Instruction publique : l’historiographie au pas de charge

Qui se souvient de la classe de propédeutique (France, † 1966) ? Qualifiée de « première année d’études supérieures de 1948 à 1966 » par le Larousse, il s’agissait d’une « prépa » donnant lieu à la délivrance, non automatique, d’un Certificat d’études supérieures préparatoires, sésame pour l’Université. Voici donc à présent la valeur propédeutique de l’enseignement de l’histoire et de la géographie réduite à fort peu, à l’instar de celle du chant, dont l’enseignement s’arrête passées les petites classes.

Science sans conscience n’est pas que ruine de l’âme, mais ce n’était pas forcément « mieux avant ».
De mon certificat d’études primaires de la publique († 1989), il me reste le premier couplet et le refrain du Chant du départ.
Du certif’ des écoles chrétiennes, je ne sais plus trop. Un cantique ?
Toutes choses égales par ailleurs, j’ai découvert sur le tard, face au QCM d’un concours d’admission à un organisme public, que je ne savais plus additionner deux fractions.
Alors, effectivement, je peux, selon la fameuse expression de « La Cane » (prof de maths, blessé de guerre), confondre pgdc et « petite grenouille et crapaud dansant ».
Cet enseignant émérite du Grand Collège Saint-Martin d’Angers n’avait pas que le sens de la formule mathématique.
Il passe aussi, dans ma postérité, pour le mémorable auteur d’un « Élève Meunier, levez-vous ! Qu’est-ce que… Oh, et puis je vois bien que vous ne savez point. Rasseyez-vous, et mettez-vous donc un zéro ! » (l’élève Meunier tenait le cahier dit « de textes » de chaque cours, qui allait, en classe de maths, m’échoir en terminale ; cela m’occupait un peu…).

Le « certif » était encore un viatique suffisant pour passer au monde du travail, un « bagage » permettant de développer en autonomie sa culture générale et donc de se plonger, à l’adolescence, dans les copieux volumes des Histoires d’amour de l’histoire de France, de Guy Breton, aux Presses de la Cité, qui tenaient alors lieu d’initiation à la littérature érotique.

En faire « toute une histoire »

Bien sûr, la calculette, plus facile d’emploi que le Graphophlex™ Retz®, règle à calcul trigonométrique et logarithmique à curseur, inutile pour diviser des fractions, permet à présent plus ou moins de pallier l’ignorance de l’arithmétique. Pour suppléer un enseignement superficiel de l’histoire et de la géographie, c’est plus complexe. La consultation de Wikipedia, sans formation ni méthode (et même parfois avec), peut mener à des raisonnements catastrophiques, je le constate presque tous les jours…

Wikipedia est certes plus fiable que l’approximation pédagogique qui voulait que « nos ancêtres les gaulois, cheveux blonds et têtes de bois » soient considérés tels que Jules César les percevait (soit, tel que le résume François Rachline, de l’Institut Montaigne, caractérisés par « la vanité, le goût de la mode, la versatilité, l’imprévisibilité mais aussi la bravoure, le désir de briller… »).

Petit devoir sur table. Consultez en ligne quelques « perles des bulletins scolaires » (ou la recension récente de Jean-Claude Brighelli, Les Perles des bulletins de notes, chez J.-C. G.), et annotez cette autre voulant que « la Gaule chevelue était aussi appelée hirsute parce que peuplée de femmes et d’hommes blonds qui n’avaient que des fourchettes pour se peigner. ». La même Gaule, dite aussi « en braie », engendra bien des ânes, la preuve, élève Peaudarent (que Georgius chantait).

Ces considérations non digressives sur les écoles de naguère m’amènent au billet de Véronique Soulé, sur son blogue de Libération, « Fronde contre le programme d’histoire-géo de première ».

Une matière optionnelle

Résumons : pour les élèves de terminale de la section scientifique S, celle que convoite et redoute Valérie, 14 ans, sur Yahoo! (« Puis je allée (sic) en Section S avec 13 de moyenne en maths ?»), l’histoire et la géographie deviennent des matières optionnelles. Tiens, pourquoi pas aussi les langues étrangères, ou la physique, ou l’ÉPS (ah, non, cela fâcherait Douillet) ?

Afin de parvenir à ce résultat, ils passeront en fin de classe de première un « petit bac » portant sur le français et l’histoire-géo.
Cela n’impliquait pas forcément de créer un tronc commun en première pour les lycéens des sections S, L(ettres), et É(co)S(ociale), mais permettrait de bourrer les salles de cours et d’économiser des postes d’enseignants ne dispensant déjà plus que quatre heures par semaine.

Pour choyer les élèves des sections S et ne pas leur encombrer l’esprit avec trop de cartes et d’anecdotes historiques, tout le monde se retrouve avec un programme qui, étudié en cinq heures hebdomadaires réparties auparavant sur deux ans (première et terminale), doit être assimilé quatre à quatre, sur une durée de quatre heures. Mes faibles notions d’arithmétique et mon petit doigt me disent que la conclusion de Véronique Soulé est juste : il faut comprimer le programme.

Notre rubricarde, transfuge du service Étranger, et recasée, faute d’intérêt de la redchef pour la Russie ou pour d’autres raisons, dans celle de l’Éducation, publie la lettre d’un prof lyonnais qui dénonce les menées historiographiques (soit de réécriture de l’Histoire à des fins qui ne sont pas toujours exclusivement pédagogiques) découlant de cette réforme. C’est gratiné.

Thierry Cadart, du Sgen-CFDT, estime qu’il serait grand temps « d’en finir avec des épreuves marquées par un encyclopédisme de façade. ». Large fourchette de questions devant être abordées en effet, qui, comme supra, peut conduire à trouver quelques anachronismes dans les réponses lors des épreuves.

Je doute cependant fort qu’on lise que « le président Millerand, socialiste mais ancien collaborateur du maréchal anglais Mac-Mahon, mangeait des ortolans avec les doigts car il ne connaissait pas l’usage des couverts. ». Parce que, Millerand (1859-1943), et le Cartel des Gauches, dans un tel programme, risquent fort de passer à la trappe. Eh, peut-être convient-il de fait de ne point en faire « toute une histoire ». Et puis, Mitterrand ou Millerand, ou Henry Mac-Mahon, qui finit sa carrière (militaire) au rang de lieutenant-colonel, est-ce bien là l’essentiel ?

Dissidence

Les commentaires du billet valent autant d’être consultés que ce qui les précède. Fortes paroles de l’élève Toto (version corrigée typographiquement par mes soins) : « Il n’y a pas besoin de 36 000 heures de cours pour donner un aperçu (…) des totalitarismes du XXe siècle et compagnie. Je n’ai jamais eu besoin dans ma vie professionnelle et dans ma vie tout court (comme 99,99 % des Français) de connaître les batailles napoéliennes ou la vie de Gambetta. (…) que les cours d’histoire deviennent de la propagande pour caresser dans le sens du poil les immigrants qui ne veulent pas intégrer nos valeurs, cela va bien aussi… ».

Mes lacunes (litote) en arithmétique ne m’ont jamais porté à traiter les statistiques avec une telle désinvolture et ma vie personnelle de chômeur multi-occasionnel (considérée au-delà de son potentiel d’ajustement des salaires) doit quelques bons moments aux maréchaux des boulevards et à l’aérostier larguant des tracts de Victor Hugo, auquel l’on doit ce « le cléricalisme ? Voilà l’ennemi ! ». Mais bon, glissons. Ne confondons pas débat sur l’identité et polémique sur la laïcité.

L’UMP, celle du fameux débat sur l’identité nationale, voudrait-elle flatter ces migrants alsaciens, lorrains ou comtois qui se rendent quotidiennement au Luxembourg ou en Suisse (question de géographie humaine) et dédaignent nos ortolans et bruants landais ?

J’admets nonobstant que savoir que le Quatre-Huit désigne la Lozère, et le Huit-Sept la Haute-Vienne, ne m’est guère de forte utilité dans ma vie courante.

Toto est très minoritaire dans la masse des commentateurs qui, comme B. Girard, renvoient au texte de l’historienne Suzanne Citron, « “L’histoire de France”, fétiche de la nation ». Laquelle n’aborde pas les tripatouillages de la loi salique (sujet qui n’est pas trop maltraité par Wikipedia) mais fournit d’autres exemples significatifs.

La tonalité générale est synthétisée par Remoa : « Il est plus facile de gouverner un peuple ignorant. ». Surtout s’il est fortement incité à n’être congru qu’en maths, à défaut en compréhension des argumentaires de vente par téléphone, ce que favorise pour son instruction le recours aux questionnaires à choix multiples, décimologiquement corrects, et féru de pas grand’ chose, ajouterai-je. Dois-je ajouter que la fonction calculatrice de mon mobile ne m’est d’aucune utilité dans l’isoloir, ou face à l’urne dont l’accès est toujours interdit aux « estrangers », fussent-ils des « barbares » scandinaves ou descendants des « Normands » membres de l’Union européenne ?

Faire et défaire l’Histoire

L’historiographie à la Luc Ferry ou Bernard-Henri Lévy, renvoyant dos à dos les totalitarismes, se transcrit donc dans des programmes « allégés » mais plaidant pour un bachotage intense. Cela conduit à l’apathie qui a permis de détruire les infrastructures libyennes. Tu verras, Toto, ce que tes impôts et de possibles relèvements de taux de TVA auront pour répercussions sur ta vie courante. Le bulletin du jeune Nicolas Sarkozy mentionnait, pour l’histoire-géographie, au cours privé Saint-Louis, « les résultats restent décevants! Soyez plus rigoureux. » (mais peut-être s’agit-il là d’un pastiche). En effet. Mais nul besoin d’avoir été formé à l’Histoire (et la géographie) pour la faire : ainsi de la Bérézina de Napoléon. Ou peut-être la Libye après Sarkozy.

Il est possible de considérer tout ce débat assez vain. Le formatage de l’enseignement religieux n’a pu contrecarrer longtemps l’émergence des Lumières, celui des écoles tsaristes l’avénement d’un communisme, et celui des pays de l’ex-bloc soviétique n’a guère suffit à retarder le retour à un capitalisme prédateur triomphant. Que Luc Ferry ait succédé à Jules Ferry ne marque pas la fin de l’histoire. Ce ne sont sans doute que quelques générations qui subiront ce déluge dû au débordements des programmes d’histoire et géographie… si toutefois, après 2012, il était poursuivi dans cette voie.

Menées subreptices

Mais l’arnaque, la duperie, c’est qu’avec ce tronc commun, le but poursuivi est aussi d’assécher les effectifs de la filière L sans pour autant permettre aux rétives et réfractaires aux maths d’intégrer la section ES. C’est aussi, pour les langues étrangères, voire l’histoire-géo, pousser les parents à recourir aux cours privés ou particuliers afin de rattraper le niveau requis en classes préparatoires.

« Le programme d’histoire au lycée est une aberration totale, avec d’évidentes motivations idéologiques ultralibérales, » relève un journaliste, historien de formation, qui peut-être, au vu du faible nombre des postes au Capès, ou du fait du parcours de combattant des jeunes profs d’histoire-géo en tout début de carrière, a renoncé à l’enseignement.

Les motivations ne sont pas qu’idéologiques. Elles sont transcrites dans les faits : lors des grands oraux des quelques grandes écoles garantissant plus ou moins l’emploi, l’excellence dans les seules mathématiques ne suffit plus toujours. Il s’agit, au profit de la seule brillante progéniture des plus aisés, de renforcer la sélection ultérieure. La suite consistera sans doute, comme au Royaume-Uni, à relever les frais de scolarité dans l’enseignement supérieur. Pour faire en sorte aussi qu’avec l’autonomie des universités, seules les mieux dotées en fonds privés puissent accorder des bourses aux quelques étudiantes et étudiants vraiment très brillants, car aussi autodidactes, ne se contentant pas du bachotage, qui en maintiendront le niveau. Pour les autres, les Jean Sarkozy, on trouvera toujours des dérogations afin de leur conférer un vernis suffisant. Nul besoin pour eux de se plonger dans le Mourre (Dictionnaire encyclopédique d’histoire, en cinq volumes) et de se faire trop de mouron.

Faut rigoler (avec Henri Salvador)

Certes, pour les laissés pour compte, il est aussi question de leur faire intégrer incidemment que la raison du plus fort est toujours la meilleure et qu’il en aurait toujours été ainsi. La finance n’aurait plus besoin d’arguer d’un droit divin : notion dangereuse qui peut conduire le monarque, s’il s’écarte trop de l’idée que se font ses sujets d’un dieu, à perdre sa légitimité.

Tant qu’à faire, après la suppression du certif’, on pourrait rétablir une épreuve de chant au bac.

Suggestion pour ce programme, Le Grand Lustucru (paroles de Th. Botrel, puis Jacques Deval, pour Marie Galante, 1934), à débiter de la sussurante manière de Carla Bruni :

« C’est le grand Lustucru qui passe
Et ce soir c’est moi qu’il vient chercher
Moi ce soir, parce que je ne dors guère
Moi ce soir, parce que je ne dors pas !
 »

Bachoter, c’est dormir un peu. Ce qui donne droit à des indulgences.
Bachoter, cela évite de coiffer le chapeau pointu, le bonnet d’âne.

Pour l’orthographe, savoir classer des pâtes alphabets de A à Z suffit largement.
Pour l’histoire et la géographie, le programme de l’UMP fera un convenable viatique.

Je parviens (très peu) à réactualiser mes connaissances en logique en m’exerçant au sudoku.
En revanche, pour appréhender l’histoire, l’intégrale de Max Gallo, non superflue, ne suffit pas.

Mais, comme le disait cet autre ministre, Claude Allègre, Gallo, « c’est l’Alexandre Dumas de notre temps. ». Depuis que Gallo a soutenu Sarkozy en 2007, et qu’il a été reçu à l’Académie par Alain Decaux, vous le retrouverez peut-être fournissant matière à commentaire de texte au « petit bac ». Avec beaucoup de notes explicatives en bas de la feuille du sujet, histoire de bien guider les réponses (deux : oui, non, ce qui accélère la correction) aux questions.

Allez, avec les Gaulois, faut rigoler « pour empêcher le ciel de tomber… ».

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Instruction publique : l’historiographie au pas de charge »

  1. Après tout, c’est devenu quoi, la finalité de l’enseignement de l’histoire et de la géographie ?
    Peut-être réduire, en fin d’année de première, le temps d’occupation des lycées lors du « petit bac ». Une heure devrait suffire, afin d’économiser sur les émoluments des surveillants et des correcteurs.
    La valeur propédeutique de ces matières passe à l’as, mais n’est-ce pas le but recherché par cette réforme ?

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