Nombreux sont les historiens, auteurs, &c., qui ont remis en question l’origine, l’histoire, et la nature même du personnage de Jésus-Christ. Lequel, selon les uns ou les autres, n’a que peu à voir avec l’homme « fabriqué » par les divers évangiles (catholiques, coptes, autres…). Mais à présent, de manière beaucoup plus documentée, Michael Paulkovich révise ses vues antérieures et conclut qu’aucun personnage correspondant à un Jésus de Nazareth ait pu exister, en tout cas de son présumé vivant (postérieurement, il aurait été totalement inventé).

Innombrables sont les historiens ou théologiens chrétiens ou d’autres religions que les chrétiennes à avoir constaté que les témoignages de la période du vivant présumé de Jésus-Christ étaient on ne peu plus rares ou que le personnage décrit par les évangiles reconnus seuls recevables par le Vatican recelaient des contractions et s’opposaient à d’autres, notamment les coptes, ou à ceux d’autres églises chrétiennes (sans compter les écrits condamnés ou expurgés par l’ensemble de la chrétienté).

Déjà auteur de No Meek Messiah: Christianity’Lies, Laws and Legacy (Spillix, 370 p., 2013, Pas de messie débonnaire – ou de « doux Jésus »), Michael Paulkovich pousse désormais son analyse et sa conviction plus loin. Jésus-Christ, homme né d’une femme et d’un homme ou direct envoyé humain d’un dieu, était totalement inconnu de ses contemporains, mais aussi des 126 historiens ayant traité de la période au cours des deux siècles ayant suivi la mort du fils d’un certain Joseph…

Avant Paulkovich, nombreux sont ceux qui s’étaient penchés sur l’historiographie et décrit soit un israélite indépendantiste opposé à Rome, soit un dissident du rabbinat. Cette dernière supposition est notamment défendue par l’historien Adam Bradford qui voit en un Jésus le fils non pas d’un simple charpentier mais d’un architecte en vue ayant poussé les études de son enfant. Lequel aurait intégré la hiérarchique religieuse de son époque, grimpé les échelons au point d’avoir l’autorité de s’attaquer aux privilèges des « marchands du Temple », et l’ascendant exigé d’un juriste temporel et spirituel renommé.

Sectateur – parmi tant d’autres – et tribun populaire devenu agitateur capable de drainer des foules tel un Jaurès, ou docteur de la loi hébraïque accédant aux plus hauts échelons, tels un Luther ou un Calvin devenus archevêques ou cardinaux, et réussissant ensuite un schisme, peu importe. Le personnage reste récupérable par les diverses religions dites du livre (divers christianisme, courants israélites ou musulmans).

Avec Paulkovich, cela se corse. Jésus-Christ est inconnu de tous les bataillons, même si une escouade franc-tireuse, celle de Flavius Josèphe, est censée avoir pris conscience de l’existence humaine d’un Jésus. Fils d’un rabbin, né vers 37 (soit trois ans après la supposée mort d’un Christ), Flavius Josèphe écrit en araméen (et grec) et traite du conflit entre Rome et Jérusalem, dans lequel il fut impliqué en tant que diplomate après avoir dirigé les troupes de la Galilée et devenir prisonnier de Rome. Ou plutôt prisonnier, puis allié de Vespasien, futur empereur. Il vécut à Japhia, à moins d’une lieue de Nazareth, sans se soucier de l’existence de son prestigieux voisin.

Non seulement s’agissait-il d’un historiographe propagandiste, mais il fut récupéré par l’édition chrétienne trois siècles plus tard, puis de nouveau vers 500 et même 900. Il s’agit d’enrichir sa Guerre des Juifs avec des considérations hostiles aux Juifs, servant les causes chrétiennes (tant spirituelles que temporelles, avec les interdictions imposées aux Juifs en Europe et ailleurs), mais comme il semblerait pour le moins étrange qu’un si bon connaisseur des mœurs juives ignorerait tout de l’existence d’un Jésus de Nazareth, il fallait en injecter quelques furtives mentions.

Même en tant que personnage totalement mythique mais ayant pu exister ou, du moins, intervenir sur terre, tel un esprit, une sorte de Martien, ou un ange doté de superpouvoirs, le Jésus des premiers chrétiens, dont des pères de l’Église, est un personnage de nature surnaturelle, et en aucun cas un dieu incarné. Des auteurs postérieurs aux premiers amalgament divers personnages existants ou présumés avoir existé, sans toutefois attester son incarnation charnelle. Ainsi, même saint Paul reste totalement circonspect sur la nature du Christ. Il fait l’impasse sur l’immaculée conception (même au sens d’absence d’un péché originel), sur Josèphe, ainsi que sur la plupart des faits supposés du temps de son super-héros…

Avant Paulkovich, John Resmburg, dans son Christ (1909), s’étonne qu’une quarantaine d’historiens parmi les plus renommées des deux premiers siècles ignorent totalement l’existence du Jésus de Nazareth. La liste des 126 « auteurs silencieux » de Paulkovich n’est peut-être pas exhaustive.

On peut toujours s’étonner qu’un dieu ait choisi de ne s’adresser directement qu’à de si rares personnes (dont, parmi les derniers en date d’une certaine renommée durable, un dénommé Joseph Smith qui reçoit le dieu chrétien et son fils en 1820, puis celle d’un Moroni qui lui indique l’emplacement du Livre de Mormon). Ce n’est finalement qu’une partie minoritaire de sa création qu’il estime digne de propager ses dires (peu lui importent les Amérindiens, les Australiens, les Asiatiques… quantités négligeables).

Son supposé fils est censé avoir gobé tout cru les mythes bibliques les plus improbables comme celle de l’arche du vigneron Noé (dont Amérindiens, Asiatiques et Aborigènes devraient être les descendants, à son image – comme à celle du dieu de Noé –, et à celle de ses ancêtres Adam, Ève, Caïn, Abel et de mystérieuses sœurs), la baleine de Jonas, la transformation de l’épouse de Loth en statue de sel. Qu’il soit fils de charpentier ou d’architecte n’y change pas grand’ chose. Dans un cas, et même dans l’autre, on peut s’étonner qu’il n’ait rien consigné par écrit. De même, s’il s’agissait d’un agitateur nationaliste, il faut croire qu’il ne s’entourait d’aucun scribe ou simple copiste pour propager ses idées patriotiques.

De son présumé vivant, il avait un concurrent. Apollonios (ou Apolmonius) de Tyane, en Cappadoce, était un savant et un ascète mystique itinérant. Il sera parfois confondu avec Jésus-Christ par la suite, mais dans ses rares écrits, il ne cherche aucunement à établir sa supériorité sur nul autre de sa propre stature. Cela peut s’expliquer de diverses manières mais, aux yeux de Paulkovich, cela constitue une anomalie de taille. Car les très nombreux disciples d’Apollonios observent la même réserve sans jamais faire état d’une quelconque directive imposant de ne donner aucune publicité (ou plutôt contre-publicité) au natif de Nazareth.

Nazareth, justement… ou faussement. Le théologien Reza Aslan, dans son Zealot, soutient comme tant d’autres que le Jésus de Bethléem, si tant était qu’il soit un jour né d’une mère, aurait vécu à Nazareth dès sa plus tendre enfance. L’appartenance à Bethléem aurait été inventée pour magnifier le personnage et lui attribuer une parenté avec le roi David. Mais la réalité de ce Nazareth du temps de la vie (ou de l’apparition) d’un Jésus-Christ est totalement mise en doute. Peut-être était-ce un hameau, lieu de villégiature de l’architecte Joseph – celui d’Adam Bradford –, devenu par la suite un charpentier (tout comme engineer peut signifier soit ingénieur, soit mécanicien, tekton prête à une similaire confusion).

De nos jours, les talibans et les jihadistes du Califat (État) islamique d’Irak, Syrie et Levant, sont catalogués terroristes. On oublie un peu vite que l’évêque Cyrille d’Alexandrie fit lacérer puis brûler Hypathie, fille de Théon, de la bibliothèque d’Alexandrie, que le très chrétien empereur Théodose ne portait pas en son cœur. Si la fameuse bibliothèque était bien telle qu’elle fut décrite, et non pas un autre mythe s’appuyant sur des réalités plus modestes, une première destruction aurait été due, présume Paulkovich, au moines coptes de Nitrie. Afin de livrer à l’autodafé des textes peu favorables aux chrétiens en vogue, mettant en doute l’existence de leur sauveur, ou le dépeignant sous des jours moins idylliques, qu’il s’agisse ou non d’un pur esprit ? L’archevêque Théophile d’Alexandrie n’était pas loin de se comporter tel les pontes de l’État islamique, terrorisant d’autres chrétiens, s’opposant très violemment puis se rabibochant avec d’autres prélats, prieurs ou abbés supérieurs.

Sur le site anglophone de l’Huffington Post, Nigel Barber dresse quelques parallèles entre un Jésus-Christ et d’autres gourous, eux, bien réels. Sa postérité pourrait tenir, selon lui, contrairement à celle d’un Joseph Smith (fondateur des Mormons mais antérieurement condamné pour escroquerie consistant à promettre des miracles et la découverte de filons aurifères), d’un révérend Moon, au fait qu’il n’ait jamais eu d’existence réelle. Une pure invention, soigneusement perfectionnée, peaufinée et adaptée à l’air du temps, au vent des occasions et des évolutions sociétales, peut plus aisément frôler la perfection.

Cela étant, il peut tout aussi bien être envisagé que la censure des autres sectes ayant diverses affiliations politiques ait pu réussir à expurger toute mention d’un Jésus-Christ dans une masse considérable d’écrits, dont même ceux des auteurs recensés par Paulkovich.

Selon Joseph Atwill, un autre Américain prétendant avoir retrouvé des écrits d’aristocrates romains, le personnage d’un Jésus-Christ pacifiste aurait été fabriqué de toutes pièces pour opposer un messie rendant à César ce qui lui revenait (ce que Reza Aslan interprète comme « laissez à Rome tout ce qu’elle a pu acquérir en Palestine, inutile de lui disputer ses coffres et ses rapines, mais qu’elle cesse son occupation ») aux autres messies guerriers voulant tout récupérer.

Atwill met aussi en avant soit Flavius Josèphe, soit ses traducteurs et éditeurs ultérieurs, qui fait ou font parcourir à Jésus-Christ les mêmes trajets et étapes que l’expédition militaire des Romains en Palestine. Cela étant, les évangiles coptes font durer largement la période de l’exode, donnent de l’importance à des lieux saints devenus centres commerciaux de pèlerinages, et chacun ou presque a pu tirer avantage d’un Jésus-Christ ou d’un autre au gré de ses propres intérêts.

L’universitaire britannique Kenneth Humphreys soutient de son côté que divers Jésus aient pu exister mais que le personnage du Nouveau Testament serait une construction, un objet de synthèse, un syncrétisme ayant réussi à se hisser au rang de religion révélée. On pourrait en dire autant de sa plus éminente postérité, l’islam, qui remit au goût des aspirations du moment les espoirs de conquêtes opportunes, avant de redevenir religion de paix et miséricorde pour les courants dominants de ses actuelles variantes.

L’un des points soulevés par Paulkovich est d’ordre théologique. Comment un personnage capable de marcher sur l’eau n’en ait pas profité pour affiner quelque peu le principe d’Archimède et faire avancer les connaissances de son temps ? Car les miracles, c’est parfait, mais dispenser diverses connaissances médicales et d’hygiène n’aurait guère été superflu. Mais presque tout remède peut être concentré en poison et presque tout poison dilué en remède. S’il a existé, Jésus-Christ en a assurément été conscient. S’il survit dans les limbes ou ailleurs, sans doute est-il horrifié de constater que ses allocutions spirituelles aient pu être érigées en religions.

C’est bête, mon titre est plat. J’aurais dû titrer « Nouveau Testament ou le Protocole des Fous de Sion ? ». Mais qu’importe : qui ne veut pas s’interroger reste imperméable à tout.