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Noël approchait. Je feuilletais, salivant d’envie, une de ces inombrables publicités pour les menus de fête. Nathalie préparait le diner. Je n’étais plus autorisé à cuisiner depuis le début de l’année, période où Nathalie avait décidé que mes plats, trop riches, la faisaient grossir.

Les prospectus défilaient entre mes mains en exhibant leurs alléchantes photos de dindes dorées, de figues alanguies autour de tranches de foie gras, de bûches étouffées par des montagnes de mousse onctueuse. Que nous concocterait ma douce pour le réveillon ? ¨Peut-être des canapés de fromage allégé, des tomates cerises, quelques cardons bouillis, du poisson en papillote, sûrement des mandarines pour le dessert. Peu m’importait dans le fond. J’aimais le nouveau Paul. Adieu le moi ventru d’autrefois, adieu les bourrelets effrontés qui, tout autour de ma taille, tentaient de s’enfuir de mon pantalon. Devant le miroir, ma silhouette élancée, sans aucun excès apparent, me semblait si lisse et légère que l’euphorie me gagnait. Presque une année de rigueur alimentaire, par solidarité avec Nathalie, avait eu raison de ma graisse. Par contre Nathalie ne maigrissait pas. Du moins, pas à mes yeux. Je n’étais pas fier de cette injustice : nos métabolismes complètement opposés rendaient ma fonte rapide et facile et la sienne, impossible… Ma Nathy demeurait aussi dodue qu’un porcelet mais je me serais bien gardé de lui dire. Tous les jours, je lui répétais que je la trouvais superbe, qu’elle n’avait pas besoin de s’affamer pour me plaire. A vrai dire, j’étais même persuadé qu’elle avait pris du poids depuis janvier dernier. Pour ma part, je vivais sans trop de souffrance la frustration imposée par le régime « de couple ». Mais je trichais parfois… Depuis que nous vivions ensemble, nous possédions chacun nos comptes bancaires et ne mettions pas le nez dans les finances de l’autre. Ainsi pouvais-je, une fois par semaine, faire un petit détour par la pâtisserie et m’offrir confidentiellement un extra. Je le savourais avec une volupté coupable… Le chocolat et la crème fondant dans ma bouche, j’imaginais Nat recompter ses calories du petit déjeuner pour être sûre de ne pas avoir trop mangé. Mais l’amour a ses limites… Les endives bouillies et le blanc de poulet vapeur que j’ingurgitais à table pour que ma chérie tienne le coup, me déprimaient sévèrement.

Je regardais souvent ma compagne avec désolation. En secret, je la trouvais moins désirable qu’à nos débuts lorsqu’elle était encore mince et que chacune de ses apparitions nocturnes, voilée d’une nuisette transparente taille 38, était un spectacle envoûtant. Pour ne pas la blesser, je continuais à lui offrir de la lingerie fine. Les efforts acharnés qu’elle fournissait pour maigrir, tous ces sacrifices méritaient bien des encouragements. Même si les résultats manquaient… Nathalie était médecin et elle m’expliquait que ses problèmes endocriniens freinaient la perte de poids malgré sa bonne volonté. « Si je mangeais plus, je pèserais sans doute un quintal-et-demi ». Le pire semblait donc évité , ma douce devant culminer à quatre-vingt-cinq kilos.

A la veille du 25 décembre, je venais de trouver un magnifique cadeau de Noël pour Nat. Bien emballé dans un papier noir et or, une guèpière XXL d’un bleu électrique attendait de lui enserrer la taille. Qu’allait-elle m’offrir de son côté ? Une chemise et un de ces jolis jeans qui moulerait si bien mon nouveau petit derrière ? Mais il me fallait cacher mon présent. Nathalie était tellement curieuse, qu’elle risquait de fouiller toute la maison pour trouver son paquet avant minuit… Comme l’année précédente, je décidais de dissimuler l’offrande dans la cave au sous-sol de son cabinet médical. Elle n’y mettait jamais les pieds. Nathalie n’aimait ni l’obscurité, ni la poussière. J’avais subtilisé sa clef l’an dernier, et, à son insu, j’en possédais un double. La porte grinça et, tel un père-Noël sexy au ventre plat, je m’introduisis dans la cave faiblement éclairée, mon paquet sous le bras. L’armoire métallique était toujours là. J’étais son seul visiteur depuis un an. Bonne vieille copine fidèle et sachant garder un secret. L’année dernière, elle avait dissimulé en son antre le parfum préféré de Nat. Cette fois, la poignée du meuble n’était pas recouverte de toiles d’araignées. J’ouvris, afin de protéger mon trésor annuel. J’étais loin d’imaginer que la surprise serait pour moi, et de loin la plus énorme que l’on m’aie jamais faite. Dans l’armoire étaient consciencieusement entassés, des centaines et des centaines d’emballages froissés et compactés. Machinalement, je tirais sur les bouts de papier et de plastique multicolores en les laissant tomber sur le sol. Il y avait de tout : vieux paquets de biscuits, de chips, de barres chocolatées, emballages de saucisson,de fromage, d’arachides salées, de bonbons, de pruneaux, pères-noël en chocolat… Peut-être douze mois de ripailles clandestines, des milliards de calories, des kilos de graisses saturées et d’hydrates de carbone Je ramenai la guêpière dans mon coffre, abasourdi, et rentrai à la maison.

Les préparatifs du réveillon allaient bon train, La table était dressée avec des décors naturels : houx, pommes de pins, glands. Très joli. Ses cheveux relevés en chignon, elle arborait une robe de satin noire qui, hélas, lui donnait un air massif et sans grâce. Elle s’approcha de moi et me souffla dans le cou avec espièglerie. Au moment de l’échange des cadeaux, je découvris avec surprise ,une dizaine de caleçons soyeux à motifs colorés. « Une fois n’est pas coûtume » dit-elle le sourire aux lèvres, « c’est moi qui t’offre de la lingerie… Ne le prend pas mal Paul chéri mais je te trouve tellement plus séduisant depuis que tu es mince ! »