La délation, entre délectation et interdiction

«Dénonciation intéressée et méprisable» selon le Petit Larousse, la délation fait son retour sur le devant de la scène elle qui s'était quelque peu dissipée après les périodes troubles de l'occupation puis de la guerre d'Algérie. La voilà donc de retour dans l'hexagone dans une version yankee assez proche d'une mentalité anglo-saxone plus pragmatique.

Reste que si au plus haut niveau de l'Etat, l'Amérique est à la mode, chez nos compatriotes moyens, l'attrait est tout relatif. La délation est donc subjective puisqu'elle se joue autant sur l'acte dénoncé que sur la personne dénoncée et la raison de cette dénonciation. Plus clairement si j'appelle la police car mon voisin frappe sa femme, je suis un bon citoyen ; si j'appelle la police car je pense que mon voisin a plusieurs femmes c'est moins bien ; si j'appelle la police parce que je soupçonne mon voisin de travailler au noir, c'est mal. Et c'est tant mieux. Il y a ainsi une dimension morale de notre société qui établit une barrière entre ce qui est moralement acceptable et ce qui ne l'est pas. 



Le politique, dans ce contexte, pourrait avoir un rôle de guide, de sage, voire de défenseur des valeurs. En fait, en démocratie il ne devrait guère être envisageable que le pouvoir incite à la délation, seuls les régimes autoritaires ou les périodes de crises majeures s'y abaissent. Bon, je divague. Car flotte de façon lancinante et mesurée depuis plusieurs mois ce parfum d'incitations-invitations à la délation : des sans-papiers par les préfectures et leur personnel, des chomeurs-fraudeurs à l'ANPE, des internautes-téléchargeurs, des agresseurs de policiers…. Pour ce dernier cas, l'atteinte à l'intégrité physique d'un représentant de la loi me choque et que tous les moyens soient mis en oeuvre pour débusquer les coupables, y compris un appel à témoins c'est bien. Mais rémunérer cet appel à témoin est beaucoup plus discutable. Fort heureusement, en l'absence de victimes clairement identifiées par la population, ces initiatives n'ont guère trouvé d'écho voire durent être arrétées. Ainsi de l’annonce de l'expérimentation d’une messagerie électronique pour signaler les délits à la police par la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Var : la levée de boucliers a été rapide. Y compris des policiers. Que voulez-vous, le gaulois reste irréductible, question de culture… Dans d'autres pays moins"éclairés", ben oui le siècle des Lumières c'était bien chez nous, le rapport à la délation est plus nuancé : le portail Web officiel du gouvernement chinois, encourageant les citoyens à rapporter la corruption et les fraudes, est devenu inaccessible le jour-même de son ouverture du fait de l'affluence record...
Par ailleurs existe quelques modestes garde-fous comme
la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Modeste car cet organisme ne fut pas loin du dépôt de bilan mais il s'est en tout cas ouvertement opposé à la mise en place de dispositifs « d'alerte éthique » au sein des entreprises. Un système trés à la mode outre-atlantique où il est de bon ton de développer une délation professionnelle des salariés entre eux. Mac Donalds France par exemple a du officiellement abandonner son dispositif avec mél et ligne téléphonique dédiés et informations personnelles transmises au siège…
Reste que l'on peut craindre que cette recrudescence d'atteintes à la liberté de l'individu ne porte peu à peu ses fruits et n'entre progressivement dans les moeurs. Car on peut sûrement prendre goût à la délation qui procure pouvoir et confort. D'autant que les temps à venir ne sont guères réjouissants : crise de l'énergie, mort de notre industrie, essor des fonds spéculatifs, précarité de l'emploi ne vont pas renforcer les liens entre les hommes mais plutôt les distendre et offrir un terreau propice à la vilité.
Les hommes d'Etat seront ils alors à la hauteur pour apaiser et orienter au mieux, rappeller les hommes à leur dignité ?
et bien je le crois ! regardez Nicolas Sarkozy a déjà commencé. Dans son souci de dépénaliser la vie économique, il veut purement et simplement interdire la délation fiscale à l'encontre des sociétés…

Comme quoi parfois il se délecte, parfois il interdit…

2 réflexions sur « La délation, entre délectation et interdiction »

  1. Collabos en tous genres et de toujours!!!
    Chez nous dans ce pays foutoir cela a toujours été ainsi.La délation est le fruit des etres qui cultivent la lacheté en se donnant bonne conscience d’etre les plus honnetes.Serviteurs invétérés d’un système ou ils s’y reconnaissent afin d’etre en paix avec leur petit esprit malsain.Bye.

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