Surprenant. Alors que Dominique Strauss-Kahn incite France, Allemagne et pays de l’Europe du Nord, a faire bénéficier le sud de la zone euro de taux d’intérêts plus bas, l’Espagne compte davantage sur une concurrence accrue de son économie… via une « dévaluation interne » et une réduction des marges bénéficiaires plutôt que de peser uniquement sur les salaires. 

Aide-toi, le ciel t’aidera, mais n’impose plus seulement tes mesures de secours à tes seuls salariés. Tel est l’étonnant message – tout simplement parce qu’il détonne, non parce qu’il implique en soi – du chef économique de la Banque d’Espagne aux entrepreneurs espagnols.

José Luis Malo de Molina, de la Banque d’Espagne, lie la compétitivité retrouvée (ou plutôt encore en voie de rétablissement) de l’économie espagnole à une « dévaluation interne » qui suppose que l’effort soit porté tant sur la réduction des marges bénéficiaires des entrepreneurs que sur celle des charges, notamment salariales.

La marge bénéficiaire, c’est tout simplement la différence entre le prix de vente de biens ou services et les coûts de production (achats, fonctionnement, coûts salariaux…). Pour Malo de Molina, la dévaluation interne doit permettre de rendre plus attractive la production espagnole, mais en évitant de détruire l’emploi. Les gains de productivité fondé sur la réduction des coûts salariaux ne peuvent suffire. Pour ajuster les prix à la baisse, il convient aussi d’agir sur les autres coûts de production, mais aussi les marges bénéficiaires.

Le raisonnement n’a rien de révolutionnaire. Si un fournisseur réduit sa marge et que son client, un intermédiaire, fait de même, ces deux acteurs économiques ajustent non seulement leurs prix à la demande interne mais sont plus compétitifs par rapport aux concurrents étrangers, et peuvent donc gagner des marchés à l’export. Le corollaire est que la capacité d’investir et d’innover dépend de la part prélevée sur les bénéfices à consacrer à la recherche et au développement. Mais ce qui se produit actuellement, c’est que la plupart des bénéfices ne sont pas réinjectés en R&D, mais en salaires des dirigeants et dividendes aux actionnaires.

Cela étant, l’économie espagnole aura sans doute besoin d’aide extérieure et comme l’a souligné Dominique Strauss-Kahn depuis Séoul où il assistait à une conférence, les pays du sud de la zone euro doivent pouvoir financer leurs emprunts sans devoir consentir des taux d’intérêts exorbitants.

L’Italie poursuit aussi dans la voie des mesures d’austérité en augmentant d’un point le niveau de la TVA (de 10 à 11 % et de 22 à 23 % selon les produits) mais en diminuant d’autant ceux portant sur le revenu pour les deux plus basses tranches d’imposition.

Mais l’Allemagne, en tout cas ses décideurs les plus en vue, tient-elle tant que cela à voir la compétitivité des pays du sud se rétablir ? Pourquoi les détenteurs de capitaux continueraient-ils d’investir dans des pays où la marge bénéficiaire serait inférieure à ce qu’ils espèrent ? Certes, vient un temps où le pouvoir d’achat ne permet plus d’acquérir des biens ou services et les exportations allemandes vers les pays du sud européen risquent de stagner.

En fait, l’an dernier, selon le FMI, des sommes équivalant à 27 % du PIB espagnol et à 15 % de celui de l’Italie a fui ces deux pays. Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, qui siège à la BCE, peut bien rappeler que les pays qui sortent du rang des mesures d’austérité préconisée ne pourront bénéficier d’aides européennes, quoi qu’ils fassent, rien ne peut obliger les marchés à stopper la dégradation des plus faibles pour conforter les moins risqués (lesquels n’en sont pas moins fragilisés par d’incessants mouvements de capitaux).

Les mesures ne visent que les gouvernements. Mais hors secteur touristique ou exportation de main d’œuvre, ou de rente minérale (pétrolière ou autre), point d’agriculture ou d’industrie, foin de services. Les contraintes peuvent être multipliées, durcies, tant qu’elles n’engagent pas le secteur de la finance, toujours plus parasitaire, tirant davantage de revenus des mouvements de capitaux que d’autre ressources, tout restera vain.