Je n’entends ni ne lis pas grand’ chose d’autre que des slogans à propos de l’immigration au cours de cette campagne. Grosso modo, l’immigration est vue telle une chance ou un fléau pour la population française (sous-entendu non-dit : française, souchienne ou d’origines diverses, mais bien intégrée). Comme s’il n’y avait qu’un type monolithique d’immigration, qu’elle n’était pas si diversifiée, quelles que soient d’ailleurs les origines des immigrés, des postulats sont posés, présentés valables pour l’ensemble, sauf dérapages. Mais pratiquement personne  s’exprimant « politiquement » ne parvient à dégager, ni même esquisser vraiment, des solutions à la fois viables et acceptables…

Alors que nous débattions longuement, un immigré et moi-même, de l’immigration avec un ancien éphémère « jeune responsable » du Front national ayant pris largement ses distances avec cette formation, Mediapart ressort l’affaire du quota d’immigrés dans les logements sociaux du Plessis-Robinson.

Les faits sont simples. Lors d’un entretien avec un responsable FN, Philippe Pemezec, maire UMP du Plessis-Robinson, avait déclaré : « Je loge très peu d’Arabes. Je fais très gaffe… ». Propos rapportés dans le livre de Claire Checcaglini, Bienvenue au Front – Journal d’une infiltrée (Jacob-Duvernet éd.).
Du coup, Mathilde Mathieu et Michaël Hajdenberg, de Mediapart, ont voulu creuser la question, à mon sens de façon trop superficielle (mais comment faire autrement quand il faut « pondre » suffisamment d’articles pas trop longs…). Ils confirment totalement les propos du maire qui se retrouve visé par une plainte judiciaire de Martine Gouriet (PS) pour « discrimination au logement ».

Discrimination positive ou négative ?

Mediapart ne s’est fondé que sur les dossiers transmis à la commission d’attribution et sur les noms à consonance maghrébine. Pour résumer, cela fait seulement 5 % des dossiers, proportion estimée par divers interlocuteurs vraiment très, très basse, même pour les Hauts-de-Seine. Il aurait été intéressant d’aller plus loin et de voir si les discriminations visaient tous les étrangers, et surtout si le véritable critère n’était pas le revenu. Car Philippe Pemezec a aussi contribué à faire réduire le parc des logements sociaux à environ 5 000, soit de 27 % en 23 ans.

Même Neuilly accueillerait bien volontiers des émirs avec épouses voilées et gardes du corps, évidemment sur le marché libre. Cela fait monter les prix de l’immobilier et dans ce cas, l’agent immobilier, le propriétaire, le commerçant, même le plus vociférant contre l’immigration, se frotte les mains.

En matière de logement, ou de travail, voire d’accès à des clubs très sélectifs, c’est désormais en priorité l’argent qui compte, davantage que des critères d’intégration. Sauf à vraiment défrayer la chronique, telle à présent Asma-al-Assad, l’épouse du chef de l’État syrien, n’importe quel étranger fortuné se voit fort bien accueillir, et on lui passera ses excentricités, tel Kadhafi père à Paris, tant qu’il ne se mouche pas avec les doigts sur les tapis de soie.

L’électorat des divers partis ne le ressent pas tout à fait de manière identique. Mais de fait, tout le monde préfère un médecin étranger cordial, attentif, compétent à un autre, français, moins bien perçu. Il en est en fait de même pour la plupart des fournisseurs (épiciers, plombiers, mécaniciens, &c.), ou des étrangers en tant qu’employés ou supérieurs hiérarchiques, que les rapports soient directs ou de voisinage.

C’est peut-être même le cas de Philippe Pemezec qui n’a peut-être pas trop compris (ou plutôt voulu comprendre) qu’un étranger qui ferait un excellent concitoyen peut arriver pauvre sur sa commune.

D’un autre côté, on peut admettre (de fait, on le fait) qu’un élu, mettons, de gauche, ou d’une certaine droite humaniste, ne veuille pas trop voir se constituer des ghettos communautaristes sur sa commune, voire nourrisse quelques préjugés (de diverses natures), quant à la capacité d’intégration des uns et des autres. Question de dosage plus que de grands principes : le pragmatisme finit souvent par l’emporter. En mettant souvent en œuvre non pas « la » solution, mais diverses ébauches de possibles solutions.

Mais le véritable critère d’acceptation est de fait beaucoup plus souvent le revenu couplé à l’éducation et à la formation, même si des pauvres sachant rester « à leur place » seront parfois préférés à de nouveaux riches peu supportables.

Comment intégrer ?

À Niort par exemple, naguère plus qu’antan, avant d’égorger le mouton dans la baignoire du HLM, c’était le cochon. Davantage que le musulman poussant le son d’une musique orientale, c’était le braillard aviné au pinard qui dérangeait. L’exode rural s’est accompagné d’un afflux massif dans diverses communes urbaines avec divers corollaires pas toujours plaisants.

Pour éviter des générations successives de cas sociaux, il a bien fallu procéder à de la discrimination positive, par exemple en fournissant des emplois municipaux à des gens ne brillant pas trop par leurs compétences ou leurs capacités initiales d’adaptation. Il a fallu aussi dé-densifier de véritables ghettos de « petits blancs » considérés parfois de modérément à fortement nuisibles.

Si les « souchiens » français sont tous plus ou moins des descendants de Charlemagne (un seul direct en France : un comte d’Andlau), nombre sont ceux à être aussi issus de la cour des miracles, de gueuses et de gueux, de criminels en haillons.

Pour être net, au risque de se rendre (très) antipathique, l’eugénisme a été mis en pratique par les galères, les travaux forcés, les déportations, les bataillons disciplinaires, les guerres, les orphelinats au régime impitoyable. Notre actuelle société, à juste titre, s’y refuse.

La discrimination négative l’a largement emporté sur la positive (plutôt au compte-goutte, le curé recommandant une très jeune pauvresse pour devenir bonne à tout faire, l’instituteur signalant un élève dépenaillé un peu plus éveillé que d’autres à un employeur ou au sergent-recruteur).

Je ne sais si la masse des gueux nés en France de parents français était proportionnellement supérieure ou inférieure à celle des étrangers ou descendants d’allogènes actuellement mais il faudrait peut-être se poser les problèmes aussi en ces termes : la « racaille » d’antan parlait majoritairement un patois ou une langue « régionale ». Celle de naguère était parfois issue d’une immigration européenne qui ne s’est pas « assimilée » en une seule génération, et divers communautarismes ont subsisté longtemps.

Actuellement, les grands discours fleurissent, mais les propositions concrètes applicables (est-il possible, comme l’assure le Front national, de juguler l’immigration « choisie » à ce point ?) ne sont guère au rendez-vous.

Dosages

Qu’on le veuille ou non, les termes réels du débat ne portent pas sur les ventes de viande halal, de blinis ou d’ignames, ou de je ne sais quoi, mais sur les dosages en matière de discriminations « positives » et « négatives ». Comme en tout domaine, il faut envisager de procéder par tentatives et corrections d’erreurs.  De manière à tenter de faire en sorte que les discriminations positives le soient le plus possible et justifiées, les négatives le moins possible et acceptables.

Quels dosages au juste ? C’est là que les sciences humaines restent malheureusement trop et trop peu « humaines » à divers sens du terme. Au pifomètre total, j’ai au moins remarqué que la population estudiantine allogène à une ville universitaire se mélangeait davantage entre elle, dans un premier temps, qu’avec l’autochtone. Sans renier les diverses identités pour autant.

Une sorte d’intercommunautarisme, quelque peu éloigné des descendants de la Mayflower, s’est bel et bien produit aux États-Unis. Non sans heurts violents et frictions diverses. Le Canada est devenu pluriculturel avec un certain dosage d’intégration et de communautarisme. Il n’est pas sûr non plus que tout modèle soit stable ou transposable : c’est toujours et partout un perpétuel recommencement.

S’il doit y avoir débats, tout comme en matière d’éducation, il convient sans doute qu’ils s’inspirent aussi des expériences étrangères et qu’il soit renoncé à l’utopie de réaliser un miracle en quelques années : même en Israël, pourtant doté d’un Ministry of Immigrant Absorption, le prodige tarde à se produire six décennies après l’indépendance. Des israélites religieux judaïques s’y opposent toujours à d’autres, samaritains (pourtant moins de 700 sur tout le territoire ex-palestinien). C’est dire comme ces questions sont « simples » et se règlent « aisément »…

Tempérance et discernement

Le débat français gagnerait sans doute à moins se crisper sur des certitudes qu’on veut immuables. En Bretagne, pays de colonisation des hussards noirs de la République, c’est dans les écoles diwan qu’on sait le mieux que ce mot recouvre trois autres sens en arabe ou persan et que, peut-être au moins jusqu’à présent, l’intégration des étrangers, pas toujours évidente, se fait le mieux ou du moins pas trop mal.

Ce qui « convenait » (certes pas à tous) à une époque ne convient pas forcément à une autre. On peut bien sûr rêver du passé (et de, par exemple, d’une extrême sévérité pour les délinquants mineurs des milieux pauvres et moins aisés, et de l’impunité, ou de l’exil, de l’armée et du couvent pour les jeunes crapules aristocrates ou bourgeoises). Mais en matière d’immigration comme en d’autres, peut-être faudrait-il se souvenir que ce que l’on préconise devrait aussi s’appliquer à soi-même. Songer que l’ouverture qu’on exige de l’autre implique de faire soi-même un pas vers lui (ce qui vaut d’ailleurs pour certaines communautés de migrants à l’égard des « autochtones »).

Mais un peu moins d’indignation facile et davantage de réflexion utile, surtout lors d’une campagne électorale, c’est sans doute beaucoup demander. C’est déjà difficile pour nous toutes et tous, alors, pour des candidates et candidats et leurs conseils en com’, imaginez. Eh bien, c’est peut-être à nous de tenter de les y inciter, sans renier leurs (et nos) convictions ou… identités. Cesser d’applaudir ou de conspuer n’importe quoi parce que cela provient « de son camp » ou de celui « d’en face » serait déjà un début.