Je n’ai pas lu (déjà) le livre de l’historienne Joëlle Fontaine, De la résistance à la guerre civile en Grèce : 1941-1946 (éds La Fabrique), mais son entretien avec Daniel Zamora, du site belge PTB, vaut d’être relevé. Titré « La Grèce n’est vraiment sortie du fascisme qu’en  1974 », il est l’occasion de nourrir une réflexion sur l’historiographie, soit la manière dont s’écrit et se transmet l’Histoire. Pour Joëlle Fontaine, Yalta n’a surtout été que la conséquence des dispositions des Alliés américains et britanniques, en Italie, dès l’été 1943.  

La Grèce, tout d’abord. Où Winston Churchill brise la Résistance en décembre 1944. Il déclenche une guerre civile qui se poursuit jusqu’en 1949. Par la suite, Britanniques et Américains confortent des régimes autoritaires qui débouchent sur la dictature dite des colonels (1967-1974). Bref, Britanniques et Américains, qui n’ont pas trop insisté pour que la Grèce reçoive les dommages de guerre dus par l’Allemagne, ont entretenu « la corruption et le clientélisme encore présents aujourd’hui », relève Joëlle Fontaine, auteure du livre De la résistance à la guerre civile en Grèce.

De plus, une part très importante de la population a fui la Grèce et ses régimes autoritaires, privant le pays d’élites ou de forces vives qui auraient pu le moderniser. Churchill s’était opposé à l’intégration des résistants dans les forces armées grecques, tout comme, en Belgique, le Royaume-Uni, en décembre 1944, fait désarmer les partisans.

La rencontre de Yalta coïncide avec la reddition des partisans grecs, le 12 février 1945. Staline veut éviter des pays séparées (avec les pays européens de l’Axe) et donne des consignes à Togliatti, Thorez et Tito, qui représentent les mouvements de résistance communistes en Italie, France et future Yougoslavie.
Mais c’est le précédent italien et l’attitude des Anglo-Saxons à l’été 1943, qui préfèrent maintenir des cadres fascistes mussoliniens plutôt que de faire de la place aux résistants, qui expliquerait la fermeté de Staline. Il en avait tiré la conclusion que l’Urss devait rapidement prendre le contrôle de la Roumanie et de la Bulgarie dès 1944.

Il apparaît aussi à présent que le massacre de 22 000 officiers polonais à Katyn, dès avril-mai 1940, ordonné par Staline, avait été attribué aux nazis par les Alliés en toute connaissance de cause. Des prisonniers de guerre britanniques et américains avaient été faits témoins du charnier par les Allemands en mai 1943 et fait savoir aux gouvernements britannique et américain que les exécutions remontaient à 1940, lors de l’offensive soviétique. La responsabilité des troupes russes ne sera reconnue, par Gorbatchëv, qu’en 1990. Les officiers britanniques ou américains auraient reçu des ordres formels de se taire. Churchill avait pourtant destiné à Roosevelt un rapport détaillé en 1943. Des documents déclassifiés depuis quelques jours l’attestent.

À Yalta, en dépit de différents portant justement sur la Pologne, Churchill et Roosevelt s’entendent avec Staline, car ils sont surtout soucieux de conserver Grèce et Italie dans le giron de leur alliance.

Churchill, qui fut admirateur de Mussolini et de Franco, relève Joëlle Fontaine, préfère réarmer les milices fascistes grecques plutôt que de laisser des socialistes s’assurer le contrôle des régions libérées. Il débute la répression parmi les troupes grecques alliées en Égypte, et déclenche une terreur qui ne cessera pas après la reddition des partisans grecs.

Les faits sont connus, attestés. Qu’en reste-t-il dans les manuels d’histoire, notamment en France, où la discipline a été menacée de disparition dans les sections scientifiques ? Le constat est facile à faire…

Joëlle Fontaine considère : « en tant qu’enseignante d’histoire, j’ai constaté que la Résistance grecque et la façon dont elle a été brisée en décembre 1944 par Churchill (Premier ministre anglais, NdlR) étaient largement ignorées, ou plutôt occultées, en France. Cela permet d’attribuer à la seule URSS la responsabilité de la Guerre froide. » (voir l’entretien).

Le site lié au parti belge PTB+, le Parti du Travail, ou de Arbeid van België, proche du Front de gauche français, considère que l’Union européenne poursuit actuellement en Grèce une même politique, dans le droit fil des intérêts financiers des places européennes : « l’Union européenne impose l’austérité au peuple grec afin de préserver les banquiers et les grands actionnaires. ».

« N’hésitez cependant pas à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se serait déclenchée une révolte locale. (…) Il nous faut tenir et dominer Athènes. Ce serait pour vous une grande chose d’y parvenir sans effusion de sang, si c’est possible ; mais avec, si c’est inévitable. ».

C’était une consigne de Churchill que rapporte Joëlle Fontaine dans son livre fort documenté (384 pages). La Grèce avait été assaillie par les Italiens en octobre 1940, les Allemands s’y substituent et ajoutent à la répression une terrible famine lors de l’hiver 1941-1942. L’Elas, l’armée intérieure de la résistance, s’organise en février 1942. Elle coupera le ravitaillement de l’AfrikaCorps déployée en Libye et laissera croire à un débarquement allié en Grèce alors que se prépare celui de Sicile, en juillet 1943. Les « Oradour-sur-Glane » grecs sont foison. Si Paris s’est « par elle-même libérée » (avec le concours des républicains espagnols de la 2e DB de Leclerc cependant), la Grèce avait fait de même pour un tiers de son territoire dès l’été 1943 et le succès du débarquement en Sicile.

C’est dès l’été 1943 aussi que Churchill, qui menace de démissionner si une orientation contraire est approuvée au parlement britannique, mine l’influence, y compris par des attaques armées d’autres groupes, de l’EAM : ces milices et les troupes d’occupation alliées conduiront ensuite la répression. L’action décisive de la résistance ne sera reconnue officiellement en Grèce qu’en 1982.

Actuellement en Grèce, les légumes sont vendus avec une marge de trois fois le prix à la production, une étude portant sur les supermarchés de allemands, britanniques, bulgares, espagnols, italiens et grecs montre que les produits cosmétiques ou de soins sont vendus au double du prix et les céréales près de 50 % plus cher. Les multinationales importatrices trouvent en revanche moyen d’échapper à l’impôt.

L’histoire immédiate s’élabore souvent de manière biaisée, tout comme l’histoire contemporaine récente. Certes, de nombreux Grecs font tout ou presque pour échapper à l’impôt, mais le barème fiscal français est beaucoup plus généreux que le grec (5,50 % en France pour des revenus approchant 6 000 euros, 10 % en Grèce dès 5 000 euros et les tranches suivantes sont beaucoup plus imposées qu’en France). Actuellement, Syriza y fait jeu égal avec Nouvelle Démocratie, avec chacun le quart des intentions de vote, tandis qu’Aube Dorée (extrême-droite) fait un dixième. La Troika (FMI, Commission…) voudrait à présent que le gouvernement fasse remonter la durée du travail à 78 heures hebdomadaires… mais elle refuse les coupes proposées dans le budget de la Défense (au profit de réductions des retraites, du salaire minimum, et des personnels de l’Éducation ou de la Santé). L’histoire se répéterait-elle ?

La Résistance grecque avait un programme proche de celui du Conseil national français qui fut adopté le 15 mars 1944. Il a été copieusement écorné ces dernières années en France. Le Grec ne fut bien sûr jamais appliqué. La guerre froide intestine a-t-elle débuté dans l’Union européenne ? Entre les troupes d’assaut que forme Aube Dorée et une possible résistance des partisans de Syriza, si des affrontements venaient à se propager, quelle formation serait-elle appuyée par  divers pays européens ? On peut se le demander…