Étonnant, dans les diatribes de Tripoli et Téhéran (mais aussi de diverses capitales africaines) fustigeant Cameron après les émeutes de Londres, les commentateurs n’ont voulu voir qu’un effet de propagande interne à destination de la Tripolitaine et de l’Iran. Comme si l’affaire était entendue, car les émeutiers seraient totalement dépolitisés et mus uniquement par l’appât du gain. Un peu court, quand même.
Après les émeutes de 2005 en France, diverses études sociologiques de terrain ont avancé des préconisations, dont, par exemple, le vote des résidents non-européens disposant de cartes de séjour. La plupart des mesures suggérées est restée lettre morte, et Nicolas Sarkozy, précédant David Cameron, n’a brandi que le Karcher, sans que l’effet en soit perçu. Or parmi les propos recueillis à chaud comme à froid figuraient, en France comme au Royaume-Uni, des réflexions telles « à rien ne sert de manifester, pour attirer l’attention, il faut tout casser. ».
C’était d’autant plus ressenti en Grande-Bretagne que les émeutes de Tottenham avaient été précédées par une forte mobilisation de divers groupes (étudiants notamment, citoyens s’indignant sans répondre mécaniquement à des mots d’ordre syndicaux ou politiques). Tous les participants aux émeutes n’émettent pas ce type d’avis, et parmi ceux qui le font, certains véhiculent surtout ainsi une commode idée reçue, du conventional wisdom.
Environ 2 000 jeunes et moins jeunes britanniques vont se retrouver en détention. Certains seront tentés par un repli communautaire, voire religieux, qui ne débouchera pas forcément sur une radicalisation (islamique, par exemple) se muant en mobilisation (terroriste éventuellement). D’autres… D’autres adopteront des objectifs individuels, s’enfonceront ou non dans la délinquance, cette fois assumée et non spontanée, ou se radicaliseront autrement. Mais comment ? Chacun espère que sa chapelle en tirera profit ou n’en sera pas la cible.
Police politique
Personne ne s’offusque non plus quand il est suggéré que la police intercepte les échanges passés via des Blackberry en Grande-Bretagne et ailleurs quand, à Tripoli ou Damas – ou en Chine –, des mesures similaires sont prises, et condamnées par la présumée « communauté internationale ». La police est forcément garante de la paix civile ici et de la politique ailleurs, et inversement.
Les questions qui ne sont pas posées, et donc ne suscitent pas de réponses, sont parfois aussi cruciales que les réponses recueillies. Pratiquement chaque émeute d’envergure a été précédée par un incident qualifié soit de « bavure » policière, soit de quiproquo mettant aux prises la police et un ou des individus auxquels les émeutiers ont été censés s’identifier. Pratiquement personne n’a cherché à évaluer le degré d’identification (a priori faible quand il s’agissait de véritables délinquants, du moins de la part de celles et ceux ayant rarement été pris pour tels). Personne n’a été fouiller le ressenti au point de vérifier ou invalider le fait que les « forces de l’ordre » seraient perçues en tant que bras armé politique. C’est passé de mode.
Propice à une forte personnalité
Rappelons qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Les slogans « la police avec nous » ont été scandés tout autant que d’autres, hostiles à la police, sous diverses formes, et de la part de divers groupes aux idéologies parfois radicalement opposées. L’amnésie collective fait qu’à présent la police est perçue soit neutre, soit naturellement du côté d’une droite musclée, rarement (ce fut cependant le cas lors de l’affaire Coupat) en tant que bras armé – consentant ou contraint – du pouvoir.
De même oublie-t-on que l’aspiration à se rallier à la femme forte ou à l’homme fort providentiel, qu’il soit Hitler-like ou Staline-like ou d’un autre acabit, n’est jamais absente, que ce soit de manière latente ou exprimée. La question n’est pas non plus posée, tout cela serait du passé.
Certes, il y a fort peu de « chances » qu’un Kadhafi ou un Reza Naqdi (Téhéran) fasse figure de guide à Tottenham ou à La Courneuve. Un Ben Laden n’est jamais parvenu à faire figure de fédérateur et aucun partisan de Mao, Castro ou autre (pour la seconde partie du siècle dernier), voire de Chavez à présent n’a de chances de s’imposer rapidement. Il en est de même du côté de la droite radicale européenne dont les principales figures ne transcendent les frontières de leur vivant (l’islamophobie du Néerlandais Geert Wilders n’est pas déjà suffisamment fédératrice pour faire des musulmans des israélites, sources désignées naguère de tous les maux des sociétés européennes).
Aucun chef de file européen, doté d’un charisme politique et « spirituel » (le « naturalisme païen » hitlérien ou « l’évangélisme internationaliste » stalinien, par exemple), n’est encore en mesure de s’imposer. Les ersatz, tel le berlusconisme, n’ont pas pris. Sarkozy peine à contingenter sa concurrence lepéniste. Poutine semble trop encore englué dans l’affairisme pour convaincre ne serait-ce que la population du Bélarus ou même celles des républiques dissidentes géorgiennes (la reconquête des zones russophones ukrainiennes sent aussi un peu trop « le gaz »).
Mais l’histoire n’est jamais finie. Les événements de Londres, d’autres grandes villes, mais aussi de Gloucester, ont fait émerger de multiples commentaires antagonistes dont deux types, finalement, en dépit des apparences immédiates, convergent. D’une part la police est entièrement mobilisée par une sorte de chasse au faciès, d’autre part elle ne protège que efficacement que les plus privilégiés, les habitants des quartiers plus populaires étant laissés sans protection. Toute similitude avec ce qui est exprimé en France n’est absolument pas fortuite.
Insolites convergences
Parfois, les extrêmes convergent. D’insolites retournements se produisent. Ils ne suffisent généralement pas pour fédérer durablement les diverses strates sociales opposées ou diversifiées, et si les classes majoritaires (moyennes et « inférieures ») ont parfois convergé, même des « pouvoirs forts », considérés providentiels, n’ont pas toujours réussi à préserver longtemps leur cohésion. Ce fut pourtant plus ou moins le cas, à des degrés divers, mais non sans accrocs, à Tripoli, Cuba, et dans d’autres pays, jusqu’à ce que les contradictions internes et la pression externe se conjuguent. Chavez semble avoir stoppé la paupérisation des classes moyennes inférieures et dites populaires, bien sûr en s’aliénant les supérieures. Cela durera ce que cela pourra durer. D’autant que son entourage commence à évoquer les familles Kadhafi ou Ben Ali (avec une corruption sourde et tue qui alimente des rumeurs parfois fondées, une insécurité qui n’a pas suffisamment décru).
Les temps sont peut-être plus mûrs qu’on ne l’imagine pour un Chavez européen. Ni Sarkozy, ni Cameron, déjà usé et décrédibilisé, n’en ont la stature, aucune figure des oppositions ne s’impose. Mais ce provisoire est-il si (en)durable ? Les droites dures s’imaginant pouvoir capitaliser à court terme sur les événements pourraient fort bien s’illusionner. Il ne leur suffira peut-être plus de proclamer qu’elles veulent couper leurs liens avec les classes les plus possédantes, il leur faudrait le manifester. Elles n’en ont toujours pas pris le chemin. Les gauches molles dominantes craignent, en l’affirmant, de s’aliéner ainsi les classes moyennes inférieures et populaires, majoritaires : c’est peut-être une erreur.
« un Chavez européen »…le voilà le nouvel espoir du monde occidental, bien vu Jeff !