Je lisais récemment l’indignation savoureuse de Laurent Joffrin, ulcéré qu’on ose le tutoyer ou le contrarier sur Twitter.
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/laurent-joffrin/20110901.OBS9605/qui-vous-autorise-me-tutoyer.html

Cet éminent confrère digère mal les entartages virtuels qui le changent des petits fours des plateaux télé. Il n’est pas le premier à s’agacer de ces crimes de lèse-majesté. Mais lui au moins a le courage de s’exposer quand d’autres ont fui le combat. Laissant à leurs vassaux "l’honneur" des batailles indécises.

Joffrin semble décontenancé par la parole rugueuse du web. D’autant moins consensuelle qu’elle a été trop longtemps confisquée par les média main stream. Leurs directeurs de conscience nous disaient le bien, le mal. Le digne, l’indigne. Le vrai, le faux. Le noble, l’ignoble. Or la parole numérique ne vénère plus les caciques, leurs discours stéréotypés, leur morale manichéenne et leurs arguments d’autorité. Pour être crédible, il faut démontrer et justifier.
De quoi tomber de haut quand on a été un habitué des tapis rouges déroulés par des larbins obséquieux.

Plus de courbettes ni de révérences

Le journaliste qui, dans le meilleur des cas, délivrait un cours magistral, et dans le pire prenait son auditoire pour des oies gavées à l’entonnoir… C’est fini !
L’interactivité de la toile a mis un terme à cette diffusion verticale de l’info ou du savoir du haut vers le bas. Désormais, la connaissance circule de façon transversale et multipolaire. Dans tous les sens. A donner le tournis à un derviche. Les sources foisonnent, les comparaisons abondent, les commentaires fusent, on n’est plus entre aristocrates du verbe convenu liés pas de tacites connivences.

On a le droit, et même le devoir de discuter les points de vue péremptoires des "professeurs" et des "prescripteurs d’opinion". De vomir leurs bouillies prédigérées de prêt-à-penser. Et même de railler l’attitude psychorogide des penseurs de salon, faux philosophes mais vrais cuistres présomptueux.

D’autant que parfois, "l’ élève" en sait plus que le "maître" sur un point bien précis. Un renversement de la dialectique hegelienne conduisant à la fin des révérences.

Quant aux références…

Qui les possède ? Tout le monde et personne !
Tous les musées, toutes les bibliothèques, toutes les médiatèques, toutes les archives, tous les sites historiques s’offrent à l’appétit de notre souris… Et demain sans doute, de façon encore plus exhaustive, les hologrammes nous rendront visite à domicile.

Le web a amplifié la tendance antérieure au zapping : volonté d’échapper au martèlement des propagandes, de se forger sa propre opinion, de personnaliser ses choix et de contrôler l’intrusion discourtoise de ces gens qui s’incrustent dans le poste. Lesquels ignoraient quand on leur fermait le caquet. Et se croyaient toujours indispensables.
 
Si l’informatique en réseaux évolue vite, les mentalités, les comportements individuels et sociaux changent encore plus vite. Le prestige révérentiel de l’autorité cooptée ou autoproclamée n’est plus une valeur sûre. Plus rien n’est pérenne. Les paradigmes anciens se diluent dans l’éphémère des idéologies en perdition et des hiérarchies disloquées. Et la plasticité intellectuelle en est le corollaire.

Nos distingués confrères qui  refusent d’admettre cette évolution sociétale seront  bientôt aussi obsolètes que les derniers chasseurs de mammouths.
La nomenklatura enfermée dans sa tour d’ivoire s’y momifiera en guettant, en vain, l’assaut des Tartares.