Yeshayahou Leibowitz (qui signe parfois Jonathan Leibomitz quand il écrit en français) est l’une des figures les plus marquantes et les plus extraordinaires de l’élite intellectuelle israélienne. Né en 1903 à Riga, dans l’actuelle Lettonie (alors possession russe), il est décédé en 1994 à l’âge respectable de 91 ans. Issu d’une famille juive, il est chimiste de formation. Il a notamment été nommé  doyen de la chaire de chimie organique et de neurologie à l’université hébraïque de Jérusalem. 

En parallèle de ses activités de scientifique, il est devenu théologien, philosophe et historien. Il est un spécialiste reconnu de Maïmonide, et a écrit plusieurs livres et articles sur l’influence de Maïmonide chez saint Thomas d’Aquin. Il fait preuve tout au long de sa vie d’un très fort attachement pour sa foi juive (il se rattache au courant du judaïsme orthodoxe), et fut un ardent partisan de la création d’Israël  en 1948. Jusqu’à sa mort, il argumente en faveur de la légitimité du sionisme et de l’existence d’Israël. 

 

Pour autant, « le Prophète de la colère » s’est attiré de nombreuses inimitiés parmi ses compatriotes pour son franc-parler et ses positions très tranchées. Yeshayahou Leibowitz, qui maniait aussi bien le russe, l’hébreu et l’anglais que le français, a dénoncé sans concessions ce qu’il considérait comme des abus de la part d’Israël. Il s’est opposé vigoureusement à la politique de colonisation, exigeant que les territoires occupés soient évacués, si besoin par la force. Il dénonce les violences commises par Tsahal ou la police israélienne dans les territoires occupés à l’encontre des populations civiles. Les organisations pro-palestiniennes citeront à de multiples reprises ses propos parfois extrêmement durs, de même que l’extrême-gauche israélienne. 

 

Yeshayahou Leibowitz n’est pas un pacifiste. Il considère que chaque Etat a le droit de posséder une armée, et d’avoir recours aux armes pour défendre son existence ou sa population. A ses yeux, Israël vivant entourés d’Etats hostiles doit être prêt à se battre en cas de besoin. Pour autant, il considère que les abus commis par les militaires israéliens sont préjudiciables à la fois aux victimes, mais aussi à Israël, qui entre alors dans un cycle de violence et d’amoralité. Leibowitz a servi son pays en tant que soldat, et n’a jamais appelé à la désertion ou au refus du service militaire, ce qui ne l’a pas empêché de soutenir les objecteurs de conscience qui estimaient qu’intégrer Tsahal et participer à l’occupation des territoires palestiniens est immoral. 

 

Il prenait un temps considérable pour répondre à ses correspondants, ce qui explique son abondante production épistolaire. Décrit par ses interlocuteurs comme charmant, plein d’humour et agréable, il lui arrivait d’entrer dans de terribles colères et de se montrer caustique et cinglant. Il n’hésitait pas à employer des formules blessantes pour ses adversaires, accusant certains soldats de s’être comportés en "judéo-nazis". En tant que professeur, il faisait preuve d’une grande patience avec ses élèves. Réputé pour sa formidable érudition, il s’exprimait en termes clairs et accessibles, passant d’une langue à l’autre avec une grande agilité intellectuelle. Bien qu’il prenne souvent des positions très tranchées, il avait une pensée subtile et profonde et a toujours refusé de s’affilier à un camp politique. Sa spécialité consistait à vexer un grand nombre de gens de tous bords. 

 

« Le Prophète de la colère » est indéniablement une des figures les plus controversées, les plus haïes et les plus admirées de l’intelligentsia israélienne.