Berlusconi est en retrait de la vie publique italienne, mais sans doute encore, en coulisses, plus actif qu’on ne l’imagine. Sa formation, le PDL (l’Union pour un mouvement populaire libertaire ? En fait, « Peuple de la liberté »), est mise en délicatesse par une affaire d’expulsion d’une opposante au régime du dictateur kazakh, qui se serait produite à l’insu du ministre de l’Intérieur, Agelino Alfano, issu du parti de Berlusconi. Contre-feu : s’en prendre aux avancées législatives sociales (en faveur des unions civiles, y compris entre homosexuel·le·s, contre l’homophobie) à l’étude pour donner la priorité au redressement économique.

Mukthar Ablyazov, un opposant kazakh, était réfugié en Italie avec sa femme, Alma Shalabayeva, et sa fille, Alia, âgée de six ans. Ancien banquier et ministre, il a été accusé (et condamné à Londres, où il s’était d’abord réfugié) d’abus de biens sociaux, ce qu’il conteste. Mais le dictateur kazakh Nouroultan Nazarbayev est un proche d’amis et partenaires financiers étroitement liés à Berlusconi (aussi un mécène de l’acteur Depardieu). Le 31 mai, Alma et Alia Ablyazov étaient localisées par la police italienne, embarquées sans façon dans un avion privé kazakh qui se tenait prêt. Pour ne pas contraindre le ministre PDL de l’Intérieur, Agelino Alfano, à la démission, son chef de cabinet, Giuseppe Procaccini a été prié de renoncer à ses fonctions.

L’affaire a contribué à l’approfondissement de la défiance populaire à l’endroit de la classe politique italienne. Du coup, pour se concilier l’opinion ou plutôt resserrer les rangs de ses partisans, le parti de Berlusconi vient d’exiger un « moratoire » sur les réformes sociétales, sans trop frontalement les nommer mais il s’agit en particulier de l’union civile pour les homosexuel·le·s et la répression des actes homophobes.

En France, la Manif, puis le Printemps pour tous réclamaient « des emplois » pour les mamans et les papas, l’UMP mettant en avant que la résolution des problèmes économiques était obérée par un débat clivant (dans ce cas, pourquoi donc avoir multiplié les amendements et bloqué le travail parlementaire, incité à rejoindre les manifestations ?). C’est le même argument qui a été avancé, lors des journées d’été du PDL, par quatre de ses député·e·s.

Il réclament un moratoire législatif sur « les thèmes éthiques ». Le lobby gay financier du Vatican, qui privilégie la discrétion, ne se serait guère, croit-on, opposé à cette initiative qui aurait obtenu l’onction des autorités catholiques romaines.

En jeu, notamment, une proposition de loi visant à réprimer les actes homophobes en tant que tels, estimée inconstitutionnelle par une majorité des députés fin 2009 puis 2011 et 2012, mais qui pourrait revenir d’actualité sous une autre forme. En fait, depuis environ huit ans, environ 60 personnes ont été tuées et 500 faits d’agression constatés en Italie, mais les cas seraient plus nombreux car police et justice minoreraient souvent l’élément homophobe les motivant.

Une part significative des suicides de jeunes gens serait due aussi à la répression de l’expression de l’identité sexuelle en Italie. En mai dernier, divers parlementaires ont réintroduit une proposition de loi afin de faire en sorte que les actes homophobes soient désignés tels dans le cadre plus général d’une loi condamnant l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse.

En avril 2006, le gouvernement Prodi avait tenté de proposer l’instauration d’une union civile proche du modèle du Pacs français. Cela avait suffi pour déclencher une vague d’agressions. Le thème de l’orientation sexuelle n’est inscrit comme tel que dans une loi visant les discriminations dans les entreprises ou la fonction publique.

L’électorat catholique se répartit sur divers partis politiques, mais députés et responsables craignent toujours que le Vatican les condamne à demi-mots et qu’évêques et prêtres les dénoncent très ouvertement dans des homélies ou prêches et sermons.

Contrairement à l’Espagne, où les autorités religieuses avec l’assentiment du parti majoritaire, incitent à des manifestations (en particulier pour restreindre la portée du droit à l’avortement), l’Italie ne descend pas dans la rue derrière les députés de la Ligue du Nord ou du PDL pour protester contre une union civile étendue. Pas davantage qu’en Angleterre et au Pays de Galle où la loi en faveur du mariage pour toutes et tous s’appliquera l’an prochain.

Mais, en Croatie voisine, les partis de droit ont réussi à mobiliser. À défaut d’être majoritairement mobilisateur, le thème est suffisamment sensible pour rallier la partie la plus traditionnelle de l’électorat.

En France, Marion Maréchal-Le Pen tente d’inciter à demander une limitation du remboursement des avortements légaux. Certes, dans un entretien avec le mensuel Causeur, elle se défend de vouloir favoriser un communautarisme catholique : « si je combats les revendications politico-religieuses de l’Islam, ce n’est pas pour les curés fassent de la politique en France. ».

En Italie, mettre en avant « la famille naturelle, la liberté éducative », comme viennent de le faire Maurizio Luppi, Mara Carfagna, Mariastelle Gelmin et Maurizio Sacconi, vient à point nommé. Le député Gian Luigi Gibli a aussitôt embrayé en évoquant la « théorie » du genre, « cheval de Troie » de la destruction de la famille naturelle. Mais d’autres voix, au PDL, ont laissé entendre que cette opération évoquait un peu trop une diversion opportuniste, ou tenté de ménager la chèvre et le chou en se déclarant favorables à des mesures contre les discriminations.

Le Parti démocratique (PD) n’est pas très cohérent non plus sur la question, certains voulant aborder le problème de front, et rapidement (le 26 juillet), ne pas céder à la démagogie, d’autres se montrant plus réservés. Le député Sandro Gozi a considéré que l’union civile n’était pas une question d’éthique générale, mais la reconnaissance d’un droit fondamental. Andrea Marcucci a dénoncé une nouvelle manœuvre pour éviter des mesures ayant déjà trop tardé à se concrétiser.

Berlusconi est censé vouloir éviter une crise gouvernementale. Le gouvernement Letta ne dispose pas d’une majorité parlementaire. Pour l’affaire Shalabeyeva, Berlusconi a considéré que le ministre de l’Intérieur s’était « mis dans le pétrin » et avait commis « une boulette ». A-t-il inspiré cette idée d’un moratoire en pensant à la suite ? Le chef de file du PDL, Renato Brunetta, a donné un entretien au journal catholique Avvenire et laissé entendre que son parti était sous-représenté au gouvernement et qu’un rééquilibrage devrait être obtenu en septembre. Insister sur ce moratoire pourrait servir de moyen de pression.

Selon un sondage récent, le Parti democratique creuserait l’écart avec le PDL, avec 29 % des intentions de vote contre 25 (-0,5).