Tel est le titre d’un livre surprenant paru il y a quelques années. Sa thèse fut remarquée, mais encore trop de gens ignorent l’existence de ce livre frappé au coin du bon sens. 

Aujourd’hui, la société française n’arrive pas à assumer le fait que ses citoyens puissent être de couleurs différentes. Voilà selon Gaston Kelman le problème de cohésion nationale qui se pose à la France. Il développe cette thèse dans son premier livre Je suis noir et je n’aime pas le manioc, paru en 2004. L’originalité de son propos, illustré par son titre, lui avait valu l’attention des médias et un succès littéraire. Il explique dans son livre que ce qui fait l’identité d’un homme, ce n’est pas sa couleur de peau ou son ethnie d’origine, mais bien sa culture.

De ce fait, il récuse tous les clichés dont les Noirs font l’objet : ceux qui feraient que les Noirs dans leur ensemble auraient des aptitudes sportives supérieures, seraient capables d’incroyables prouesses sexuelles, auraient le rythme dans la peau, seraient de grands enfants rieurs et peu capables de se prendre en main… Gaston Kelman déplore de ce fait que la France continue de racialiser les rapports sociaux, de considérer chaque personne sous l’angle de sa couleur de peau. A l’aide de dizaines d’exemples et d’anecdotes, il montre comment tout est fait pour qu’il soit rappelé consciemment ou inconsciemment aux Noirs leur origine africaine. Dans certaines classes de primaire, les instituteurs croient ainsi bon de présenter en détail les sociétés traditionnelles africaines aux jeunes noirs pour ne pas les couper de leur racines, alors qu’ils vivent quotidiennement dans un milieu d’occidental. De façon plus troublante, les autorités publiques participent parfois à préférer la persistance d’une culture africaine chez les Noirs habitant en France, tout français soient-ils.

C’est comme cela que des ghettos sont créés dans les attributions de logement HLM, où les familles sont regroupées en fonction des ethnies d’origine. C’est de cette façon également que la ville d’Evry a commandé une étude à deux anthropologues en 1992 sur la population soninké. On y lit une classification des personnes concernées en six catégories, et après avoir décrit l’exemple d’une famille en voie d’assimilation, vivant selon des standards les plus communs en France, suit ce plaidoyer : "Cette famille a complètement rejeté sa culture d’origine et s’est glissée dans le monde occidental. Ils deviennent les victimes privilégiées de la société de consommation chez qui l’on trouve les dernières nouveautés, du téléphone sans fil à la table en bois d’acajou verni. Est-ce cela que nous voulons qu’ils deviennent ces immigrés qui viennent d’Afrique ? Que restera-t-il alors de cette convivialité, de ce respect des anciens, de ce goût de la fête et de l’humour ‘noir’ ? Ils seront devenus des caricatures de nous-mêmes."

Il semble qu’il y ait une certaine envie plus ou moins inavouée en France de maintenir les Noirs dans le culte du "bon sauvage" cher à Rousseau. Gaston Kelman répond en se présentant comme Français à part entière, façonné par la culture occidentale, et en conséquence, il est un Bourguignon, car il l’a choisi. Il ne veut pas des emplois subalternes qui sont laissés aux Noirs d’habitude, il a fait des études et il est cadre. Il n’en peut plus qu’on le ramène constamment à un exotisme dans lequel il ne se reconnaît pas. Il n’en peut plus qu’il soit toujours au centre de débats sémantiques où toutes sortes de périphrase, comme le mot "Black", pour présenter ce qu’il est, tout simplement un Noir. Il n’est pas particulièrement fier d’être noir, parce qu’il ne voit pas très bien pourquoi il le serait, comme il ne voit pas comment on peut être fier d’une couleur de peau en général. Il ne souhaite pas être l’ami des Blancs, il souhaite être leur frère, qu’il n’y ait plus cette distinction entre des hommes qui ont la même culture.

A l’aune de sa propre expérience, Gaston Kelman espère donc qu’il puisse être évident pour tout le monde qu’on puisse être noir et bourguignon. La France a réussi à assimiler tous les courants migratoires blancs qui ont frappé à sa porte, pour que ce soit à nouveau le cas pour les habitants dont la peau est de couleur différente, il suffit d’assumer le fait que tout ce qui leur est demandé, c’est "de vivre comme on vit en France et non comme on vit dans le pays de ses lointaines origines".