Jésus m’a mis un doigt, puis deux doigts…

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C’est l’histoire d’un mec, Jésus, pas un Ibère, un gars de Nazareth, qui met d’abord un doigt dans le mouillé, puis deux doigts… aux épouses catholiques, apostoliques et romaines. En tout cas c’est ce que je lis en filigrane sous la plume (sans jeu de mots) du père Ksawery Knotz, un capucin polonais. Lequel vient de vendre déjà 5 000 exemplaires de son Seks Jakiego nie Znacie, soit le sexe comme on ne vous en a jamais parlé, sous-titré « pour les couples mariés qui aiment Dieu ». On avait déjà, aux éditions La Musardine, le traité d’Étienne Liebig, un laïc, Comment draguer la catholique sur les chemins de Compostelle. La concurrence ecclésiastique deviendrait-elle rude !!???

 


Cela manque cruellement d’illustrations et, franchement, le site est pâlot côté photos. Mais si je comprends bien la version en langue anglaise du site qui en donne les « bonnes feuilles », c’est « par la grâce du sacrement du mariage, qu’un acte sexuel devient un geste du Christ, par lequel l’Esprit Saint démultiplie sa présence dans les cœurs des époux, et éveille l’amour qui baigne toute leur existence terrestre. ».Ouf, j’avais d’abord mal lu, d’où le titre.

Ce n’est plus du triolisme, là, ils s’y mettent à quatre, mais les détails de la triple pénétration resteront mystérieux. Bon, Jésus fait le geste, mais on ne sait pas avec combien de doigts.

Question préliminaires, cela reste pudique, mais il est clairement stipulé qu’un peu de stimulation manuelle de l’époux par l’épouse n’est pas contre-indiqué et que celle de l’épouse par l’époux peut se concentrer sur le clitoris, avant et après l’orgasme masculin, afin ne pas la laisser insatisfaite. Plus de vingt siècles d’attente, pour en arriver à ces révélations, cela valait certainement d’attendre.

Confesseur de fond du jardin

Un moine OFM est un franciscain de l’Ordre des Frères mineurs et son habit lui vaut le surnom de « capucin » car il se couvre la tête d’une capuche. C’est la conséquence d’une vision d’un moine franciscain, Matteo da Bascio, qui, rêvant, aura eu la vision de saint François d’Assise prêchant avec le crâne couvert d’un long capuchon triangulaire et pointu. Voués à une vie érémitique en ermitages mais pouvant partir prêcher en itinérant, les frères capucins ont depuis abandonné le plus souvent leur habit, se contentant de porter une croix en tau en olivier ou en épinglette métallique. C’est fort discret, et c’est ainsi que, sans avoir besoin de confesser au fond d’un jardin, les capucins peuvent parfois recueillir des confidences de couples plus ou moins dévots. C’est ainsi, semble-t-il, que le père Knotz a pu savoir ce qui peut se passer lors des moments intimes des couples catholiques et prodiguer de judicieux conseils. L’intrusion du clergé dans la sexualité des fidèles ne date pas d’hier. Pour mieux traquer le vice, certains confesseurs avaient détaillé, à l’intention des plus jeunes et inexpérimentés d’entre eux, bien des pratiques déviantes. Là, en quelques phrases, tout est dit : on peut stimuler avant, et poursuivre, après le coït, à se prodiguer des caresses sur les parties génitales.
Franchement, c’est là qu’on peut constater que le christianisme, en particulier le catholicisme tel que l’incarne le Vatican, est beaucoup plus disert que le mahométanisme. Là où le Coran se contente d’un « ta femme sera pour toi un champ labouré, va comme tu veux à ton labourage » (ce qui fait un peu va comme j’te pousse de prime abord, mais permet bien des raffinements à second examen), le père Knotz va plus loin, c’est indéniable. Non, le sexe marital ne doit pas être « triste tel un chant religieux traditionnel » (bon, il est d’allègres cantiques, même en Pologne), et après tout, il est certainement quelques airs religieux bien rythmés pouvant accompagner le coït catholique. La stimulation manuelle et orale est permise, mais le recours à des préservatifs ou des contraceptifs – permettant une sexualité encore plus fréquente car, après les accouchements, la femme n’est pas très rapidement disposée à reprendre une vie sexuelle débordante – reste fortement découragée. Non seulement parce que ce n’est pas très catholique, mais parce que la pilule, par exemple, « réduirait la libido et l’intérêt pour le sexe en général » chez la femme.

 

La méthode Ogino, un pousse au jouir différé

« Pendant la période d’ovulation, le mari devient plus mûr émotionnellement à la faveur de sa pratique de l’abstinence, qui lui est particulièrement ardue, qui laisse place à d’autres manifestations amoureuses ». À l’inverse, l’épouse aura appris, hors période fertile, à se forcer, en quelque sorte, à vaincre ses réticences ou son indifférence, pour rester sexuellement active. La « nature » ou la « science » des humeurs portant ou non à la bagatelle selon qu’une femme est ou non en période d’ovulation, revisitée par le bon père, a bon dos. Catholique romaine ou non, une femme, soit déjà une adolescente capable de décider ce qui lui convient sexuellement, ne serait donc pas ce démon toujours avide de stupre et de formication, en tout lieu et temps, telle que nous l’avaient décrite les prédécesseurs du père Knotz ? Et on nous aurait menti ? Personne n’a dit au père Knotz que des femmes peuvent apprécier des rapports sexuels incluant une, des pénétrations, avant, pendant et après leurs périodes, soit y compris l’avant-veille, la veille et le jour de leurs premières règles, et le lendemain, et le surlendemain ? Eh non, car selon notre mentor improvisé en ce domaine, les trois-quarts des femmes subissent des moments de total épuisement « entre quatre et dix jours avant la menstruation » et cet état perdure jusqu’à l’apparition des règles. Bon, mais « on doit absolument réduire la consommation de sel et de sucre dans ces moments » où sont ressentis des symptômes de pré-menstruation (PMS dans la version anglaise).
Bref, avec quelques petits trucs alimentaires, des aphrodisiaques tels la myrrhe et le henné mentionnés dans la Bible, l’abstinence est plus légère et là, après, en période infertile, maintenant, ouf, on peut, et il suffit à la femme de faire quelques petits efforts – puisqu’elle serait moins alors portée sur la chose – pour se faire plaisir… grandement !

Car si le livre a été surnommé le « Kama Soutra catho », c’est si fortement exagéré qu’on chercherait en vain dans la prose du bon père le moindre écart langagier poussant à grimper aux rideaux. On s’en doutait un peu…

Szansaspotkania, ah bon ?

Connaissant de moins en le russe et n’ayant jamais utilisé plus de cinq mots de polonais, j’espérais que « potkania » désignait un truc un tant soit peu excitant ou au moins olé-olé et que « szansas » était la version polonaise courte de « sensationnel ». Pas du tout, c’est par « chancedeserencontrer.net » qu’il conviendrait de traduire l’adresse réticulaire du site. On risque surtout de passer à côté d’une sexualité torride. Certes, le dieu des chrétiens serait présent – dixit le père Knotz – lors de l’acte sexuel des époux catholiques, sous la forme de l’Esprit Saint, et cela peut sans doute mettre un peu de piment dans les ébats, mais pour le reste, on reste sur sa faim.

Antonin Carême, le fameux cuisinier et pâtissier, n’aurait certes pas puisé grand’chose dans la prose du père Knotz pour rendre plus toniques ses soupers fins de la cour du tsar ou de la maison du prince de Galles. Le livre s’adresse en fait à des catholiques trop coincés sous la ceinture pour apprécier les rapports sexuels. C’est peut-être le cas de certains couples de Stalowa Wola, où se trouve le monastère du père Knotz. Lequel compare l’acte sexuel avec une rencontre de balle au pied où, même sur une cour de patronage, « il y a des règles » et pourtant « sur le terrain, on peut avoir des rencontres de qualités diverses. Il en est de fantastiques tout comme certaines sont ennuyeuses ». Par conséquent, les règles de l’église catholique romaine peuvent apporter des satisfactions sexuelles fantastiques, si on sait former le bon duo, ou, si on se laisse aller ou si on n’a pas trop bien invité le Saint Esprit à se joindre au couple, on se retrouve comme dans une chanson de Brassens, quatre-vingt-quinze fois sur cent… Si l’on en croit le père Knotz, puisqu’il est licite de laisser libre cours à quelques fantasmes, l’époux catholique pourrait se déguiser à l’occasion en gorille ! Ou en père capucin, peut-être ? Le père Knotz ne suggère rien, mais laisse tout imaginer en matière de fantasmes. C’était déjà osé, de sa part, d’avoir mentionné le mot.

knotz.pngUne imposture (car cela y ressemble fort) ?

Il est très osé, de la part de la presse polonaise reprise par la plupart des titres de presse traitant le sujet de par le vaste monde, de laisser penser que ce livre pouvait réellement être une version catholique romaine du Kama Sutra.
Un visiteur du site du Figaro a déposé le commentaire : « à quand le film ? ». Il risque d’être déçu, mais alors déçu, déçu. Ce livre est un non événement, et tout juste un complément à la traditionnelle « catéchèse des fiancés », aux divers manuels de « préparation au mariage », genre La Catéchèse catholique du mariage, du père Noël Barbara, en vente à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Auparavant et toujours à présent, on pouvait lire : « L’attente peut augmenter, purifier et perfectionner le désir de donation réciproque et développer une gestualité affective conjugale honnête et chaste ».
Après le père Knotz, ce pourrait être sans doute un peu moins « chaste » (au sens commun) et un petit plus ludique. Bref, prêcher la continence lors des périodes fertiles n’est absolument pas nouveau. Considérer que la chasteté, au sens catholique romain, est tout autre chose qu’un refus de la sexualité et la mésestimation des valeurs de la sexualité n’a rien d’innovant. Avant lui, on pouvait déjà lire que la chasteté était « une éducation des sens qui n’est pas synonyme de mortification ou de privation » (sur le site de la paroisse romaine de San Carlo al Corso, version française). C’est dire si la presse internationale est pressée… hâtive… et surtout prompte à nous faire prendre des vessies ignorant tout de l’ondinisme pour des lanternes magiques titillant la libido des fidèles.

P.-S. – C’est l’un des articles que j’avais rédigé voici quelques années, et qui était resté dans les limbes. Je le retrouve par le plus grand hasard. Dans le même genre, j’ai en réserve quelques articles un peu intemporels, publiés à l’origine sur Le Post (.fr) et récupérés. Il faudra que je fasse le tri, un jour où l’actualité sera faible.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !