Iter : un trou noir stratégique, économique et financier ?

Cinq ans après son lancement à Cadarache dans le Sud de la France, le projet ITER est encore loin d’avoir atteint son but. Censé aboutir un jour à la création d’un « soleil artificiel », source inépuisable d’énergie, le projet ITER fait aujourd’hui plutôt figure de véritable trou noir stratégique, économique et financier pour l’Europe et la France. Il est plus que temps d’y remédier. C’est un test pour le nouveau gouvernement.

Faut-il continuer à financer ITER ? Jadis posée par les milieux écologistes désireux de saper un projet destiné à assurer l’avenir de l’industrie nucléaire mondiale, la question commence maintenant à gagner les milieux économiques français. Car ITER coûte décidément cher, très cher.

Depuis son lancement en 2007, le projet dédié à la fusion nucléaire a vu son budget littéralement exploser. En avril dernier, le Parlement européen a ainsi accordé une aide supplémentaire de 650 millions d’euros au programme de recherche. Si bien que la contribution de l’Union européenne, initialement prévue à 2,7 milliards, est désormais estimée à 6,6 milliards d’euros, dont 1,4 milliards d’euros pour le seul budget 2012-2013.

Alors que les ressources et les marges budgétaires des Etats européens se réduisent en raison de la crise économique, ITER continue donc de drainer des financements considérables. Un choix qui pourrait se comprendre si ITER représentait un investissement rentable dans le cadre d’une politique européenne de relance par l’investissement. Or, à mesure que les années passent, cet espoir-là s’amenuise tandis que l’exaspération monte parmi les entreprises françaises, et singulièrement parmi les entreprises de haute technologie.

Au fil de l’avancement des travaux de réalisation du site, il apparaît en effet que les entreprises françaises et européennes sont littéralement laissées en marge des principaux marchés, surtout lorsqu’ils ont un fort contenu technologique. Ainsi, les entreprises américaines ont décroché une bonne partie des contrats portant sur les transformateurs électriques, le solénoïde central,  les conducteur des bobines TF, le système de refroidissement, le système de pompage de vide, l’alimentation en combustible, le traitement des rejets du tokamak, etc.

Les entreprises russes ne sont pas à plaindre non plus. Elles interviennent notamment sur le conducteur des bobines PF et TF, les pénétrations de la chambre à vide, les couvertures et organes d’assemblage, le dôme et l’appareillage électrique. Et les entreprises des pays asiatiques ne sont pas en reste. Le cryostat, grande structure en acier inoxydable qui enveloppera et confinera l’ensemble de la machine ITER sera ainsi réalisé à partir d’éléments réalisés… en Inde.

Viendra alors le tour des entreprises coréennes : elles sont chargées de la chambre à vide du tokamak de divers équipements d’assemblage, d’un écran de protection thermique, d’une partie de l’alimentation électrique et de certains systèmes de diagnostic. Une part de lion pour ce dragon asiatique ! Mais toutefois pas de quoi susciter la jalousie des industriels chinois qui assureront quant à eux la réalisation du système d’injection de gaz, du conducteur des aimants, des bobines de correction, des systèmes d’alimentation, des couvertures, des caissons de transport par télémanipulation…

Une telle litanie finit par susciter une légitime exaspération parmi les décideurs économiques français et européens. Car les entreprises du Vieux Continent sont, elles, réduites à la portion congrue, alors même que la France et l’Europe sont les principaux bailleurs de fonds du consortium !

Comment l’expliquer ? Certainement pas par leur manque de compétences. De nombreuses entreprises européennes sont en effet parfaitement qualifiées pour répondre aux commandes passées par ITER. Et singulièrement les entreprises françaises de l’ingénierie nucléaire qui figurent parmi les plus performantes et les plus qualifiées au monde. Leur éviction ne résulte pas davantage de considérations de coût, le transport d’éléments de construction gigantesques à travers les océans depuis l’Asie, l’Inde ou les Etats-Unis représentant  une insulte à la bonne gestion des ressources financières.  L’absence de grands contrats pour les entreprises françaises et européennes ne résulte donc nullement de leur incapacité à remporter des contrats dans un contexte de libre concurrence.

L’explication est bien plus navrante et démontre la consternante incapacité des instances françaises à poursuivre une véritable stratégie industrielle et même à préserver au quotidien les intérêts de nos entreprises. La mise à l’écart de celles-ci résulte en effet des règles de fonctionnement du consortium international ITER auxquelles la France et l’Europe ont consenti, de façon bien imprudente. Comme le souligne le magazine L’Expansion (31/08/11), ces règles stipulent en effet qu’« à l’exception de l’Union européenne, la participation des autres membres se fait surtout sous forme de livraisons de composants, et non en devises. » En clair : quand Pékin, Séoul, Tokyo, New Delhi, Moscou et Washington contribuent à ITER en faisant travailler leurs entreprises de haute-technologie qui en retirent non seulement des subsides mais du prestige, Paris et Bruxelles contribuent en plombant leurs finances publiques…

Comment une répartition aussi inique des rôles a-t-elle pu être acceptée par les dirigeants européens et singulièrement par les dirigeants français ? Probablement par la propension bien française à préférer le prestige illusoire d’une implantation en France à la mise en œuvre d’une authentique politique industrielle. Le président Chirac voulait à tout prix qu’ITER soit implanté en France. Et pour pouvoir en faire l’annonce, il était prêt à toutes les concessions, le bénéfice médiatique qu’il escomptait en retirer comptant probablement plus à ses yeux que les intérêts de l’industrie française.

Reste qu’au moment où la France et l’Europe font face une crise économique et financière majeure, il est probablement temps de remettre en cause cet accord initial. Ce serait, pour le gouvernement actuel, une belle occasion de donner un peu de contenu au concept de « redressement productif » dont il a fait une de ses priorités.

Une telle remise à plat des règles initiales d’attribution des contrats est de surcroît parfaitement légitime. En effet, les dépassements permanents de budget – le coût des investissements consentis pour ITER a déjà été multiplié par trois – rendent d’ores et déjà l’accord initial caduque. Régulièrement sommées de renflouer les caisses d’ITER afin de permettre la poursuite de l’aventure, la France et l’Union européenne sont en effet parfaitement fondées à conditionner le versement de ces rallonges financières à une modification des règles d’attribution des contrats de façon à ce que celles-ci deviennent enfin équitables.

Dans le contexte actuel de quasi récession économique, il ne serait pas acceptable que les contribuables français et européens continuent de payer pour faire tourner exclusivement des entreprises situées aux antipodes. Si bien que l’avenir d’ITER risque bien de devenir, pour le nouveau gouvernement, un test de sa capacité à engager une véritable stratégie de réindustrialisation. Affaire à suivre !

 

11 réflexions sur « Iter : un trou noir stratégique, économique et financier ? »

  1. [b]… et les entreprises de travaux public, les bâtiments, les services (communications, administration, sécurité…) fourniture d’énergie (EDF, GDF etc…) ingénieurs, physiciens, techniciens … allons, allons, nous ne sommes pas si perdant que vous le dites (les allemands probablement bien plus)[/b]

  2. Il faudrait voir à cette crise économique qui n’en finit plus…
    Et dire que nous sommes en 2012, avec encore des mentalités de broche à foin
    qui bloquent de voir évoluer certains sujets brûlants dans le bon sens…
    Alors que la plupart des gens affichent une attitude passive et préfèrent se
    conduire comme des vaches qui regardent passer le train…
    et en subir toutes les peines et conséquences que de vouloir essayer de défaire
    les noeuds de ces blocages qui nuisent à l’ensemble de la population…
    Il faut croire que nous préférons rester dans l’engrenage de notre société
    occidentale de consommations abusives…
    http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=ewvJubvRxA0&feature=endscreen
    Et au lieu de remédier plus efficacement à la relance économique, nous faisons
    le pied de nez à la Chine qui nous propose avec condition, une aide fondamentale
    pour la redresser, alors qu’elle s’embourbe de plus en plus…
    Il est évident que nous désirons nous en sortir sans avoir besoin d’une main tendue
    venue d’ailleurs…
    Bien sûr que l’Occident a engendré de grandes réussites, mais notre orgueil nous
    rend aveugle quand il s’agit de compter nos échecs…
    Il est vrai que les américains ont les plus grands offshores avec des milliards cachés, mais personne ne veut le dire ouvertement…
    Alors que les paradis fiscaux disposent actuellement de 6’000 milliards de $$$ de
    l’argent qui dort au soleil des Bahamas et ailleurs,,,Et pourquoi ne pas avoir recours
    à cette orgie de fortunes pour redresser l’économie de l’Occident et du monde entier…

    Gabriel Zucman de l’école d’économie de Paris, a enquêté sur la soit-disante:
    – richesse manquante des nations – ces capitaux cachés dans les paradis fiscaux…
    Renseignements: cliquez sur ce lien et ensuite sur – La vie des idées –
    http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2011/11/16/evasion-6-000-milliards-de-dollars-dans-les-paradis-fiscaux/

    Il faut absolument savoir que nous sommes en train de vivre un moment clé,
    une période charnière de l’histoire de l’humanité, car elle est en pleine mutation
    psychique et cela n’est pas à prendre à la légère…
    A lire: – La mutation psychique de l’an 2000 – de G.M. Méchoulam
    Editions Sélect, avec une préface de Martin Gray

  3. Pour zelectron

    Du petit pain, des miettes, les restes qu’ils ont visiblement consenti à nous laisser…

    Ce ne sont pas les blouses blanches qui ont pondu ce projet voué à l’échec qui va coûter cher, c’est surtout la partie réalisation.
    Couler du béton et faire du vent : voilà notre gloire

  4. Quand on voit que sur le plan économique ce projet profite à divers pays pour le concrétiser, il manque donc une ligne à franchir en proposant que ce projet soit internationalisé en partageant le frais et les profits de la recherche, cela nous aurait permis éventuellement de profiter de cette technologie qui n’est pas encore opérationnelle.

    Le reméde contre le Sida ou le cancer serait déja trouvé aussi éventeuellement ou en bonne direction de l’être au lieu de jouer dans son coin.

    PH

  5. Oui, mais l’argent européen (dont une part française, OK) est dépensé en France, alors tant que ça nous profite, même si les résultats sont décevants, des emplois ont été créés…pourvou qué ça doure !

  6. Pour des renseignements supplémentaires,visiter le site de Jean-Pierre PETIT,astrophycien,ancien directeur à la retraite au CNRS,spécialiste de la mécanique des fluides et de la MHD et j’en passe.

  7. Avant j’étais un serf ignorant, maintenant je suis un serf informé grâce à internet entre autre.
    je préférais avant, maintenant j’ai envie de pleurer…
    nos dirigeants savent ils eux mêmes ou ils vont ?
    qui emmènent ils dans leurs aventures ?
    qu’elles vont être les conséquences de leurs actes ?
    leur avidité de pouvoir est telle qu’ils deviennent aveugle
    ce n’est pas moi petit humain parmi les humains au pieds des rois qui vais leur montrer le bon chemin ????
    mais tout a une fin.
    toutes dettes doit être payées… (ce sont eux (les rois) qui me l’on dit, et moi je paye)

    EGO

  8. Excellent! De plus Iter risque de détruire les espoirs fondés qu’on met dans la fusion nucléaire. En fait il y aurait d’autres moyens bien moins couteux d’obtenir la fusion nucléaire voir la Z-machine. Par ailleurs Iter coute cher et ce n’est qu’un expérience qu’on sait déjà foireuse (en raison d’instabilités du plama non contrôlables).

  9. bonjour, je suis surpris de ne pas avoir constaté de soutien des anti-nucléaires à NDDL
    Serais- passé à côté ?

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