la France ». Et pourquoi pas de la prétendue « Fille ainée de l’église catholique romaine » ? Et quelle sera donc la cible ? Un magasin Tati (cela s’est vu…), l’hôtel particulier d’un émir, ou le « sanctuaire » de Lourdes ? Alors que la France est actuellement, partiellement, terre musulmane, cette menace ne devrait pas rester sans réponse, notamment de la part du Conseil français du culte musulman qui, par ailleurs, demande à la présidence de dénoncer la montée de l’islamophobie en France. 

Il ne s’agit pas, bien au contraire, de jeter de l’huile sur le feu. Mais, que l’on sache, le gouvernement français n’a pas décidé de raser La Mecque. Ni obtenu l’aval du Vatican pour intervenir au Mali…

« À moi, les enfants de la Veuve ! », aurait lancé, dit-on, Henri Brisson à la tribune de l’Assemblée nationale, en juin 1899, pour tenter de se rallier les francs-maçons de l’opposition ou d’obtenir leur abstention. Bien évidemment, cela eut pour répercussion l’indignation de tous ceux qui s’opposaient à la séparation de l’Église (des églises chrétiennes) et de l’État.

Le Parti communiste français, dans un communiqué quelque peu alambiqué par ailleurs, demande que soient recherchés une solution politique et un dialogue « avec les groupes de la rébellion non liés au terrorisme et respectueux de l’intégrité politique du Mali. ».
Ce qui suppose qu’il en existe.
Le PCF réclame que soit aussi respectée la Charte des Nations-Unies.

En dépit du reproche de n’avoir pas engagé un « débat préalable au Parlement » (et pourquoi pas pour l’opération en Somalie aussi, dans ce cas ?), le PCF ne désavoue pas l’intervention au nord du Mali. Il prend acte des éventuelles conséquences, tant sur le plan intérieur malien que plus largement, en Afrique et ailleurs.
Pour les « groupes islamistes radicaux » maliens mais aussi allogènes, foin de ces nuances : il s’agit de camper une ancienne puissance coloniale chrétienne et athée à la fois dressée contre l’islam, comme si le leur était le seul, l’unique, et non pas l’une de ses multiples composantes et de fait, un prétexte, et contre le principe d’auto-détermination des peuples.
Avec, peut-être, voire assurément, l’intention de susciter une recrudescence de l’expression islamophobe en France. C’est bien sûr « de mauvaise guerre », mais quelle guerre peut se targuer d’être uniquement juste, nette et sans bavures ?

Piège grossier

Cet appel à se rallier tous les musulmans du monde entier ne fait ni chaud, ni froid, aux militaires français (voire « étrangers » si la Légion intervenait), ni aux militaires des pays alliés participant, de près de loin, aux opérations, qui se réclament aussi de la foi musulmane. 

On comprend mieux pourquoi aussi le plus grand nombre (c’est là une litote) des musulmans de France, qu’ils soient d’origines maliennes ou autres, ne manifestent nulle solidarité avec l’ensemble des envahisseurs musulmans du nord du Mali, quand on tente de considérer les réalités en face.

Dans un livre récent, Le Mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective (Seuil), le politologue Raphaël Liogier démonte quelques arguments des islamophobes. Ou plutôt de celles et ceux d’entre eux qui tirent de leurs convictions (réelles ou feintes) un discours compulsionnel. Lesquels ne sont d’ailleurs pas que des « souchiens », mais aussi des personnes issues de sociétés à cultures musulmanes dominantes.

Si menace il y avait, de contamination de nos coutumes et us dit « européens », Liogier la voit plutôt venir du coté d’un christianisme évangélique et pentecôtiste. J’ajoute aussi : du côté de l’orthodoxie radicale, du christianisme attentatoire aux libertés (n’est-il point, Gérard Depardieu ?). Mais quand on ne veut pas voir, ou s’est déjà rendu aveugle, rien ou peu n’y fait.

Discriminer, oui

Oui, il convient de discriminer et de manière aussi détaillée que possible : il existe aussi, au nord du Mali, des musulmans opposés au pouvoir central malien pour des raisons qui ont peu à voir avec l’islam. Il y a sans doute, en France aussi, des supports potentiels d’Aqmi ou du Mujao. Mais il ne s’agit pas, très loin de là, de l’immense majorité des musulmans français ou d’origines étrangères. Ce qu’il sera tenté de nous faire redouter.

Il n’est pire aveugle que qui ne veut pas voir. Si, par exemple, le Conseil français du culte musulman – ou certaines de ses diverses composantes – condamnait une nouvelle fois l’extrémisme religieux musulman, ce ne serait pas ni la première, ni la dernière fois. Qu’on le trouve ou non « faux cul », son communiqué commun avec Jean-François Copé, vaut condamnation de « ceux qui instrumentalisent l’islam à des fins contraires aux principes et valeurs de la République. ». C’est écrit noir sur blanc. Et dans le contexte, cela vaut, une nouvelle fois, dénonciation et discrimination : à l’encontre des groupes islamistes radicaux prêchant le jihad guerrier. « Le CFCM réaffirme sa détermination à lutter aux côtés de tous les républicains contre toutes les formes d’intégrisme et d’extrémisme. ». Que vouloir de plus ? Eh bien,si.

Discours duplice, forcément duplice, assènent celles et ceux pour qui tout islam est un épouvantail. C’est aussi – en partie – exact : tout comme la plupart des confessions chrétiennes, les musulmanes veulent conserver une visibilité. Tout comme les gouvernements successifs français (et sans doute une majorité des prétendues communautés homosexuelles) veulent conforter leurs institutions, ou plutôt celles de leurs représentants, en donnant à des élus de tous bords l’occasion de se livrer à la corvée du mariage en mairie. Un passage devant notaire ne suffit pas : il faut sortir les écharpes, rencontrer les administrés, et pour des (et non les) couples d’homosexuel·le·s, gagner en visibilité, voire se hausser du col dans les instances paroissiales ou confessionnelles (ce qui vaut aussi timidement pour l’un des islams, depuis peu).

Ne pas s’aveugler

Oui, discriminer et interpréter est nécessaire. Le viol, selon l’International Rescue Committee, serait la principale cause de fuite des Syriennes hors des frontières. Les victimes sont de toutes confessions proclamées, et ces viols sont le fait sans doute de toutes les parties combattantes en présence (donc, peut-être, qui peut l’exclure, de toutes confessions). L’athéisme marxiste-léniniste, pas plus que l’idéal démocrate teinté de religiosité chrétienne, n’avaient empêché les troupes en présence en Allemagne, à fin de la Seconde guerre, de se livrer à des viols. Hordes bolchéviques ou capitalistes ? Musulmanes ou chrétiennes ?

Il serait plus que souhaitable que les discours et expressions publiques soient mesurés. Dans le cas du gouvernement français (et jusqu’à peu de la France dont les représentants du peuple ne s’étaient pas majoritairement exprimés), le conflit au Mali n’est nullement dirigé contre tous les islams, ou globalement, le mahométanisme. Il ne vise sans doute pas à conforter toutes les ambitions d’un pouvoir en place à Bamako, lequel est d’ailleurs loin d’être monolithique. Des parties du pouvoir civil et militaire y convergent ou divergent. Mais une clarification n’est pas inutile.
Tout comme il ne serait pas inutile que le Conseil musulman français clarifie les choses. Ce n’est pas au nom de l’islam mais d’une cause et d’ambitions politico-économiques que le Mujao prétend frapper sur le sol français.

Au Royaume-Uni aussi, du fait du soutien logistique accordé aux forces françaises engagées au Mali, des inquiétudes ont été exprimées. Tout comme sans doute en sera-t-il encore plus fortement en Algérie, pays devenu très peu séculier, qui a autorisé les chasseurs-bombardiers français (et des appareils britanniques) à survoler son territoire. C’est d’ailleurs déjà le cas : RCD, FFS et MSP algériens ont critiqué l’attitude du gouvernement algérien. En dénonçant, pour le RCD, les « collusions affichées avec les islamistes terroristes d’Ançar Eddine » (l’une des trois composantes du Mali septentrional se réclamant de la charia, qualifiée parfois de « narco-islamiste »). Le FFS (socialiste) se prononcera plus clairement dans « les prochains jours ». Le MSP considère que l’intervention française « sabote les efforts diplomatiques et politiques ».

Diango Cissoko, Premier ministre malien, est arrivé à Alger, à l’invitation de son homologue algérien. Il s’agit de coordonner les efforts algéro-maliens (et libyens et tunisiens) « pour éradiquer le terrorisme et le crime organisé ». Peut-être aussi d’empêcher que Bamako se tourne vers Rabat ?

Quelle issue, avec qui ?

Une composante n’est guère évoquée. Les Touaregs, sans doute majoritairement musulmans, mais qui ne réclament pas l’instauration de la charia (ou même la revendiquent, selon leur propre interprétation). Les verra-t-on sacrifiés au profit d’une mouvance islamiste proclamée mais surtout affairiste ?

On voit bien quel parti les islamophobes convulsifs peuvent tirer des déclarations du Mujao. On ne sait trop quelle instrumentalisation des islams peut convenir à certains groupes de pression occidentaux. Il sera peut-être éclairant de voir quels bastions de quelle(s) formation(s) sont prioritairement frappés.

La revendication du Mujao ne doit pas occulter la complexité de la situation. Tout d’abord, la sécurisation de l’ensemble du vaste territoire du nord-Mali est une gageure. Il faudra au final négocier, soit obtenir des redditions pas trop déshonorantes.

Sur Oumma (com), on peut lire d’Ansar Dine : « Que ce mouvement ait connu par la suite une évolution idéologique fondamentaliste est une chose que seul une islamophobie aveugle pourrait confondre avec le djihadisme terroriste dans lequel excellent des groupes comme Aqmi et le Mujao. Justifier une guerre au Mali au nom de la lutte contre le fondamentalisme d’Ansar Dine c’est comme si l’État italien justifiait dans les années 1970 et 1980 une mise hors-la loi du parti communiste italien sous prétexte que les groupes terroristes des Brigades rouges et de Prima  Linea usaient de la même rhétorique marxiste-léniniste ! ». Ce n’est certes pas à prendre pour argent comptant.
Mais la seconde partie de l’argumentation doit donner à réfléchir : « Si l’application de la charia devait constituer un objet de casus belli, la France devrait entrer sans tarder en guerre contre les pétromonarchies du Golfe et bientôt contre les pays arabes dont la nouvelle constitution devrait s’inspirer explicitement de la charia : Égypte, Tunisie, Libye et bientôt Syrie ! ». Argument un peu facile puisqu’il est évident que la France ne peut se le permettre, encore moins ses industriels ou financiers.

Quoi qu’il en soit, il conviendra de garder en tête qu’il n’y a pas un islam uniforme ni même un islam politique homogène, mais des islams, et divers islamismes politiques. De même, il n’y a pas une position unanime française à l’endroit de ces islams et islamismes politiques, mais diverses « doctrines » géopolitiques et sociétales. Aussi, au Mali, à Bamako comme dans le nord du pays, diverses ambitions.

Comme le conclut, dans un entretien avec Le Temps (.dz), Yves Bonnet, ancien patron de la DST, qui fut très critique des modalités de l’intervention française en Libye : « Fournissons [aux Maliens] les matériaux mais ne montons pas sur l’échafaudage. ». Sur le plan intérieur, ne prenons pas prétexte de la déclaration du Mujao pour renforcer la cécité. 

Ce qui n’empêche pas que le Conseil musulman français gagnerait sans doute à se prononcer sur la déclaration du Mujao. À propos du mariage pour tous, après avoir oublié de préciser « actuels » au sujet des « principes de la jurisprudence musulmane » (faisant « l’unanimité » sur la question, ce qui n’est pas sûr), il concluait par une citation de Bergson. Une erreur politique, parmi d’autres, inverses, consiste à croire que « ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui ». Certes. Mais pour ménager l’avenir, peut-être conviendrait-il d’admettre – enfin ! – que l’islam est divers, nettement, clairement… Le Mujao en fournit une nouvelle occasion. Laissons du temps au temps, mais l’appellation « Conseil français des cultes musulmans » ou « Conseil des cultes musulmans en France » correspond déjà aux réalités.

Au lieu de cela, le CFCM relève : « Le CFCM tient à rappeler que plus de 90 % des victimes du terrorisme international, sont de confession musulmane. Dès lors, l’usage abusif des termes “islamiste“ ou  “islamisme”  qui nourrit l’amalgame entre le terrorisme et l’islam, religion de paix qui sacralise la vie, porte atteinte à l’image de la foi musulmane ». Désolé, mais appelons un chat, un chat, un persan, un persan et un siamois, un siamois ; même si dans les « rats » islamistes se trouvent des « mulots », des « souris », des « musaraignes », &c. D’ailleurs, aucune religion ou presque (les exceptions sont rares) n’est que de paix et ne sacralise la vie que selon ses propres termes. Ce qu’il n’est plus à démontrer : il est faux d’affirmer que « ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui » en tout cas et toute circonstance.

P.-S. – merci d’établir le distinguo entre guillemets de citation et de distanciation, entre citations authentiques (en italiques) et mises entre guillemets.

N.-B. –  Avec son « la Libye a fait précédent, le Mali fera jurisprudence » (entretien avec le Nice-Matin de Bernard Tapie), Bernard-Henri Lévy fait son Gérard Depardieu. Duquel Depardieu est attendu un martial « J’en appelle à la Très Sainte Russie de combattre le terrorisme islamique au Mali ». Ben oui, comme le dit BHL « les terroristes n’ont pas de frontières. Les démocrates ne doivent pas en avoir non plus. ». Ainsi des démocrates russes en Syrie et ailleurs ? Bientôt une intervention armée démocrate commune de Depardieu et BHL au Mali ?