En Octobre, « un nouvel art de vivre avec l’eau », une « nouvelle culture de l’eau » et un véritable réenchantement des « imaginaires de l’eau et du fleuve » (et aussi de ma chasse d’eau ?) vont émerger en Île-de-France. L’opération Tous en Seine, inaugurée par rien de moins qu’une « péniche itinérante » et une « croisière lycéenne ». Seine, Marne et Oise vont contribuer à « fédérer les Franciliens » dans une « citoyenneté festive ».
Coût pour la région IDF, selon Thierry Gadault, d’Infodujour, 320 000 euros.
Dont 70 000 sont prélevés sur le projet Épure, destiné à l’accompagnement des collectivités dans l’étude de faisabilité de régies de distribution d’eau.
Tiens, tiens… Veolia et Suez-Environnement-Lyonnaise des eaux vont réenchanter l’eau…

Étudiant·e·s, stagiaires et même chargé·e·s de com’, précipitez-vous pour consulter en ligne le rapport de mission de Jacques Perreux, conseiller régionale d’Île-de-France, sur l’opération Tous en Seine. Comment transformer du théâtre de rue en théâtre de berges ou de quais, déplacer des manifestations d’arts plastiques sur des rives, et remplacer un camion d’informations par une péniche n’a rien de fantastique, tarazimboumant, féérique, mais l’emballe langagier a été soigné…

Attention, ce n’est pas du Mélanchon voulant exploiter les ressources maritimes ou fluviales, c’est du pur jus « poète et marinier ». La présentation du rapport par son auteur, en décembre dernier, sur son blogue (« des réponses écologiques aux injustices sociales », s’intitule-t-il sans la moindre emphase), vaut le détour. Seine, Oise et Marne « se sont données rendez-vous » en IDF, mieux que la Lune et le Soleil dans la chanson de Trenet. Paris « se tourne vers le fleuve » (en un mouvement centripète du tonnerre de dieu). Les pieds dans l’eau, citoyennes et citoyens sont les moteurs de leur destin.

« Il s’agit de ré-enchanter les imaginaires, et d’essaimer, à l’échelle du territoire francilien et aux abords de la Seine, de la Marne et de l’Oise, une programmation artistique pluridisciplinaire venant s’inscrire dans l’espace public ou s’adosser aux lieux emblématiques du patrimoine fluvial. ». Même quand j’étais journaliste municipal, je n’aurais pas osé mélanger une randonnée pédestre le long de la Seine et « la création d’un réseau social de l’eau ». C’est dithyrancarpe au possible, mais plutôt dithyranablette, finalement !

On comprend fort bien que la cour régionale s’amuse, que les manants sont conviés aux festivités, à s’esbaudir et danser le rigodon, mais cela manque franchement d’ambition. Un tel événement devait au moins surpasser le camp du Drap d’or et faire se rencontrer, les uns – Hollande et Huchon – à bord du bateau-mouche présidentiel, et les autres, la souveraine du Commonwealth, son consort, William et Kate et la progéniture royale ou princière, sur les embarcations et suites royales jubilaires. Avec cortèges de vahinés et de danseurs zoulous sur les rives, clairons et cornemuses, tout le tintouin.

Mais le coche n’a pas été tout à fait raté, indique Thierry Gadault sur Infodujour. Avec l’accord du groupe écologiste, tout le financement a été budgeté, non point sur les crédits de com’ (largement employés à rétribuer familles, grand·e·s et petit·e·s ami·e·s, affidé·e·s…), mais sur les lignes comptables dévolues à l’environnement.

Et comme le budget du projet Épure n’a pas tout à fait été englouti, les fonds n’étant pas tous consommés, on opère une « réorientation des crédits ». 70 000 euros quand même…

Il faut dire que le projet Épure sent l’égout pour les principales sociétés privées chargées des réseaux communaux, territoriaux, &c. Leurs baux de concessionnaires arrivaient à échéance. Il se trouve qu’une élue Front de gauche, Sylvie Altman, maire de Villeneuve-Saint-Georges, avait bien l’intention d’imiter l’UMP Estrosi à Nice et de favoriser le retour aux régies pour l’adduction et la distribution d’eau…

Auparavant, tout était bouclé, verrouillé, cadenassé par le faramineux Jacques Santini, député-maire d’Issy, président du Sedif (syndicat des eaux de l’IDF). Pour la plus grande joie du Canard enchaîné qui a multiplié les révélations sur sa manière de se mouiller pour, selon Libération, «&nspb;protéger les clefs de la citerne ». Mais les « socialo-communistes », alliés aux écologistes, ont commencé à éroder son influence. Anne Le Strat, adjointe au maire collectiviste de Paris (qui s’est dotée d’une régie), à peine élue à la tête de l’Agence du bassin Seine-Normandie, levait quelques lièvres et brochets de taille. On s’arrangea pour la déboulonner, mais Santini a fort à faire pour empêcher des créations de communautés d’agglomérations voulant sortir du Sedif.  

Comme il le résumait fin juin dernier, « les mouvements intercommunaux impactent régulièrement le périmètre du Sedif ». Pour contrecarrer la tendance, il fallait donc agir.

Le problème des collectivités voulant créer une régie autonome, non dépendante de La Générale ou de La Lyonnaise, c’est, résume Infodujour, que la remunicipalisation, avant 2015, et l’échéance des baux concédés, suppose des études de faisabilité plutôt complexes. Qui sont les experts ? Pour la plupart, des sous-traitants directs ou des faux-nez des concessionnaires.

D’où l’idée d’Épure. Créer un cabinet d’audit de droit privé, embauchant des experts indépendants.

Il faudra déchanter avant de « réenchanter ». Diverses manœuvres visant à vider le réservoir et organiser des fuites (vers le secteur privé) ont retardé la concrétisation du projet Épure.

Puis, avec l’assentiment singulier du groupe écologiste, qui semble préférer la com’ au concret, on siphonne 70 000 euros. Bien joué, Épure semble bel et bien voguer vers un bras mort où il s’enlisera doucement mais sûrement. Comme le dit Dominique Lefebvre, de la CACP de Cergy-Pointoise, auquel s’oppose le collectif Agleau, « ce sont toujours les mêmes entreprises car nous n’avons pas de fonctionnaires possédant la technicité nécessaire » pour gérer la distribution d’eau. Du coup, mais aussi pour éviter de rompre avant terme un contrat avec Veolia, il a préféré le prolonger au-delà de son terme. Insolite.

Pour un élu régional qui a préféré l’anonymat, il fallait éviter d’« affronter les géants de l’eau ». Fermez les vannes. Le changement, c’était avant.

Bien évidemment, on se doute qu’en lieu et place de la souveraine, Tous en Seine conviera L’European Water Movement, qui combat « la privatisation et la marchandisation de ce bien vital » qu’est l’eau. La péniche itinérante embarquera, soyez-en sûrs, nombre de ses délégué·e·s. Les jeunes Franciliennes et Franciliens seront fortement incités, lors de la croisière scolaire fluviale, à rejoindre la plateforme Source (Mobilizing Youth for the Right to Water). « Engageons-nous avant que cela coule ! ».
Les Franciliennes et Franciliens adultes et de nationalité européenne (de l’Union européenne, âgés de 18 ans ou, si d’Autriche, de 16), seront fortement incité·e·s à signer la pétition Water Is a Human Right (lancée en France par Anne-Marie Perret).

Bon, la plaquette de présentation de Tous en Seine n’en fait pas mention, mais cela va tellement de soi… Tout comme la présence en octobre de Christiane Franck, de l’intercommunale belge Vivaqua et d’Aqua Publica Europea, de Daniel Termont, maire de Ghent, de Jean-Jacques Jespers, de l’université libre de Bruxelles, de Gabriel Amard, du réseau La Gauche par l’exemple, de Dominique Watrin, sénateur nordiste, de Maurice Ouzoulias, conseiller général du Val-de-Marne, et de Patrick Rimbert, maire de Nantes. Avec Anne Le Strat ou Pierre Mansat (Paris Métropole) et Delanoë, ces personnalités francophones sont des ambassadeurs du mouvement Water is a Human Right.

Rappelons quand même que la baignade reste interdite dans la Seine depuis 1923, tout comme dans tous les cours d’eau ou canaux de la région IDF. En fonction des risques microbiologiques ou chimiques, principalement. Surtout, ne pas prendre le mot d’ordre Tous en Seine au pied de la lettre.

Tous en Seine mettra en valeur, par exemple, le fait que les habitants d’Est Ensemble (Romainville, Bagnolet, Bondy, Montreuil, Noisy, Pantin et communes avoisinantes) « payent l’eau de 40 à 58 % plus cher que leurs voisins parisiens » qui ont opté pour une gestion publique grâce à la récente Régie municipale Eau de Paris. Artistes et plasticiens, musiciens, vont être mobilisés pour véhiculer le message.

Faire la fête, pourquoi pas ? Mais, en Île-de-France, les pollutions de l’eau n’ont donné lieu qu’aux contrôles de 260 établissements industriels et qu’à 52 programmes de réduction des risques. 469 sites et sols pollués sont recensés par la Driee régionale.

Mais il y a plus urgent : ainsi aménager un pôle nautique à Vaires-sur-Marne, en prévision des Jeux olympiques de 2024. Les Brésiliens rigolent…

Ah, Veolia vient d’essuyer aussi un revers à Berlin. Elle détenait encore le quart des actions de la société des eaux de la « ville » (pour 654 millions d’euros), BWB, qui va être prochainement détenue totalement par la fonction publique. Berlin, c’est presque 892 m² pour 3,4 millions de consommateurs d’eau. L’Île-de-France, à peine 3 000 m² seulement de plus… mais 12 millions de consommateurs, presque quatre fois davantage. L’eau de Berlin était la plus chère d’Allemagne, mais encore moins chère que celle de l’Île-de-France. Du coup, la population berlinoise s’était mobilisée. Ce qui avait abouti à une pétition signée par près de 300 000 habitants. Le mouvement Berliner Wassertisch avait ainsi réussi à faire divulguer les clauses confidentielles du contrat avec Veolia. Mais aussi incité la Commission européenne a reculer sur son objectif, inavoué, de privatisation de l’eau. Ce qui va gêner l’implantation de Veolia et Suez en Europe.

Tiens, au fait, 320 000 euros pour organiser une grande consultation des Franciliennes et Franciliens sur la gestion de l’eau, serait-ce vraiment insuffisant ? Allez, à défaut d’eau municipale, des jeux… À Berlin, 98,2 % des votants du référendum d’initiative populaire obtenu par le Berliner Wassertisch ont fait plier la municipalité qui tenait très fort à son partenariat avec Veolia et RWE.

En 2010, Dominique Voynet résumait ainsi la situation pour Marianne : « Le Syndicat des eaux est une sorte de caricature d’un certain système. Depuis des décennies, les grands partis se répartissent les présidences de syndicats : à l’UMP, le Sedif ; au Parti communiste, les services funéraires ; au PS, les ordures ménagères. Au moment de voter, les accords tacites passés il y a bien longtemps sont reconduits, ce qui assure une certaine stabilité, à la fois des équipes et des pratiques, à la tête de ces grands syndicats. ». Oui, mais la donne évolue. Car les fêtards attendus, tentés de danser déjà la samba brésilienne, pourraient bien, Tous en Seine, entonner La Carmagnole.