Nous avons déjà noté ici les convergences entre Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy (lire Un petit Berlusconi français) : en Italie comme en France, la droite dure est à l’œuvre, mettant en place ses contre-réformes de façon systématique. Il en va ainsi par exemple dans l’Éducation nationale, que les deux gouvernements sont en train de "réformer". De l’autre côté des Alpes, l’opposition à ces mesures atteint des sommets – comme c’est curieux : on n’en parle pas beaucoup dans nos médias, serait-ce par crainte que les Français pratiquent l’analogie ? Berlusconi frappe encore plus fort que Sarkozy : la loi Gelmini, du nom de la ministre Mariastella Gelmini, prévoit d’ici 2012 la suppression d’au moins 87 000 postes d’enseignants et 44 500 postes administratifs dans les établissements scolaires publics et la fermeture de nombreux établissements de petite taille, conséquence de restrictions budgétaires d’un montant de 8 milliards d’euros. Se profile également la privatisation rampante des universités. Résultat ? "Des statistiques du ministère de l’Intérieur ont révélé que depuis le début du mois d’octobre il y avait eu jusqu’à 300 manifestations avec 150 établissements scolaires et 20 départements universitaires occupés par les étudiants, résume World Socialist Web Site. Le 27 octobre, quelque 10 000 étudiants ont occupé l’Université La Sapienza de Rome avant d’aller bloquer plusieurs artères principales de la ville et la gare ferroviaire centrale Roma Termini. Les protestations se sont poursuivies et les étudiants sont finalement allés encercler le bâtiment du Sénat dans la ville. Le 29 octobre, le gouvernement a voté en faveur de la Loi 133 par 162 voix pour et 134 contre. Le Sénat a été contraint de lever la séance lorsque des milliers d’étudiants ont assiégé le bâtiment. (…) Le 30 octobre, on a estimé à un million le nombre d’enseignants, d’étudiants et de lycéens qui ont manifesté à Rome suite à la ratification de la réforme Gelmini. (…) La manifestation faisait partie d’une journée de grève générale des enseignants. Durant la journée, 90 pour cent des établissements scolaires sont restés fermés dans tout le pays."
C’est dans ce contexte qu’intervient l’hallucinante interview accordée à trois journaux par Francesco Cossiga, ex-président de la République italienne et sénateur à vie, en ligne en français sur le site du traducteur Marco Guadagni :
Cossiga – Maroni [actuel ministre de l’Intérieur] devrait faire ce que je fis quand j’étais ministre de l’Intérieur.
Journaliste – C’est-à-dire ?
[…]
Cossiga – D’abord, laisser tomber les étudiants des lycées. Il suffit de penser à ce qu’il se passerait si un gamin était tué ou gravement blessé…
Journaliste – Et les universitaires ?
Cossiga – Les laisser faire. Retirer les forces de police des rue et des universités, infiltrer le mouvement avec des agents provocateurs qui soient prêts à tout, et laisser pendant une dizaine de jours les manifestants détruire les magasins, mettre le feu aux voitures et les villes à feu et à sang.
Journaliste – Et après ça ?
Cossiga – Après, forts du consensus populaire, le son des sirènes des ambulances devrait surmonter celui des voitures de police et des carabiniers.
Journaliste – Dans quel sens ?
Cossiga – Dans le sens que les force de l’ordre ne devraient pas avoir pitié et les envoyer tous à l’hôpital. Non pas les arrêter parce qu’après les magistrats les remettraient en liberté, mais les taper, et taper aussi les professeurs qui le encouragent.
Journaliste – Les professeurs aussi ?
Cossiga – Les professeurs surtout.
Journaliste – Président, il s’agit d’un paradoxe, n’est-ce pas ?
Cossiga – Je ne parle pas des professeurs âgés, bien sûr, mais des petites maîtresses [maestre ragazzine], oui. Vous vous rendez compte de la gravité de ce qui est en train de se passer ? Il y a des professeurs qui endoctrinent les enfants et qui les font descendre dans la rue : c’est une attitude criminelle !
On note que l’ "attitude criminelle" ne consiste pas à envoyer tous les manifestants à l’hôpital mais à encourager les manifestations ! Et l’on frémit en se souvenant de la répression d’une férocité inouïe qui avait frappé les manifestants contre le G8 de Gênes en juillet 2001, comme le rappelle le billet de notre amie Céleste, Vergogna. Avec la criminalisation de l’opposition au gouvernement qui est en train de s’instaurer chez nous – voir la très louche affaire des saboteurs d’ultra-gauche -, les temps ne sont pas loin d’être mûrs pour autoriser le déchaînement de la violence d’État. Et l’on ne pourra prétendre qu’on ne l’avait pas vu venir.
sources
[b]…Francesco Cossiga a fourni un avertissement très clair sur le type de mesures en préparation, [u]lors d’une interview le 28 octobre avec le quotidien d’extrême-droite Quotidiano Nazional[/u]. Cossiga est un ancien premier ministre démocrate chrétien et président d’Italie de 1985 à 1992. Il est à présent membre à vie du Sénat.
Lorsqu’on lui a demandé si Berlusconi était « allé trop loin quand il avait menacé de recourir à la force de l’Etat contre les étudiants », il a répondu, « Je crains que ses paroles ne soient pas suivies par des actions. »
Il a ensuite conseillé que Roberto Maroni de la Ligue du nord, l’actuel ministre de l’Intérieur, fasse « ce qu’il avait lui-même fait lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. »
« Retirez les policiers des rues et des universités, infiltrez le mouvement avec des agents provocateurs prêts à tout et laissez les manifestants faire ce qu’ils veulent pendant une semaine, dévaster les magasins, brûler des voitures, causer des dégâts dans les rues… »
« Ensuite quand l’opinion publique se range de votre côté, le bruit des sirènes d’ambulances devraient recouvrir celui des sirènes de voitures de police et de carabinieri… Les forces de l’ordre devraient massacrer les manifestants sans aucune pitié et les envoyer tous à l’hôpital. Il ne faut pas les arrêter, les magistrats les laisseront libres quelque soit le délit commis, mais les frapper jusqu’au sang et frapper les enseignants qui les manipulent, les frapper eux aussi jusqu’au sang. »
A la question, « les enseignants aussi ? » il a répondu, « Surtout les enseignants. Pas les plus âgés, bien sûr… mais les jeunes femmes. Avez-vous seulement une idée de la gravité de la situation ? Il y a des enseignants qui endoctrinent des enfants et les encouragent à manifester. C’est un comportement criminel ! »
L’interviewer a répliqué, « Mais vous vous rendez compte de ce que l’on dira en Europe par rapport à ce que vous suggérez ? Ils diront « le fascisme est de retour en Italie ». »
Cossiga a répondu, « N’importe quoi… C’est la voie démocratique. Eteignez la flamme avant que le feu ne se propage. »
Le gouvernement utilise tous les moyens pour attiser un climat de droite et intimider le virage à gauche qui s’affirme parmi les larges couches de la population. Des groupes de droite ont été mobilisés pour attaquer les manifestations et les rassemblements organisés par les étudiants. Aussitôt après que la Loi 133 fut votée au Sénat, une bande de voyous de droite a attaqué des étudiants qui manifestaient sur la Piazza Navona. Des milliers d’étudiants venaient juste d’arriver sur la place après avoir occupé la faculté des sciences de la communication et de sociologie à l’Université La Sapienza. Les voyous sont liés au mouvement néofasciste Casa Pound et étaient armés de gros bâtons et matraques enveloppés dans des drapeaux italiens.
Les mobilisations de masse des étudiants et des jeunes se produisent dans le contexte d’un mouvement de plus en plus combatif de la classe ouvrière pour la défense des emplois, des salaires et des droits existants. Les travailleurs des transports en commun, de la santé et d’autres secteurs du service public se sont mis en grève ces dernières semaines. D’autres travailleurs dont les pompiers, le personnel des compagnies aériennes et les employés des centres d’appel et des compagnies privées comme les fabricants de meubles IKEA, se sont aussi joints à ces actions. Le 9 novembre, les travailleurs des transports ferroviaires et des transports en commun ont commencé une grève nationale de 24 heures. La plupart des bus, tramways, services de trains locaux et réseaux de métro ne circulaient pas du fait de cet arrêt de travail.[/b]
(Article original anglais paru le 12 novembre 2008)
Selon mes sources, l’entretien est paru dans [i]Il Giorno[/i], [i]Il resto del Carlino[/i] et [i]La Nazione[/i], publiés le 23 octobre 2008. C’est bien la même interview.
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